Derrière le calme apparent constaté dans les rues de Ouagadougou mardi 18 et mercredi 19 juin au matin, la contestation monte dans les casernes du Burkina Faso contre l’autorité du capitaine Ibrahim Traoré. Selon des sources concordantes, mercredi 19 juin au matin, le chef de la junte restait caché dans un endroit inconnu et des pourparlers entre soldats sont en cours pour décider de l’avenir du régime. Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat le 30 septembre 2022, « IB », comme le surnomment les Burkinabés, aurait été exfiltré in extremis après l’explosion d’une roquette, il y a une semaine, aux abords de la présidence.
Dans un communiqué non signé, diffusé mardi 18 juin dans la soirée, l’état-major des armées a démenti l’existence de « mouvements d’humeur et de mutinerie dans certaines casernes militaires », dénonçant des « informations infondées et mensongères » lancées dans l’objectif de « créer la psychose dans l’opinion publique ».
Dans le même temps, un document intitulé « Appel à tous les soldats » a circulé sur les réseaux sociaux. Rédigé par un groupe se présentant comme « les patriotes combattants militaires, VDP [Volontaires pour la défense de la patrie, les supplétifs de l’armée], policiers, gendarmes », le texte appelle « tous les soldats à rester mobilisés pour finir avec ce régime ».
« Les autorités mentent aux gens »
« A bas les militaires politiciens. (…) On ne veut plus de IB au pouvoir », peut-on y lire. Les auteurs de ce document dénoncent la mort de centaines de soldats au front pendant que, à Ouagadougou, « les autorités mentent aux gens », « cachent pour enterrer les combattants comme des moutons » et que les militaires proches de la junte « ont tout le matériel et l’argent ».
Alors que les partisans et les détracteurs du régime se livrent à une guerre de communication, l’authenticité de ce document n’a pas pu être confirmée par Le Monde. Toutes les sources contactées rapportent toutefois que les motifs de la colère des soldats sont les mêmes que ceux décrits dans ce texte.
L’attaque djihadiste qui, selon le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida), a fait plus de 107 morts dans les rangs de l’armée le 11 juin à Mansila, au nord-est du pays, a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », glisse l’une d’entre elles. Cette action terroriste serait l’un des plus meurtrières ayant visé les soldats burkinabés depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Traoré.
La junte n’en a cependant pas dit un mot officiellement. « Les soldats meurent comme des chiens, dans l’anonymat total. Ils sont enterrés sur les lieux des assauts, sans deuil national, ni cérémonie. Le régime ne donne même plus de bilan des attaques. Ça a révolté les soldats », explique une source sécuritaire ouest-africaine.
Rébellion ?
Les attaques d’Inata en novembre 2021 – plus de 50 gendarmes tués – et de Gaskindé en septembre 2022 – 27 militaires et 10 civils abattus – avaient coûté le pouvoir aux présidents Roch Marc Christian Kaboré, puis au lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, tous deux démis par un putsch.
Selon nos informations, pour éviter de subir le même sort, le capitaine Traoré a tenté d’envoyer des unités militaires en renfort à Mansila afin de récupérer les corps des soldats et de reconquérir la base militaire, passée sous contrôle du GSIM. Plusieurs sources affirment toutefois que les militaires ont refusé de s’y rendre, symptôme de la défiance qui, selon elles, a gagné plusieurs casernes, au nord, au centre comme au sud du pays ces derniers jours.
A Ouagadougou, c’est une altercation entre éléments de la garde rapprochée du capitaine Traoré, au sein du palais qui aurait mis le feu aux poudres, le 12 juin. Alors qu’à l’intérieur du bâtiment officiel situé au centre-ville de la capitale le chef de la junte présidait un conseil des ministres, des dissensions auraient éclaté entre soldats en poste dans la cour, entraînant un tir de roquette. Si les médias d’Etat s’étaient empressés de minimiser l’événement, le qualifiant de simple « incident de tir », nos sources soutiennent qu’une partie de ces jeunes militaires se sont en réalité rebellés contre l’autorité du capitaine Traoré.
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Certaines évoquent le favoritisme dont bénéficieraient les éléments proches du président pour expliquer cette grogne. « D’autres militaires, eux aussi opposés au capitaine, tentent de récupérer la colère des jeunes de la garde. Des tractations sont en cours, dans l’objectif de structurer un coup d’Etat. Mais, pour l’instant, ils n’arrivent pas à dégager un leadership, d’où le silence de ces derniers jours », soutient une source sécuritaire burkinabée.
Plusieurs personnalités de larmée, issues de différents corps de l’armée, ont également été enlevés et incarcérés par le régime ces derniers mois, alimentant la colère dans les casernes.
Les quatre rotations effectuées par un avion Iliouchine II-76 entre le Mali, pays voisin où sont déployés les paramilitaires russes de Wagner, et Ouagadougou, entre samedi 15 et lundi 17 juin, soulèvent des interrogations quant à l’éventuelle arrivée de mercenaires russes et de militaires maliens au Burkina Faso. En janvier, plus d’une centaine de paramilitaires russes avaient débarqué de ce même modèle d’avion sur le tarmac de l’aéroport de la capitale burkinabée.
Ibrahim Traoré a-t-il suffisamment de cartes en main pour rétablir son autorité ? A Ouagadougou, les Burkinabés ont les yeux rivés sur le conseil des ministres, prévu ce mercredi 19 juin. D’ordinaire présidé par le chef de la junte au palais, les conditions de sa tenue ou son report – déjà suggéré par des activistes proches du régime sur les réseaux sociaux –, devraient éclairer sur le sort du capitaine.
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