Alimentation, énergie, technologie, construction… À l’heure de la guerre commerciale, l’Europe peut-elle se suffire à elle-même?

Alors que les relations que l’UE entretient avec ces pays sont sur le point de changer, nous nous ­sommes interrogé sur la provenance des produits qui constituent notre consommation de tous les jours, et sur la souveraineté de notre production. Des questions que l’on a posées principalement à des experts de l’association wallonne Écoconso, habituée à analyser nos modes de consommation et attachée à les rendre plus responsables.

Nourriture

L’alimentation est évidemment un poste important et particulier, avec des habitudes de consommation qui varient en fonction des régions, des personnes et des moments de la vie. Elle est en plus assez complexe à analyser, par l’interdépendance des produits qui jouent sur la localité ou non de leur production. Commençons très concrètement par les aliments qui viennent directement en tête lorsqu’on parle de la mondialisation de la nourriture: non, la Belgique ne produira jamais ses ba­nanes ou ses ananas, deux des fruits les plus prisés chez nous et qui proviennent principalement d’Amérique latine. Tout comme les mangues ou les avocats. L’Europe est cependant autosuffisante en agrumes, qui viennent en partie du sud du ­continent (Espagne, Grèce…). Et, a priori, les ­Belges pourront toujours manger les pommes et les poires cueillies au sein du Royaume.

En réalité, l’autosuffisance doit être analysée à l’échelle européenne, l’objectif étant quasi impossible à remplir pour de petites régions. Les résultats sont donc très disparates. Là où la Wallonie a un taux d’auto-approvisionnement de 17 % (selon le projet “Cereal”), la France atteint les 80 %. “Elle est la première puissance agricole européenne, on aurait donc pu penser qu’elle était totalement autonome et exportatrice nette”, explique Renaud De Bruyn sur le site d’Écoconso, qui héberge son travail et vers lequel il nous renvoie.

« Notre dépendance au soja importé est flagrante »

“Le rapport publié en 2023 par l’Union européenne ne donne pas de taux moyen mais on y voit que l’UE est autosuffisante pour beaucoup de produits.” Il invite cependant à pousser la réflexion un peu plus loin, et notamment en ce qui concerne la viande. “L’UE est pour ainsi dire autosuffisante en viande. Ça veut dire qu’on produit environ la même quantité de viande que l’on en consomme. Par contre, elle ne l’est absolument pas pour la nourriture pour les animaux d’élevage. On ne produit pas assez d’aliments pour nourrir notre bétail.” C’est là que nous parlions d’interdépendance. Pour produire de la viande, il faut nourrir les bêtes. Et ce n’est pas être réellement autosuffisant en viande que d’importer la nourriture destinée à l’élevage. “La dépendance au soja importé est flagrante: l’Europe n’est autosuffisante qu’à hauteur de 15 % dans ce domaine. Les engrais sont aussi un des produits pour lesquels l’UE n’est pas autosuffisante.”

Mais faut-il absolument l’être? “La question est plus politique qu’environnementale. Si on importe, c’est aussi parce qu’on exporte. Si on n’importe plus certains produits, pas sûr qu’en contrepartie les pays qui nous fournissaient continuent encore à acheter nos exportations. Toutefois, face aux risques (climatiques, géopolitiques…) qui pèsent sur notre capacité à nous nourrir, nos systèmes alimentaires doivent devenir plus résilients. Cela signifie notamment relocaliser l’alimentation, avec une production locale diversifiée. Mais cela ne signifie pas vivre en autarcie ou être complètement autonome. Certaines régions sont mieux placées que d’autres pour produire certains aliments, il est aussi nécessaire d’avoir des débouchés pour écouler une surproduction et, de manière générale, il est important de continuer à maintenir des échanges.”

« Être autosuffisant en viande en Belgique? C’est possible avec 27 g par personne et par jour… »

Notons que l’impact environnemental d’un aliment souvent n’est pas lié principalement au transport ou à l’emballage.“C’est la culture (et la façon de la faire) qui compte le plus. L’idée est donc que chaque territoire devienne plus résilient, pour avoir un meilleur contrôle sur sa capacité à nourrir sa propre population. Mais cela sans pour autant arrêter toute forme d’échange.”

Pour renforcer la résilience alimentaire, deux solutions: produire ce que l’on ne produit pas (comme les protéines végétales et les engrais pour le bétail) ou adapter notre consommation. Le second point implique, notamment, de diminuer la place de la viande dans notre assiette. “La possibilité d’être autosuffisant en viande (toutes viandes confondues) avec uniquement les ressources belges (pas d’importation de nourriture) a été étudiée. Conclusion: c’est possible avec 27 g par personne et par jour…” Renaud De Bruyn ajoute que les bénéfices seraient mul­tiples, avec davantage d’élevages au sol, un maintien des paysages, plus d’espaces naturels… “On en revient toujours à l’idée de moins et mieux.”

Électronique

L’électronique prend une place gigantesque dans nos vies, et là, l’autosuffisance est un doux rêve tant nous sommes dépendants de pays comme la Chine. “Elle occupe une position prédominante dans l’extraction mondiale des terres rares, représentant 68 % du marché mondial, signale Jonas Moerman, conseiller énergie chez Écoconso. En outre, la Chine conserve un rôle dominant dans la production de graphite (70 % de la production mondiale). La majeure partie de la production de cobalt, environ 74 %, est concentrée en République démocratique du Congo. De même, l’Indonésie contribue pour une part importante à la production mondiale de nickel, représentant 49 % du marché mondial, tandis que l’Australie représente 47 % de la production mondiale de lithium.”

En ce qui concerne les opérations de raffinage, le marché se concentre chaque jour un peu plus. “Par exemple, la Chine détient la moitié de toutes les ­usines chimiques de lithium, l’Indonésie possède près de 90 % des installations de raffinage de nickel, les entreprises chinoises possèdent 15 des 19 mines de cuivre et de cobalt en République démocratique du Congo. La collusion pourrait devenir une source de préoccupation future. Bien qu’il n’existe pas encore d’organisation des pays exportateurs de matières premières critiques équivalente à l’Opep, si les pays exportateurs coordonnent leur pouvoir de marché (par exemple sur les prix ou le commerce), cela pourrait représenter un risque important pour les importateurs très dépendants comme l’UE ou le Japon.”

Énergie

Constamment, ou presque, dans la tête des ­consommateurs depuis la flambée des prix en 2022, et nœud des tensions géopolitiques, l’énergie est aujourd’hui le nerf de la guerre. C’est pour cela que nous lui consacrons un papier à part dans ce dossier. Mais petit rappel en préambule: quand la Russie a lancé son attaque en Ukraine, l’UE a diminué sa part d’importation de gaz russe. Une baisse compensée par le recours à l’énergie américaine et norvégienne. L’Europe est également très dépendante des Américains et du Moyen-Orient en matière de pétrole. Elle est par contre de plus en plus efficace en matière d’énergie renouvelable, sans pourtant pouvoir assurer une autosuffisance actuellement, loin de là.

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