Attention, le prix du cacao payé aux producteurs ivoiriens et ghanéens est fixé par leur gouvernement
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Le prix du kilogramme de cacao explose en ce moment sur le marché international et cette flambée inédite profite aux cultivateurs de pays africains comme le Cameroun, mais peu à ceux de Côte d’Ivoire et du Ghana, pourtant les principaux pays producteurs. Cette différence de tarif suscite l’incompréhension de plusieurs internautes qui accusent la France d’en être la responsable, affirmant à tort que l’ancienne puissance coloniale fixe le cours du cacao ivoirien. Mais c’est faux, le prix payé aux producteurs est fixé à l’avance par l’Etat ivoirien, pour garantir un niveau de rémunération stable à ces derniers; contrairement au Cameroun, où le marché est libéralisé, laissant les cultivateurs à la merci des cours mondiaux, pour le meilleur comme pour le pire.
L’Afrique subsaharienne produit plus de 70% de la récolte mondiale de cacao, selon de récentes données de l’organisme français de recherche agronomique, Cirad. La Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria, le Cameroun sont les principaux pourvoyeurs de fèves aux géants mondiaux de l’industrie du cacao et de la chocolaterie que sont entre autres, le singapourien Olam, le suisse Barry Callebaut et l’américain Cargill. Mais les planteurs de ces pays profitent différemment des bénéfices de la cueillette. Cette année, malgré la flambée record du cours de l’ingrédient du chocolat sur le marché international, ceux de la Côte d’Ivoire et du Ghana grincent les dents tandis que ceux du Cameroun se frottent les mains.
Le cours de la tonne de l’or brun a dépassé les 10.000 dollars (9200 euros) sur le marché boursier de Londres, soit environ 6000 francs CFA le kilogramme (dépêche AFP archivée ici). Une hausse inespérée pour les cultivateurs du Cameroun où le kilogramme est actuellement vendu à plus de 4000 Fcfa, le triple du tarif pratiqué au cours de la saison 2022-2023.
En revanche, en Côte d’Ivoire, le prix du kilogramme estimé à 1000 Fcfa en mars a été homologué à 1500 Fcfa début avril par le ministère de l’agriculture et publié plus tard sur le site web du Conseil ivoirien du café-cacao (archivé ici). Cette mesure survient après une rencontre le 27 mars entre le ministre et des syndicats de producteurs de cacao qui annonçaient une grève pour le lendemain (reportage d’un média local archivé ici).
Le tarif de 1500 Fcfa est aussi appliqué au Ghana selon une récente décision du Conseil ghanéen du cacao (communiqué de presse archivé ici).
Le kilogramme de cacao qui y coûtait 20,928 cédis ghanéens (GHS) soit 957,65 Fcfa (1,47 euro) est passé à 33,120.00 cédis ghanéens soit 1515,54 Fcfa ( 2,32 euros).
Ces deux pays ont par ailleurs signé un accord de siège en août 2021 pour réguler communément les revenus reversés aux producteurs.
Cet écart dans les prix de vente en ce moment inquiète plusieurs internautes sur Facebook qui voient « le dictat de la France » l’ancienne puissance coloniale, très critiquée sur les réseaux sociaux africains.
En réalité, en Côte d’Ivoire et au Ghana (par ailleurs, une ancienne colonie britannique), le prix du cacao est contrôlé par l’Etat.
Les deux pays rémunèrent les producteurs à un montant fixé au début de la saison cacaoyère. Ce tarif minimum ne dépend pas des fluctuations du marché international.
Ce n’est pas le cas du Cameroun où la filière cacao est libéralisée et livrée au contrôle des cultivateurs et des acheteurs.
Système de vente par anticipation
Lors d’une conférence de presse 2 avril 2024 marquant le lancement de la saison, le ministre ivoirien de l’agriculture, Kobenan Kouassi Adjoumani, a souligné que « la filière café-cacao est le fer de lance de l’économie Ivoirienne, pour sa contribution à plus de 40% des recettes d’exportation et plus de 15% du PIB ».
Dans son discours dont l’AFP a obtenu copie, il a évoqué le système de vente par anticipation du cacao qui prévaut en Côte d’Ivoire. « 80% de la production ivoirienne est vendue à l’avance aux leaders mondiaux. La quantité et les prix sont estimés à l’avance et c’est la livraison qui se fait plus tard. Cela permet à l’Etat de déterminer un prix de référence », explique à l’AFP, l’économiste ivoirien Séraphin Prao Yao pour qui cette mainmise de l’Etat correspond à un modèle de gestion « hybride ».
Il énumère en effet trois sytèmes de gestion du secteur cacao proposés aux paysans. Il note « le système étatique où l’Etat finance les intrants et autres soutiens techniques aux paysans, contrôle et achète la récolte. Il la vend ensuite aux opérateurs et reverse une partie de l’argent aux producteurs. »
M. Prao cite un second modèle qui est libéral et où l’État laisse les paysans à leur propre sort. Entre ces deux systèmes polaires, il identifie un système hybride. « Dans ce cas, l’Etat ne s’immisce pas dans la vente directe, il essaie de réguler. Il exige par exemple une licence et des taxes d’exportation aux entreprises privées qui achètent auprès des planteurs et des coopératives ».
