« Au ministère des Sports, domine une vision anglo-saxonne de la laïcité»

FIGAROVOX/ENTRETIEN – La ministre des Sports, Marie Barsacq, s’est dite défavorable à l’interdiction uniforme du voile en compétitions. Médéric Chapitaux, spécialiste de la radicalisation dans le sport et auteur d’un livre sur ce sujet, juge ce discours en décalage avec la réalité du terrain.

Médéric Chapitaux est sociologue, ancien fonctionnaire au ministère des Sports. Dernier ouvrage paru : Quand l’islamisme pénètre le sport (Presses universitaires de France, 2023).


LE FIGARO. – Lors d’une audition devant les députés, mercredi 12 mars, la ministre des Sports a déclaré que «le port du voile n’est pas de l’entrisme» , revendiquant de vouloir «donner l’accès à la pratique sportive à tous et toutes» . Que vous inspire cette sortie ?

Médéric CHAPITAUX. – La ministre s’inscrit dans une forme de continuité à son poste depuis 2017. Mis à part deux légères exceptions son prédécesseur direct Gil Avérous, qui a duré trois mois, et Amélie Oudéa-Castéra qui avait évolué, considérant finalement qu’il y avait un trou dans la raquette une vision anglo-saxonne y domine idéologiquement. Pour avoir travaillé sur ces questions, cette assertion de la ministre est révélatrice de l’incapacité de son entourage à la conseiller sur ce sujet. Au ministère des Sports, dont j’ai démissionné, il y a peu, voire il n’y a aucune expertise sur les enjeux de laïcité. Je la rejoins quand elle dit qu’il ne faut pas céder aux «amalgames» et à la «confusion», mais pour cela, il faut travailler le sujet. Ce que ne fait pas le ministère, se contentant de vagues postures… Ce n’est pas la première fois. On ne peut pas assister à une réitération de propos si inadaptés à la situation sans s’interroger sur l’administration qui fournit ces éléments de langage.

Le Sénat a adopté en février une PPL visant à interdire les signes religieux dans les compétitions, même chez les amateurs. Qu’en pensez-vous, alors qu’en l’état chaque fédération dispose de ses propres règles en la matière ?

Ce texte initié par le Sénat est un texte de cohérence républicaine. Chaque fédération possède son propre règlement, or ces fédérations sont chargées d’une mission de service public via un agrément de l’État, qui leur délègue l’organisation des compétitions. Comment est-il possible que des fédérations délégataires aient des règles hétérogènes quant au respect des valeurs de la République ? On parle beaucoup du voile, pour lequel chaque discipline a sa politique, mais l’article premier de la proposition de loi sénatoriale vise à interdire plus largement les signes religieux et manifestant une appartenance politique. C’est heureux, car au-delà du voile pour les femmes, les garçons ne pourront plus venir en qamis par exemple, et nul ne pourra témoigner ostensiblement de son affiliation à tel ou tel autre parti.

Je veux insister sur un point dont personne ne parle, c’est l’article 4 de cette PPL. S’il est adopté, il doit permettre de diligenter une enquête administrative avant de délivrer une carte d’éducateur sportif. Aujourd’hui, un éducateur sportif condamné pour usage de stupéfiants peut être interdit d’exercer ; en revanche, un éducateur fiché S pour menace terroriste ou atteinte à la sûreté de l’État, tant qu’il n’est pas condamné, peut continuer de travailler en face-à-face avec nos enfants. Il est temps que les choses bougent.

Heureusement que des parlementaires se mobilisent là-dessus, c’est le b.a.-ba ! Il est permis de se demander pourquoi ce n’est pas le ministère des Sports qui porte le texte de loi. Ceci étant, on a vu au Sénat que le gouvernement était acteur du projet (sous réserve de certains amendements à la marge).

