« Saint-Dominique se trouvait dans un quartier très privilégié, en ville, à Neuilly. Si ça a pu se produire à Saint-Do, ça a pu se produire n’importe où. » Le constat de Constance Bertrand est glaçant. Ancienne élève de l’institution catholique dans les années 90, elle a créé le collectif des victimes de Saint Dominique de Neuilly le 12 mars.
L’élément déclencheur se situe dans la médiatisation des violences et viols subis par les anciens élèves de Bétharram dans le Béarn. Et l’émergence d’un nom. Celui que les enfants de Bétharram surnommaient « Cheval ». Cet homme que nous appellerons Monsieur S. est à ce jour l’objet de 88 plaintes dont 26 pour viol. Si les faits sont prescrits concernant les anciens de Bétharram, ils ont rappelé à ceux de Saint Dominique de douloureux souvenirs. « Il administrait des gifles, tirait les oreilles jusqu’à les décoller », énumère Constance Bertrand.
Guillaume* a témoigné au sein du collectif des victimes de Saint-Do. Le garçon était alors scolarisé en 4e ou en 3e, et alors qu’il se battait avec un autre élève, il est « attrapé par le censeur ». Le fameux Monsieur S. « Il nous a saisis tous les deux par la nuque en serrant fort pour nous faire mal et il nous a frappés tête contre tête en disant » Ah, vous voulez vous battre ? » » Guillaume évoque également les « méthodes d’interrogatoires » dans son bureau. L’homme, censeur pour le collège et le lycée de Saint-Do de 1989, après son licenciement de Bétharram, jusqu’à 1997, enfermait les élèves dans des pièces séparées pour les pousser à dénoncer d’autres élèves. « Il nous passait à la moulinette ».
Monsieur S. m’a attrapée par le col de mon t-shirt et assommée d’une gifle retentissante
En juin 1993, Marie est en terminale. Ce sont les derniers jours de classe et avec ses camarades, des batailles d’eau sont organisées. « J’étais dans le couloir à deux pas des escaliers et Monsieur S. m’a attrapée par le col de mon t-shirt et assommée d’une gifle retentissante qui m’a fait faire un tour sur moi-même. » La jeune fille n’en avait parlé à personne.
Jonathan, lui, a osé s’exprimer. « En 6e, j’ai subi la violence d’autres élèves, des grands en terminale, se souvient-il. J’étais aux toilettes quand ils m’ont attrapé et suspendu par les pieds à la fenêtre. J’ai cru mourir. » L’incident, traumatique pour Jonathan, semble durer une éternité. Quand enfin, il est ramené sur le carrelage des WC de l’école, il fond en larmes, et reste incapable de bouger de longues minutes. Puis il décide d’aller raconter ce qu’il a vécu : « Pour moi, les adultes étaient là pour nous protéger, mais Monsieur S., le censeur m’a fait sentir coupable d’être au mauvais endroit, insistant sur le fait que je n’aurais jamais dû me trouver là. »
Mais pire encore, Cheval, « couvrait les agissements d’autres membres de l’établissement », dénonce Constance Bertrand. Jonathan en a fait les frais, de même que deux autres garçons. « Ce jour-là, en 6e ou en 5e, il y avait un tournoi de foot. À plusieurs reprises, le frère C. R., qui était nouveau, est venu me caresser les épaules, le dos. Je me souviens avoir pensé que ce n’était pas une caresse normale », raconte Jonathan. Il tente d’éviter le religieux mais dans la journée, il revient plusieurs fois à la charge. Le garçon s’en ouvre plus tard à des copains qui lui racontent la même chose. « On a décidé d’aller en parler à Monsieur S. et Madame B., censeure du collège, et leur réaction nous a saisis », lâche Jonathan.
La colère gronde chez les anciens élèves de Saint-Do
« Monsieur S. a expliqué que le frère C. était nouveau et qu’il tentait de se faire accepter. Il a ajouté que » de toute façon, les hommes d’Église manquent d’affection, c’est pourquoi, ils se tournent vers les enfants « , se remémore Jonathan. À l’époque, la parole d’adultes ne peut pas être contestée. Ce n’est que des années plus tard, avec mon regard d’adulte que j’ai compris que rien de tout cela n’était normal. » Jonathan n’osera en parler à personne d’autre, le censeur le menaçant de graves conséquences s’il évoquait ces caresses par ailleurs. « J’avais trop peur de me faire virer ».
Son témoignage n’est malheureusement pas isolé. Le collectif a identifié sept membres de l’équipe pédagogique de Saint Dominique agresseurs. « Il y a la maîtresse tortionnaire, le maître qui, a minima, caressait les filles sous les jupes, au moins un viol, énumère Constance Bertrand. À ce jour, une plainte a été déposée et deux sont en cours. Et puis, il y a le traumatisme pour les autres. Un ancien élève m’a expliqué avoir vu un maître caresser une camarade, un autre se masturber pendant l’exposé d’une élève, et aujourd’hui, cet ancien élève est écrasé par la culpabilité de n’avoir pas osé parler. Mais beaucoup vivaient dans la peur des conséquences. »
La colère gronde chez les anciens élèves de Saint-Do qui ont découvert qu’en 2019, le frère C. R. de la communauté de Saint-Jean a été condamné à six mois de prison pour détention d’images à caractère pédopornographique. « Entendre ça, c’est insupportable », martèle Constance Bertrand qui témoignera pour le collectif des victimes de Saint Dominique de Neuilly devant la commission d’enquête parlementaire de prévention des violences dans les établissements scolaires ce jeudi 20 mars, aux côtés des collectifs des victimes de Notre Dame de Bétharram, de Notre Dame du Sacré-Cœur de Dax, de Notre Dame de Garaison, du collège Saint-Pierre Relecq-Kerhuon, du Bon Pasteur d’Angers, de Saint-François-Xavier d’Ustaritz et de Riaumont de Liévin.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des victimes.
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