C’est un étang artificiel dans lequel, malgré la touffeur de ce mois de juin, il est fortement déconseillé de se baigner. « Il y a des boas et des caïmans », prévient Ali-Jean Coubeou, agriculteur. Avec l’arrivée prochaine des pluies, les quelques mètres de plage bordant l’eau boueuse devraient être engloutis et le bosquet, au loin, en partie immergé. Lorsqu’il est plein, cet étang occupe 5 hectares. Il a été créé en 2013, à proximité du village de Yébessi, situé au centre du Bénin, dans le cadre d’un programme d’édification de retenues d’eau mené par Caritas Parakou, partenaire du Secours Catholique.
Depuis plusieurs décennies, le Bénin, comme la plupart des pays de la région, est confronté au réchauffement et à de fortes variations climatiques : outre les températures qui augmentent, la saison pluvieuse, celle des cultures, se raccourcit et les pluies sont de plus en plus irrégulières et brutales. Les effets sont multiples : pertes de rendement, dégradation des sols liée à l’érosion, raréfaction des ressources hydriques du fait de l’évaporation et de l’ensablement du lit des cours d’eau… Ils ont pour conséquence un appauvrissement des ménages, qui vivent dans leur grande majorité de l’agriculture, et la multiplication de conflits autour de l’accès à l’eau.
Maîtrise de l’eau
Face à ces enjeux socio-économiques, Caritas Parakou mène des actions au niveau local pour permettre aux populations de continuer à vivre sur leur territoire. Parmi les chantiers principaux, la maîtrise de l’eau. À Yébessi, la création du bassin, vaste abreuvoir pour les troupeaux, a contribué à diminuer les conflits récurrents entre agriculteurs locaux et éleveurs en transhumance dont les bêtes piétinaient les champs à la recherche de marigots.
Elle a aussi permis de développer des cultures de contre-saison – c’est-à-dire en dehors des mois pluvieux –, du maraîchage essentiellement. « On le faisait par le passé, mais comme l’eau est devenue de plus en plus rare et qu’il fallait aller la chercher en creusant des trous de plus en plus éloignés, on avait arrêté », raconte Myriam Bamisso, agricultrice. Ces cultures maraîchères sont l’occasion pour les paysans de produire presque tout au long de l’année, pour se nourrir et pour vendre, palliant ainsi les éventuels déficits de leurs cultures céréalières.
Dans le village de Kabo, à quelques dizaines de kilomètres de Yébessi, elles sont sept femmes à s’activer sur la parcelle maraîchère qui s’étend en contrebas de la retenue d’eau. 140 mètres carrés, entourés d’un grillage pour protéger les plants contre les bovins. « Pendant la saison pluvieuse, de juin à septembre, nous aidons nos maris dans les rizières et dans les champs de soja et de maïs, explique Pauline Kouagou. Et au retour de la saison sèche, nous venons cultiver ici des légumes et des condiments, pour notre consommation et pour vendre sur le marché. »
Le supplément de revenu obtenu permet à leur ménage de mettre un peu d’argent de côté pour « payer à temps l’école » et pour « acheter des médicaments en cas de maladie », explique Pauline. La déscolarisation des enfants et l’impossibilité de se soigner sont ici les principaux maux de la pauvreté.
Agroécologie
Les sept maraîchères sont accompagnées par un ingénieur agronome de la Caritas, qui leur apprend à travailler selon la méthode agroécologique : un mode de culture sans intrants chimiques s’appuyant à la fois sur des techniques de plantation et de récolte, et sur la diversification et la complémentarité des espèces végétales. Il s’agit de conserver le sol le plus riche possible pour faire durer sa fertilité tout en diminuant les besoins d’apport en eau et en engrais. « Par exemple, après avoir récolté, nous ne brûlons pas les herbes et les tiges. Nous les laissons se décomposer sur le sol, cela produit du compost », explique Amina Sawekoa.
En guise d’engrais, les maraîchères utilisent les déjections de leurs poules et de leurs cabris. À plus grande échelle, les agriculteurs pourraient se servir de la bouse des bovins en s’arrangeant avec les éleveurs, estime Anicet Aweha, l’ingénieur qui suit les villageois de Kabo.
L’objectif de Caritas Parakou est en effet que la méthode agroécologique soit, à terme, utilisée par les familles paysannes pour leurs grandes cultures de soja, d’igname et de maïs. L’enjeu est double : régénérer les sols épuisés par des années d’utilisation de produits chimiques, et sortir les agriculteurs de leur dépendance aux intrants industriels qui leur coûtent de plus en plus cher et pour lesquels ils s’endettent. « Lorsqu’on a commencé à planter du maïs en 2006, avec un hectare on pouvait remplir une vingtaine de sacs ; en 2019, c’était moins d’une dizaine… La terre est fatiguée », observe Henri, cultivateur.
C’est ce constat qui l’a poussé à s’investir dans le projet de transition agroécologique proposé il y a deux ans par la Caritas. Ils sont aujourd’hui une quinzaine d’agriculteurs du village à y participer, expérimentant pour l’instant ce mode de culture sur une petite part de leurs exploitations. Anicet Aweha en est convaincu : « C’est par la pratique et par les premiers résultats obtenus qu’on peut convaincre de la possibilité et de l’intérêt du changement. »
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