Le Premier ministre gabonais Raymond NDONG SIMA ouvre les travaux du IIIe Forum Europe-Afrique de La Tribune à Marseille, le 7 mai 2024. © Steve Lorcy
Nommé en septembre dernier à la tête du gouvernement de transition au Gabon, l’économiste Raymond NDONG SIMA était l’invité vedette du 3e Forum Europe-Afrique organisé par La Tribune au Palais du Pharo à Marseille, sur le thème : « Explorer, investir, réussir ». Entretien exclusif.
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Propos recueillis par notre envoyé spécial à Marseille,
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse
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AfricaPresse.paris (APP) – Quelles sont vos priorités pour le Gabon à la tête de ce gouvernement de transition ?
Raymond NDONG SIMA – La transition a été mise en place pour la restauration des institutions dans notre pays. C’est donc notre priorité, clairement déclinée par le groupe de militaires qui a organisé cette transition. Un dialogue national inclusif a déjà eu lieu et ses conclusions ont été remises au chef de l’État, le général Brice Oligui Nguema, Président de la Transition, il y a un peu plus d’une semaine. Donc, le processus se poursuit.
APP – Déjà Premier ministre de 2012 à 2014, vous êtes un économiste aujourd’hui chargé de remettre le pays à flot. Mais – comme vous venez de le souligner à l’ouverture de ce Forum à Marseille – vous déplorez de ne pas voir les investisseurs revenir vers le Gabon…
Raymond NDONG SIMA – Jusqu’à présent, en effet, on ne voit pas les investisseurs français et européens, car on ne se situe pas dans une logique de prospérité partagée entre l’Afrique et l’Europe. C’est-à-dire qu’on ne cherche pas à saisir les opportunités, on est plus dans une sorte d’attentisme.
Or il y a de très grandes opportunités en Afrique, mais l’on parle toujours de notre démographie qui fait peur… Les projections faites à ce sujet ne sont pas réalistes car, dès que les gens commencent à atteindre un certain niveau de vie, ils pensent à leur pouvoir d’achat et aux dépenses qu’ils doivent supporter pour la scolarité de leurs enfants. Je crois que notre démographie va ralentir. En revanche, ce qui ne diminuera pas, ce sont les besoins d’amélioration des conditions de vie de nos populations. Nous avons des besoins et, à la vitesse à laquelle nous évoluons, nous n’avons pas la capacité de les satisfaire.
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« Nous avons un déficit majeur dans les domaines
de l’électricité et de la distribution de l’eau »
« Nous avons un déficit majeur dans les domaines
de l’électricité et de la distribution de l’eau »
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APP – Qu’est-ce qui manque le plus à votre pays ?
Raymond NDONG SIMA – Nous avons un déficit majeur dans les domaines de l’électricité et de la distribution de l’eau, mais l’on ne voit pas arriver les investisseurs qui contribueraient à améliorer le bien être sur place,ce qui, soit dit en passant, participerait au ralentissement de l’immigration.
La situation démographique et économique de l’Afrique n’est pas stable, elle bouge, mais on a l’impression que l’on garde toujours le même regard sur l’Afrique. Or celui-ci ne permet pas de décanter la situation et de faire appel aux investisseurs. D’où ma présence aujourd’hui à ce Forum de Marseille pour tenter de faire bouger les lignes. Car, oui, le Gabon a aujourd’hui grand besoin du retour des investisseurs.
APP – Comment faire, concrètement ?
Raymond NDONG SIMA – Je vous donne un exemple : Total Énergies a fait une mutation. Cette grande société était dans l’exploration pétrolière et développe maintenant de nouvelles formes d’énergies, mais pourquoi Total – vu le potentiel qui existe en Afrique – ne s’intéresse-t-elle pas aux barrages hydroélectriques dans les pays du Bassin du Congo ? Ces barrages génèrent une énergie propre et qui sera disponible tant qu’il y aura les fleuves, ce qui permettrait de donner des gains de compétitivité majeurs aux entreprises qui investissent. Pourquoi ? On peut s’en étonner…
APP – Que peut faire votre gouvernement pour améliorer la vie quotidienne de vos compatriotes ?
Raymond NDONG SIMA – L’accès à l’eau et à l’électricité me semble être une urgence. Quand j’étais jeune économiste, faisant mes études en France, on étudiait M. Piero Sraffra qui parlait des « biens fondamentaux ». L’électricité est un bien fondamental en ce sens qu’il entre dans la production de tous les autres biens. Comme pour faire tourner les usines, partout on a besoin d’électricité. Le commencement du développement, c’est l’électricité. Il faut que toute personne qui a une idée et qui a envie de s’investir ne se pose pas la question : est-ce que j’ai l’énergie ?
