REPORTAGE – La mobilisation contre le racisme a rassemblé plus de 20.000 personnes, sur fond de polémique autour de la caricature de Cyril Hanouna diffusée par LFI, qualifiée de «bêtise» par les militants parisiens qui condamnent l’attitude de Jean-Luc Mélenchon.
Precilia a fait le déplacement depuis Lille pour participer à la manifestation contre le racisme qui se tenait à Paris ce samedi 22 mars. Arrivée en France il y a deux ans, cette Congolaise en pleine procédure de demande d’asile se dit régulièrement victime de propos racistes dans son université. Le plus souvent, ils concernent la nature de ses cheveux. «On m’a déjà dit “Avec ta touffe, tu peux te mettre derrière ?” ou alors “Ça ne pèse pas au quotidien ?”», confie-t-elle tristement. Comme elle, des milliers de personnes se sont mobilisées contre le racisme, en hausse sur le territoire français. Selon le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), le nombre de crimes et délits à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux enregistré a augmenté de 58% en 2023 par rapport à 2019.
Mais ce sujet a finalement été relégué au second plan du rassemblement populaire, supplanté par la dénonciation de la «montée de l’extrême droite» en France. Pour la majorité des 20.000 manifestants qui ont déambulé entre la place de la République et Nation, selon la préfecture, elle serait responsable de cette augmentation de crimes et délits racistes. Début février, La France insoumise avait élargi l’appel à la mobilisation pour la transformer en une «manifestation contre le gouvernement Bayrou, l’extrême droite et ses idées». L’appel semble avoir été entendu.
«La France Pétain plomb», «Non à la submersion… par l’extrême droite», «Le fascisme tue»… lit-on sur les pancartes brandies par la foule. Christian, un conducteur de bus à la retraite, constate depuis les élections législatives de l’été dernier que «la parole et les idées de l’extrême droite» sont désormais «décomplexées» dans la société. Guillaume, un étudiant en sciences politiques dans la capitale, observe le même phénomène sur les réseaux sociaux, et en particulier Twitter. «Depuis qu’Elon Musk l’a racheté, je vois beaucoup d’hommes influencés par ces idées liker des posts qui frôlent parfois avec le nazisme», déplore-t-il.
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Clara Hidalgo / Le Figaro
Influences internationales
L’actualité internationale marquée par le retour de Donald Trump au pouvoir et le salut nazi d’Elon Musk alertent ces Français qui craignent que leur influence ne traverse l’Atlantique, si ce n’est pas déjà le cas. «Donald Trump sort les dents de manière assumée, c’est différent de son premier mandat», s’inquiète Valentin Stel, co-directeur de l’association SOS Racisme – visible dans le cortège grâce à leurs célèbres mains jaunes sur lesquelles est inscrit leur slogan historique : «Touche pas à mon pote.» «C’est pourquoi cette marche contre le racisme a une saveur particulière cette année», considère-t-il. Guillaume dénonce des «affinités» politiques entre le président américain et Éric Zemmour, qui avait été convié à son investiture en janvier dernier. Mais aussi les liens entre le Rassemblement national avec un autre parti, européen cette fois : l’Afd allemande, situé à l’extrême droite de l’échiquier politique, qu’il considère comme «un parti néo nazi».
Face à cette situation «alarmante», un grand nombre de manifestants interrogés juge que le gouvernement de François Bayrou «fait le jeu de l’extrême droite». Marie, membre du Parti communiste révolutionnaire depuis 6 ans, qualifie d’«intolérable» le soutien de Bruno Retailleau au «combat» du collectif identitaire Némésis. Le ministre de l’Intérieur avait «félicité» la présidente du groupe, Alice Cordier, avant de revenir sur ses propos quelques jours plus tard, précisant qu’il s’agissait «d’une association qui avait des positions très radicales». La lutte menée par Bruno Retailleau et Gérald Darmanin contre les individus sous OQTF est également pointée du doigt. «Ils nous font croire qu’ils peuvent expulser toutes ces personnes alors qu’on sait que ce n’est pas possible. On ne peut pas poster un policier à chaque coin de rue», peste Valentin Stel, aux pieds du camion sur lequel un militant chante : «Et le RN c’est déguelasse. Et Bardella c’est déguelasse. Et Le Pen c’est déguelasse.»
Sarah Meyssonnier / REUTERS
Une «bêtise»
Même la «gauche a une part de responsabilité» dans cette montée de l’extrême droite, souligne Allan, un étudiant en école d’arts venu d’Annecy. Depuis la dislocation du Nouveau Front Populaire (NFP), les différents partis de gauche ne cessent de s’attaquer, regrettent les militants. Sans compter les dérives de LFI en termes de communication. Cette manifestation s’est en effet déroulée sur fond de polémique autour de la publication, il y a une dizaine de jours, d’une caricature de Cyril Hanouna par le parti de Jean-Luc Mélenchon. Une ressemblance troublante avec des affiches antisémites des années 1930 et de l’Allemagne nazie a provoqué un séisme au sein de LFI, qui a rapidement supprimé cette illustration générée par une intelligence artificielle.
Si les manifestants condamnent cette caricature et reconnaissent une ressemblance avec les affiches antisémites, la plupart des personnes interrogées par Le Figaro minimisent les faits. «C’était une bêtise, ils n’ont pas dû voir la comparaison», veut croire Alice, la vingtaine, qui suggère de «davantage instruire les Français sur l’histoire de l’iconographie en France». Valentin Stel, lui, est plus catégorique. «Comment ont-ils pu valider ça ? C’est gravissime si la personne qui est à l’origine de la caricature n’a pas cette culture historique», s’indigne-t-il. Malgré tout, dans l’esprit de ces militants, Cyril Hanouna reste le présentateur d’une «chaîne d’extrême droite financée par Vincent Bolloré qui veut faire croire que le problème des Français réside dans l’immigration».
La réaction de Jean-Luc Mélenchon à la polémique a davantage choqué les manifestants. «Il n’a pas à s’énerver comme il l’a fait, ça décrédibilise la gauche», souffle Guillaume, en référence à son passage sur le plateau de France 3 durant lequel il s’en est pris au journaliste Francis Letellier. D’autres, comme Christian, condamnent son «culte de la personnalité».
Par peur que cet incident n’éclipse le message politique de la marche, Sophie Binet, la leader de la CGT – l’un des syndicats organisateurs de l’événement – avait promis que des associations de lutte contre l’antisémitisme seraient présentes en «tête de cortège», avant de condamner la caricature des insoumis.
Clara Hidalgo / Le Figaro
Pourtant, des collectifs propalestiniens comme Urgence Palestine ont scandé des slogans antisionistes tels qu’«Israël assassin, Macron collabo», devant un parterre de keffiehs et de drapeaux palestiniens. Quand certains avaient confectionné des pancartes recouvertes d’images d’enfants palestiniens morts sous les bombes, d’autres sont allés plus loin en recouvrant des poupons en plastique de sang. En tête de ce groupe, Elias d’Imzalène, un militant habitué de ce genre de mobilisation, déjà condamné à 5 mois de prison avec sursis pour avoir appelé à «mener l’intifada» dans Paris en septembre dernier. Ce samedi, cet homme à la longue barbe noire a serré d’innombrables mains, tout sourire.
Quelques rares élus de gauche ont toutefois souhaité ne pas être affiliés à la tolérance de LFI envers ces groupes en manifestant pour le racisme et l’antisémitisme. À l’instar de Danielle Simonnet, ex-LFI, qui a fièrement affiché sa divergence avec son ancienne maison politique aux côtés de Clémentine Autain et Alexis Corbière, également deux anciens membres LFI..
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