Le régime du capitaine Ibrahim Traoré est-il en train de vaciller ? Depuis l’explosion d’une roquette mercredi 12 juin aux abords de la présidence située au centre-ville de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, les rumeurs faisant état d’une contestation croissante au sein de l’armée contre le président de la transition persistent.
Ces derniers jours, les équipes de communication de la junte se sont attelées à minimiser l’explosion du 12 juin, immédiatement qualifiée de simple « incident de tir » par la télévision nationale sur sa page Facebook. « Le projectile est malheureusement tombé dans l’enceinte de la télévision nationale causant deux blessés légers rapidement pris en charge par le service de santé de la présidence », a souligné le média d’Etat, tandis qu’à quelques mètres de là, le capitaine Traoré était exfiltré du conseil des ministres en cours qui se tenait à la présidence. Dans la foulée, le chef d’état-major des armées a ordonné la « mise en alerte générale de tous les détachements » selon un message interne ayant fuité sur les réseaux sociaux.
Le 17 mai, la même confusion avait régné après un échange de tirs à la présidence que les médias d’Etat avaient déjà qualifié d’« incident de tir ». Plusieurs sources sécuritaires avaient quant à elles évoqué un mouvement d’humeur de militaires.
Cette fois encore, les autorités se sont murées dans le silence. Pendant 48 heures, le capitaine Traoré n’est pas apparu en public, alimentant les rumeurs quant à sa possible exfiltration de la capitale suite à une tentative de putsch. L’une des hypothèses était qu’il se soit réfugié au camp Loumbila, à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, où se sont installés les paramilitaires russes de Wagner.
Deux jours plus tard, celui-ci est apparu serein et souriant dans une vidéo diffusée à la télévision nationale vendredi 14 juin. On y voit le chef de la junte donner son sang dans des locaux présentés comme étant ceux du palais présidentiel, à l’occasion de la journée mondiale du don du sang.
Fronde grandissante au sein de l’armée
Mais, sur les réseaux sociaux, des internautes doutent de l’authenticité de ces images, tout comme de celles, diffusées le même jour par le suprémaciste noir prorusse Kemi Seba sur son compte X (anciennement Twitter), de sa rencontre avec le chef de la junte. La présence du capitaine Traoré à la prière de la Tabaski sur un terrain de l’université de Ouagadougou, relayée dimanche 16 juin par plusieurs médias d’Etat, photos à l’appui, a également été remise en question par plusieurs sources locales.
Certaines de ces photos ont-elles réellement été trafiquées, puis publiées par les autorités afin de rassurer les Burkinabés ? A Ouagadougou, les sources qui osent encore s’exprimer – en réclamant systématiquement l’anonymat – sur la réalité de la situation politique et sécuritaire du pays se raréfient à mesure que la junte accélère son virage autoritaire. Toutes craignent d’être menacées, enlevées, incarcérées ou envoyées de force au front par la junte, comme l’ont été avant elles des dizaines de voix critiques ces derniers mois.
Plusieurs sources sécuritaires ouest-africaines et européennes travaillant sur le Burkina Faso ont toutefois confirmé au Monde Afrique l’existence d’une fronde grandissante au sein de l’armée contre le capitaine Traoré. Un mécontentement qui s’est affirmé suite à l’attaque djihadiste perpétrée le 11 juin contre le camp militaire de Mansila, dans le nord-est du pays.
Velléités de putsch ?
Au moins 107 soldats ont été tués dans cet assaut d’ampleur, revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida) dimanche 16 juin, mais dont le régime n’en a pour l’heure pas dit un mot.
« Ce manque de considération a révolté certains militaires et nourrit une frustration qui monte depuis plusieurs mois. De plus en plus de soldats s’opposent à la stratégie militaire d’Ibrahim Traoré et à sa volonté de s’accrocher au pouvoir pendant qu’eux meurent par dizaines, par centaines au front », souligne une source sécuritaire occidentale basée au Sahel.
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Ibrahim Traoré sait mieux que personne que sa mauvaise gestion de la situation sécuritaire pourrait lui être fatale. Le motif a été l’un des principaux invoqués lors des renversements des deux derniers chefs d’Etat – le président élu Roch Marc Christian Kaboré en janvier 2022, puis le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba en septembre de la même année. La mémoire de ces précédents suffira-t-elle à écarter les velléités de putsch, alors que la junte a déjà annoncé en avoir déjoué plusieurs depuis son arrivée au pouvoir ? Au sein de l’armée, les lignes de fracture se multiplient.
Ces derniers mois, plusieurs sources sécuritaires et humanitaires au Sahel rapportent que la « méthode Traoré » faite de disparitions forcées d’officiers jugés contestataires, de gestion clanique de l’appareil d’Etat et de multiplication des exactions à l’encontre des civils dans le cadre des opérations militaires antiterroristes, tout comme le déploiement des paramilitaires russes, ne fait pas l’unanimité au sein de l’armée.
Samedi 15 et dimanche 16 juin, trois atterrissages successifs sur le tarmac de l’aéroport de Ouagadougou d’un même avion russe Iliouchine II-76 en provenance de Gao, ville du nord du Mali où les mercenaires russes sont également déployés, a continué à alimenter le climat de tension et d’incertitudes.
Selon les spécialistes du suivi des vols ayant rapporté sur le réseau social X ces rotations aériennes, le même Iliouchine II-76 avait déjà transporté par le passé des mercenaires de Wagner en Afrique. Alors qu’une première salve d’une centaine de paramilitaires russes a déjà débarqué dans la capitale burkinabée fin janvier, plusieurs sources sécuritaires et humanitaires internationales craignent aujourd’hui que la junte ne cherche qu’à renforcer sa propre protection contre toute velléité de renversement au sein de la troupe.
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