Il faut que l’énergie soit à un coût de facteur de compétition pour nous. Parce que nous avons besoin de produire au meilleur coût et d’être capable de supporter la concurrence de personnes qui ont déjà pris de l’avance sur nous. Et que nous puissions nous impliquer sur les marchés. Nous avons donc besoin d’énergie. Au regard d’abord des besoins de la population. Chacun d’entre nous a besoin d’un téléphone, de regarder la télévision, etc. Si vous avez l’énergie, vous pouvez avoir des motos-pompes pour tirer de l’eau… L’énergie est absolument vitale.
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APP – Les forêts du Bassin du Congo et du Gabon en particulier sont, dit-on couramment, « le second poumon de la planète », après l’Amazonie. Pouvez-vous nous dire un mot sur le combat de votre pays pour la sauvegarde de l’environnement ?
Raymond NDONG SIMA – Je rappelle qu’en superficie le Gabon fait la moitié de la France et que nous avons treize parcs nationaux protégés qui représentent une superficie d’à peu près 20 % du territoire national.
Quand on a un tel souci de l’environnement, on voit bien que nous attendons un peu que les conditions de mise en exploitation des surfaces qui ont été concédées, attribuées, figées pour la préservation peuvent quand même donner lieu à une forme, par exemple, de tourisme écologique, à toutes sortes d’activités de cette nature. Or il ne se passe rien. Aucunes activité ne se développe.
APP – C’est-à-dire ?
Raymond NDONG SIMA – On ne voit pas les pays européens, et notamment la France, qui semblent pourtant très intéressés par la question de la préservation de l’environnement, s’en préoccuper. On ne voit aucun investisseur arriver et faire des propositions de modèles d’exploitation et de mise en valeur pour que cela corresponde à quelque chose. Le risque, c’est que les plus jeunes – à terme – ne se posent cette question : pourquoi a-t-on fait tous ces efforts pendant 25 ou 30 ans et finalement cela n’a rien rapporté, on n’en voit pas les résultats ? Ne vaut-il pas mieux de renoncer à cette politique et mettre ces terres en exploitation, pour au moins en tirer quelque chose ? C’est un risque majeur.
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« Nous, les Africains, avons l’impression d’être devenus
les premiers défenseurs de la langue française »
« Nous, les Africains, avons l’impression d’être devenus
les premiers défenseurs de la langue française »
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APP – Parlons aussi de la francophonie puisque le prochain Sommet de l’OIF (dont le Gabon fait partie) se déroule en France en octobre prochain. La francophonie a-t-elle en France, comme au Gabon, assez de moyens pour la défense de la langue française et de ses valeurs ? Ce combat ne vous semble-t-il pas très délaissé ?
Raymond NDONG SIMA – J’allais vous le dire ! On a l’impression que nous, les Africains, sommes devenus les premiers défenseurs de la langue française, car nous sommes pratiquement les seuls à continuer de nous exprimer en français dans les instances internationales. C’est ma première observation. Nous devons prendre l’exemple des pays anglophones : le monde est aujourd’hui un monde économique et tant que la francophonie restera un concept qui ne produit rien, cela ne mènera nulle part car – en toutes choses – il faut pouvoir voir la contrepartie, ce que cela rapporte. Au sujet de la francophonie, les gens vous disent : « Oui, mais qu’est-ce que cela rapporte ? »
APP – N’est-il pas nécessaire de développer l’idée d’une francophonie économique ?
Raymond NDONG SIMA – C’est bien mon propos. Il ne faut pas se contenter de dire que l’on a « une communauté de langage ».Il faut considérer ce que celle-ci nous permet d’avoir comme communauté d’actions pour nous encourager à continuer dans cette direction et à mettre en pratique une véritable francophonie économique qui ait des résultats et soit source d’affaires.
APP – Un mot de conclusion sur ce Forum dont vous étiez l’invité vedette ?
Raymond NDONG SIMA – Je suis très content d’être venu à ce Forum de Marseille car on a toujours tendance à garder les yeux rivés sur ce qui ne marche pas. Or, avoir des échanges – comme l’a dit Mme Martine Vassal, la Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence – pour continuer de maintenir des passerelles entre nos deux continents, entre les deux rives de la Méditerranée, nous permet d’aplanir bien des difficultés entre nous. Car il n’y a rien de mieux que des gens qui se parlent, échangent leurs points de vue et peuvent donc mieux se comprendre. C’est le sens de ma présence ici.
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INSCRIPTIONS OUVERTES à la XIIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, qui se tiendra à l’Hôtel de Lassay, Salle Colbert, le jeudi 30 mai à 10 h, sur le thème : « Comment dérisquer investissements et entreprises dans les pays frontaliers du Sahel en crise ? »
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