Combien de temps encore durera la transition militaire dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso ? A Ouagadougou, la question devrait être tranchée par les assises nationales, organisées samedi 25 et dimanche 26 mai, pour déterminer la durée durant laquelle le chef de la junte restera au pouvoir.
Préparée dans l’opacité la plus totale, la consultation est censée rassembler « les forces vives de la nation », selon le régime militaire qui tient le pays depuis le putsch de septembre 2022. Mais les organisations de la société civile jugées trop contestataires n’ont pas été conviées. Quant aux partis politiques, ils n’ont eu que quelques heures pour désigner leurs représentants – dix pour l’ex-majorité, dix pour l’ex-opposition.
Le capitaine Traoré suit la méthode lancée par son voisin malien, le colonel Assimi Goïta, au pouvoir depuis bientôt quatre ans. Clos le 13 mai à Bamako, le dialogue intermalien, boycotté par les partis politiques et une large frange de la société civile, avait recommandé une prolongation de la transition allant de deux à cinq ans. La tactique visant à poser, en organisant ces consultations dites populaires, un vernis démocratique sur les ambitions politiques des régimes militaires en place, a depuis été copiée par tous les putschistes installés au pouvoir en Afrique de l’Ouest, tant en Guinée qu’au Niger et jusqu’au Gabon.
A Ouagadougou, les soutiens de la junte martèlent dans les rues et les réseaux sociaux qu’il faut que le capitaine reste au pouvoir entre cinq et dix ans au minimum, alors que son régime est accusé de piétiner les libertés fondamentales. « De graves menaces de mort sont proférées sur les réseaux sociaux à longueur de journée contre les délégués des partis politiques pour leurs opinions présumées », s’est insurgée l’Alliance des partis et formations politiques de l’ex-majorité présidentielle (APMP) dans un courrier adressé mercredi aux autorités. Dans cette missive restée sans réponse, la coalition réclame la levée de la suspension des activités des partis politiques, interdites depuis le putsch, le report de la date des assises et des garanties de sécurité pour ses participants.
« Conclusions connues d’avance »
Comme l’APMP, plusieurs organisations de la société civile ont appelé à boycotter ces assises. Dans un communiqué publié le 21 mai, le mouvement Servir et non se servir (SENS), a ainsi dénoncé « la forfaiture qui se prépare et qui n’a d’autre but que de donner un blanc-seing illégitime à des autorités qui n’ont que le mérite de la force arbitraire ». « Les conclusions sont connues d’avance. Aucun acteur crédible ne devrait s’en rendre complice », poursuit l’association, avant de réclamer comme préalable à la tenue de ces assises « l’arrêt des menaces et intimidations des voix considérées comme critiques » et la « libération immédiate et sans conditions de toutes les personnes enlevées » par la junte.
Parmi elles, le coordonnateur national de SENS, Me Guy Hervé Kam, détenu par la sûreté d’Etat depuis son rapt par des hommes en civil fin janvier, en dépit de la décision de justice ayant ordonné sa libération immédiate, début mars. Ou encore l’influent homme d’affaires Sansan Anselme Kambou, qui reste porté disparu depuis son enlèvement mi-septembre par des agents du renseignement burkinabé, tout comme le lieutenant-colonel Evrard Somda. L’ancien chef d’état-major de la gendarmerie avait pour sa part été enlevé mi-janvier à son domicile par des individus armés.
Enlèvements par les services secrets, enrôlements de force au côté de l’armée pour aller se battre contre des groupes djihadistes qui ne cessent, depuis 2015, de proférer des menaces de mort sur les réseaux sociaux… Depuis leur arrivée au pouvoir, les militaires burkinabés ont réduit les voix contestataires au silence. Seuls les soutiens sont autorisés à manifester. Le 11 mai, quelques milliers d’entre eux se sont réunis dans un stade de la capitale pour réclamer une prolongation de la transition allant de cinq à dix ans, voire un pouvoir à vie pour le jeune capitaine de 36 ans.
Depuis début mai, des affichettes appelant les Burkinabés à se rassembler les 25 et 26 mai devant la salle de conférences de Ouaga 2000 où sont organisées les assises pour « dire oui à la prolongation » de la transition sont diffusées en ligne. Le Front pour la défense de la République (FDR), une organisation de la société civile créée en avril 2024 pour s’opposer au pouvoir d’Ibrahim Traoré, a lui aussi appelé ses partisans à investir les abords de la salle, afin de « dire non au pouvoir à vie » de la junte, « réclamer des assises démocratiques et populaires » et « dire [son] rejet de la dictature ».
Des Russes en treillis à Ouagadougou
La crainte d’affrontements plane. « Depuis mercredi [22 mai], les soutiens du régime ont pris d’assaut les alentours de la salle de conférences. Ils y campent jour et nuit et font des vidéos dans lesquelles ils menacent ouvertement toute personne qui voudrait se rendre aux assises et qui aurait des idées contraires à celles de maintenir Ibrahim Traoré au pouvoir », relate un cadre du Balai citoyen, l’association qui fut le fer de lance du soulèvement populaire ayant mené à la chute du président Blaise Compaoré il y a dix ans.
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Dans un message interne diffusé mardi et consulté par Le Monde, l’état-major a « relevé le niveau d’alerte » sur tout le territoire « dans le cadre du déroulement des assises ». A Ouagadougou, le contexte sécuritaire est particulièrement tendu depuis que des coups de feu ont été tirés aux abords de la présidence, en plein centre-ville, le 17 mai. Selon la version officielle, donnée par l’agence d’information du Burkina (AIB), « un individu au comportement indélicat » a « tenté de s’attaquer à la sentinelle en poste au palais présidentiel », mais l’incident fut « très vite maîtrisé » et « aucun dégât n’est à déplorer ». Une version remise en doute par plusieurs sources sécuritaires, qui évoquent quant à elles la thèse d’un règlement de comptes interne entre soldats, sur fond de tensions au sein de l’armée.
Mais le chef de la junte sait protéger ses arrières. Le 18 mai, plus d’une centaine de Russes en treillis, membres de l’Africa Corps – le nouveau label de la présence paramilitaire russe depuis la mort en juillet 2023 d’Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, – ont débarqué à Ouagadougou, selon un témoin oculaire et plusieurs sources sécuritaires et humanitaires. Un contingent qui vient renforcer le premier d’une centaine d’hommes, qui était arrivé dans la capitale fin janvier. Contactées, les autorités burkinabées n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde.
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