Au Cameroun, le modèle est libéral. « Il s’est libéralisé depuis des décennies avec la fermeture de l’Oncpb- office national de commercialisation des produits de base- en 1991 et l’essoufflement des organes de régulation de la filière cacao comme la Sodecao », souligne Frédéric Mouen, promoteur de Abbia Cocoa, une entreprise investie dans la production et la commercialisation du cacao au Cameroun, contacté par l’AFP le 6 avril.
En effet, une édition ancienne (archivée ici) d’un magazine publié sur le site de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), explique que l’Oncpb faisait partie de plusieurs organes de structuration de la filière cacao-café alors florissante au Cameroun.
Ces organes appelés « joyaux du prince » ont été fermés après « des années d’atermoiement » à cause des perspectives du secteur du café et du cacao « plutôt sombres et les finances publiques exsangues ».
Pour l’heure, M. Mouen ne boude pas les retombées de cette libéralisation du secteur et dit se réjouir que la hausse du cours du cacao en ce moment, profite directement aux agriculteurs.
« Cette hausse est vraiment inattendue », affirme à l’AFP Christian Gabriel Ngomb, un cacaoculteur opérant dans un village du centre du Cameroun. Le coût du kilogramme le plus important qu’il ait connu s’élève à 1800 Fcfa, en 2015. « Ensuite, nous avons enregistré une baisse drastique des prix qui oscillaient entre 800 et 900 Fcfa le kilogramme bord champ« , soupire-t-il, disant profiter de l’augmentation en cours pour entamer la construction d’une maison.
Critiques sur les politiques de fonctionnement de la filière cacao
« L’Etat n’aide pas et cette année pour une fois, ce sont les planteurs qui bénéficient à 100%. Contrairement aux autres pays, l’argent va directement dans leurs poches », jubile Frédéric Mouen, non sans déplorer les effets du désengagement de l’Etat sur la qualité du cacao local.
Séraphin Prao Yao émet lui aussi des réserves sur le système « hybride » qui régule la filière cacao en Côte d’Ivoire. Il le trouve « rigide » et « inadapté » aux conditions du marché international. « Un système ne doit pas être immuable, rigide, il doit être flexible », martèle-t-il, arguant que « l’Etat doit actualiser les prix au moins deux fois par an, en fonction des fluctuations du marché ».
Pour lui, la flambée actuelle devrait « largement » profiter aux planteurs. Il dit craindre que le contraire accentue « une crise de confiance entre l’Etat et les agriculteurs et baisse davantage l’intérêt pour la cacaoculture et par conséquent la production locale ».
Contre les sceptiques, le ministre ivoirien de l’agriculture vante le choix de la stabilisation du prix du cacao. « Notre pays a déjà expérimenté le système libéralisé dont les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. En effet, les douze années de stabilisation (2011-2023) ont permis d’obtenir, avec les ventes anticipées, un prix CAF moyen/kg de 1 428 Fcfa, contre 1 076 Fcfa servi lors des campagnes où régnait le système libéralisé », argumente-t-il.
Kobenan Kouassi Adjoumani soutient qu’ à l’époque du système libéral, le cacao ivoirien a souvent été « payé à moins de 500 Fcfa ». Il loue leur système basé sur la vente par anticipation d’une bonne partie de la récolte, qui selon lui, « a très bien fonctionné depuis 2012, et a permis de procurer des revenus rémunérateurs aux producteurs ivoiriens de café et de cacao, dans un contexte international caractérisé par des prix faibles. »
L’agriculteur camerounais Christian Ngomb, lui, dit se retenir de se moquer de ses collègues ivoiriens qui ne font pas de bonnes affaires comme lui cette année. Il use de prudence, car pense-t-il, l’instabilité des prix du cacao au Cameroun augure aussi des lendemains incertains.
Baisse de récoltes
La flambée actuelle du cours du cacao est due à plusieurs facteurs. Les volumes de récoltes ont notamment baissé en Côte d’Ivoire et au Ghana, les principaux pays producteurs mondiaux de cabosses à cause de maladies et conditions météorologiques difficiles.
« L’année dernière, ces pays ont connu des conditions météorologiques difficiles, notamment une chaleur intense, qui a eu un impact négatif sur la production« , explique Ole Hansen, analyste pour la banque d’investissement danoise Saxobank, dans cette dépêche de l’AFP publiée en mars 2024 (archivée ici).
Pourtant, à eux deux, ils ont fourni près de 60% de la production totale pour la récolte de 2022/23, selon les estimations de l’Organisation internationale du cacao (ICCO).
Mais depuis janvier 2024, l’Afrique de l’ouest bat des records de chaleur attribués au phénomène météorologique El Nino: en Côte d’Ivoire, ils perturbent l’agriculture qui représente un quart du PIB et plus de la moitié des emplois.
Après les pluies de l’an dernier, c’est cette fois les fortes chaleurs qui affectent la récolte du premier producteur mondial de cacao (près de 45%).
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