Le gouvernement, en particulier Bruno Retailleau, soutient cette initiative sénatoriale, alors que Marie Barsacq s’en démarque manifestement. Comment expliquer l’absence d’une volonté politique visant à garantir la laïcité dans le sport ?

Ces dernières années ont démontré que le «en même temps» est dénué de colonne vertébrale, et notamment lorsque le débat porte sur les questions de laïcité. Il ne s’agit pas de légiférer à la hache, mais les convictions de certains, dans le camp présidentiel, sont parfois très éloignées de la réalité vécue par les arbitres, tous les week-ends, sur les terrains.

Vestiaires privatisés pour des prières collectives, refus pour les hommes de serrer la main des femmes… C’est là que je m’interroge quand la ministre nous assure que le voile ne trahit aucun entrisme

Médéric Chapitaux

Pourtant, on a besoin d’une volonté politique forte pour imposer une cohérence en matière de neutralité, non seulement entre les différentes fédérations sportives, mais aussi entre tous les lieux de société. Aujourd’hui, imaginons une collégienne qui fait du handball en cours d’EPS et, le soir, en club. Son entraînement de club se tient dans le gymnase de son collège ; elle y retrouve son professeur d’EPS qui est aussi son entraîneur. Eh bien, en dehors du temps scolaire, elle peut porter le voile car la fédération l’y autorise, ce qu’elle ne pouvait pas deux heures plus tôt car la loi de 2004 l’en interdit ! Cet exemple un peu théorique, je l’accorde pour bien montrer combien l’incohérence conduit aux pires absurdités.

Une «mission flash» parlementaire sur les dérives islamistes dans le sport, menée par Julien Odoul (RN) et Caroline Yadan (EPR), dénombre 500 clubs confrontés à des dérives communautaristes, et entre 25 et 130 associations à visée séparatiste. Ces estimations vous semblent-elles crédibles ?

Les 500 clubs évoqués fourchette basse me paraît crédible, d’autant qu’il rejoint une étude à laquelle j’ai contribué dans le cadre du Conseil des sages de la laïcité, quand le portefeuille de l’Éducation contenait celui des Sports. Pour la «mission flash», les rapporteurs ont sollicité les syndicats des salles privées : c’est la première fois que cela se fait et ça me semble intéressant. Il n’y a eu que 160 répondants, mais parmi eux, 20% ont déclaré des soucis de communautarisme au sein de leur salle privée. Concernant la fiabilité de ces estimations, avant même de lire le rapport, il faut regarder qui a été auditionné. Or une grande pluralité de disciplines ont été entendues. À partir de là, difficile de prétendre que ça ne tiendrait pas debout.

Dans quelles fédérations l’islamisme sévit-il le plus ?

Les rapports parlementaires comme les services de renseignement le soulignent : il y a un vrai problème dans les sports de combat. Une anecdote éloquente : j’ai rencontré récemment le responsable des arbitres d’un sport de combat. Il m’a raconté qu’une fille de douze ans est arrivée sur un lieu de compétition voilée de la tête aux pieds. Pour la pesée, elle a demandé une salle spécifique et qu’une femme l’accompagne. Et ce ne fut qu’un incident parmi d’autres ! Ce responsable m’a confié que cette jeune fille a pourri à elle seule un week-end de compétition.

L’islam radical pénètre facilement les sports dits «populaires». Soyons clairs, la danse classique ou le golf ne posent aucun problème. Par contre, la fédération de lutte et celle de boxe sont véritablement gangrenées. Vestiaires privatisés pour des prières collectives, refus pour les hommes de serrer la main des femmes… C’est là que je m’interroge quand la ministre nous assure que le voile ne trahit aucun entrisme. Je ne vois pas bien comment s’opère la distinction. Au-delà de la lutte et de la boxe, le football est soumis à une pression religieuse incomparable par son ampleur, liée au nombre de ses licenciés. Ceci dit, sa fédération est pionnière dans le combat contre les dérives communautaires.

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.