Au Ghana, le candidat masqué à l’assaut du pouvoir

Au commencement était un masque. Ou, plus précisément, un étrange personnage au visage camouflé, mis en scène des semaines durant sur de gigantesques panneaux publicitaires placardés aux quatre coins du Ghana et promettant « le changement », « une nouvelle nation » et un « leadership pour la prochaine génération ».

Dans cet Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest qui doit voter, en décembre, pour son prochain président, la campagne d’affichage a alimenté toutes les spéculations du grand public et des médias. Une curiosité qui ne s’est pas éteinte lorsque l’homme masqué a révélé, début janvier, son identité et ses ambitions. Il faut dire que Nana Kwame Bediako, un riche entrepreneur désormais candidat à la présidentielle, détonne dans le paysage politique.

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« Je suis venu à vous pour vous sauver », a-t-il clamé en se déclarant sous les couleurs d’un mouvement nommé Nouvelle force. Le masque, un objet à la symbolique puissante en Afrique, signifie qu’il faut « se concentrer sur le message » plutôt que sur le messager, a-t-il précisé.

Ce promoteur immobilier de 43 ans, surnommé « Cheddar » – comme le fromage, dont le nom, en argot, peut prendre le sens d’« argent » –, entend bousculer le jeu politique traditionnel dans un pays réputé comme l’une des démocraties les plus stables de la région. Depuis l’avènement du multipartisme dans l’ancienne Gold Coast en 1992, la bataille pour la magistrature suprême se résume à un duel entre deux grandes formations, le Nouveau parti patriotique (NPP), actuellement au pouvoir, et le Congrès national démocratique (NDC), dans l’opposition.

« Une voix venue d’en haut »

Mais la grave crise économique que traverse le pays, en défaut sur sa dette et confronté à une inflation à deux chiffres, pourrait corser la compétition. Au terme de deux mandats, le président sortant, Nana Akufo-Addo, ne se représente pas. C’est son vice-président, Mahamudu Bawumia, intronisé candidat, qui va devoir défendre le bilan du chef de l’Etat après avoir été l’un des principaux artisans des mesures économiques des dernières années. En face, le NDC, qui a échoué lors des deux derniers scrutins présidentiels, a désigné comme candidat l’ancien président John Dramani Mahama, prédécesseur de M. Akufo-Addo.

« Le NPP et le NDC sont là depuis environ quatre décennies et on aurait pu s’attendre à plus de changement en termes de développement humain et social », a cinglé l’ancien candidat masqué Nana Kwame Bediako dans une interview à la radio mi-décembre, promettant d’œuvrer pour faire émerger des milliers d’entrepreneurs au Ghana. Lui-même répète à l’envi qu’il n’est pas « politicien »« C’est une voix venue d’en haut qui m’a dit de me présenter à la présidence » – et qu’il vient d’un tout autre univers, celui des affaires.

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Ses premiers succès financiers, aime-t-il raconter, remontent à ses années londoniennes quand, étudiant, il vendait de la ferraille dans les rues de la capitale britannique. Il préside aujourd’hui le groupe Kwarleyz, spécialisé notamment dans l’immobilier de luxe. Certaines de ses excentricités lui ont déjà valu les gros titres de la presse nationale, comme en 2022 lorsqu’il a fait venir deux tigres de Dubaï et les a installés dans un enclos à son domicile. Une initiative destinée à « stimuler le tourisme », a-t-il défendu alors que son voisinage s’inquiétait de la proximité des félins.

Ce profil atypique au programme électoral encore très flou semble susciter une certaine fébrilité au sein de l’establishment politique. Ainsi, M. Bediako avait envisagé de se dévoiler le 7 janvier à l’occasion d’un grand rassemblement organisé à Accra, la capitale ghanéenne, sur la place de l’Indépendance. Mais les autorités l’ont annulé au tout dernier moment en dépêchant des militaires sur place, invoquant la tenue d’un autre événement public « imprévu » au même endroit.

Un « démagogue en herbe »

Plusieurs personnalités étrangères étaient invitées à ce raout telles que Peter Obi, le troisième homme de l’élection présidentielle nigériane de février 2023, ou encore Julius Malema, leader populiste du parti sud-africain des Combattants pour la liberté économique (EFF), censé intervenir à distance. Des participations en forme de manifeste politique. « Les intervenants ont été choisis parce qu’ils parlent de sujets sérieux tout en jouissant d’un statut de célébrité parmi les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux et s’intéressent aux affaires publiques, mais pas nécessairement à la politique », explique Bright Simons, vice-président du cercle de réflexion ghanéen Imani.

Selon les analystes, les chances de M. Bediako paraissent minces face aux partis historiques, dotés de solides réseaux militants et financiers. Mais le remue-ménage provoqué par le trublion fait écho à l’émergence, ces dernières années, d’autres outsiders sur le continent. Le travailliste Peter Obi au Nigeria, mais également le chanteur et opposant Bobi Wine en Ouganda ou même Ousmane Sonko, adversaire numéro un du président sénégalais Macky Sall, ont su s’attirer les faveurs d’une partie de la jeunesse de leurs pays en surfant sur ses désillusions vis-à-vis de la classe politique.

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A en croire le nouveau candidat ghanéen, le gouvernement fait aujourd’hui tout pour le brider. Une interview prévue sur la chaîne de télévision publique GTV, mi-janvier, aurait ainsi été déprogrammée in extremis « sur ordres d’en haut », a-t-il incriminé sur X (anciennement Twitter). Pour autant, nul n’est encore en mesure de prédire à quel point Nana Kwame Bediako saura convertir l’effervescence médiatique qu’il suscite en véritable capital électoral. Sur les réseaux sociaux comme dans les médias du pays, les commentaires enthousiastes font face aux interrogations sur l’origine de sa fortune et aux moqueries à l’égard de ses discours aux accents messianiques.

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Mais vise-t-il véritablement la magistrature suprême ? « Pour ce démagogue en herbe, il ne s’agit pas nécessairement de se contenter des prochaines élections, estime Bright Simons. Il va continuer d’accumuler de l’audience et de la pertinence, de sorte que même s’il ne parvient pas à avoir l’impact politique voulu, l’énergie et les dépenses qu’il a consenties seront toujours utiles à son entreprise. »

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