Au « moulin nature » de Lutterbach, près de Mulhouse, une marche contre l’extractivisme et pour la paix en République du Congo
Une quinzaine de personnes emmenées par David Maenda Kithoko, président de l’association Génération Lumière, quittaient ce 3 juillet la commune de Lutterbach. Partis le 22 juin de Besançon, les marcheurs ont l’intention de rejoindre le parlement européen de Strasbourg le 16 juillet prochain, première séance de la législature 2024–2029.
Ce jour-là, ils proposeront aux députés de voter une résolution contre l’extractivisme et ses conséquences directes en RDC (République démocratique du Congo) et dans le monde.
Après leur installation mardi en fin d’après-midi au centre initiation à la nature à l’environnement (CINE) « Moulin Nature », les échanges se sont orientés tout d’abord autour des sujets locaux de Stocamine (notre livre à ce sujet est disponible ici), et du futur technocentre de Fessenheim, puis les participants se sont plongés au cœur du sujet de l’extractivisme, à travers une conférence animée par le président de Génération Lumière, David Maenda Kithoko.
Depuis la période coloniale sous domination belge marquée par le génocide de plus de 10 millions de congolais, l’exploitation du caoutchouc, puis de l’uranium, lequel a servi à fabriquer les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, la République Démocratique du Congo connait ce qu’on appelle la « malédiction des ressources naturelles ».
La captation de la rente générée par la vente des matières premières conduit à des luttes de pouvoir entre chefs de guerre qui déstabilisent l’activité économique et fragilisent l’État congolais. L’abondance de ressources naturelles crée aussi des conditions propices à la corruption.
La guerre qui a contraint des millions de personnes à l’exil et a fait plus de 6 millions de morts se concentre dans les régions minières voisinent de l’Ouganda et du Rwanda, riche en or et en coltan.
Selon David Maenda Kithoko, il ne s’agit pas d’une guerre ethnique, mais une guerre faite pour terroriser, marquer les corps (on estime à un millier les femmes atrocement violées chaque jour) et faire fuir les habitants pour occuper et exploiter leur territoire.
Le Congo produit 63 % du cobalt mondial, un minerai crucial pour l’économie électronique mondiale, indispensable pour assurer la transition énergétique, mais à quel prix ?
Livré à la convoitise des grands groupes industriels comme le suisse Glencore, plusieurs entreprises chinoises, un groupe kazakh, le belge George Forest International, pour ne citer qu’eux, l’exploitation industrielle (80 % de la production) dévaste quelques 500 000 ha de forêt par année, et fait travailler dans des conditions épouvantables des enfants dans des mines dites artisanales (20% de la production).
Le Coltan minerai dont on extrait du tantale métal « stratégique » nécessaire à la fabrication des téléphones portables, indispensable dans l’aéronautique, dans les missiles, les fusées et aussi dans la… Playstation, est au cœur des guerres qui dévastent le pays humainement et écologiquement.
Des excavations de 900 m de profondeur et de la taille de 3 terrains de football bouleversent et stérilisent le pays…
Tous ces matériaux dits stratégiques sont exportés vers les États-Unis, l’Europe et bien sûr la Chine. De grandes quantités de ce minerai sont illégalement extraites du sol de la république démocratique du Congo, transportées en contrebande avec l’assentiment de milices armées locales, au profit de sociétés commerciales régionales et internationales.
Bref nous aurons compris que notre « occidental way of live » se construit et s’entretient sur l’exploitation scandaleuse de ce pays, dans le déni le plus total.
Comble du cynisme, nous faisons de la voiture électrique l’objet indispensable et le symbole de la transition énergétique sans savoir que 8 à 15 kg de cobalt, produits dans des conditions inacceptables, sont nécessaire à son fonctionnement.
Et le conférencier de conclure que nous devons envisager autrement la transition écologique, en reconnaissant les écocides perpétrés en RDC et en créant un tribunal international en charge des crimes commis en RDC. Il nous invite à changer nos comportements de consommation, et incite les États à légiférer pour imposer la fabrication de téléphones portables réparables.
Il nous rappelle que seuls 10 % des minerais indispensables à la transition énergétique peuvent être produits en Europe, 90 % sont importés après des accords passés par l’UE avec des régimes souvent géno et écocidaires comme le Rwanda.
Nous devons, conclut-il, engager un processus de « défatalisation ».
Après une halte de soutien aux représentants locaux du peuple kanak, réunis devant la sous–préfecture de Mulhouse, ils et elles ont rejoint la commune en transition de Ungersheim, située à 15 kilomètres au nord de Mulhouse.
Présentation d’une journaliste de Reporterre
Dans la soirée a eu lieu la présentation par Célia Izoard, journaliste à Reporterre, de son ouvrage : « La ruée minière du XXIe siècle – enquête sur les métaux à l’ère de la transition ». Entre essai et réflexion philosophique, elle décrit la cohésion d’un système d’accumulation fondé sur la mine : notre système capitaliste fondé sur l’extraction minière.
Sa réflexion s’appuie sur l’expertise de l’association SystExt (Systèmes Extractifs et Environnements) qui réfléchit aux impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux des systèmes extractifs.
Elle relève un continuum de l’extraction minière dans toute l’histoire de l’Occident.
Mais alors que la crise écologique appelle à un remise en cause de tout le système de l’extraction, la réponse apportée consiste à poursuivre plus fort encore cet extractivisme. Les programmes de transition écologiques se déclinent dans un rapport quasi religieux à l’extractivisme. Ils nous proposent de passer des énergies fossiles à l’électrification par les batteries, les éoliennes, le nucléaire, le photovoltaïque, tous très gourmands en minerais stratégiques (lithium, cuivre, nickel etc..).
La ruée sur ces nouveaux minerais ne signifie pas la fin de l’exploitation des sources fossiles, loin s’en faut. Pour électrifier un pays comme la France, il faudrait utiliser la production mondiale de cuivre et de nickel …
Elle estime que les énergies renouvelables sont périphériques et décoratives tant les besoins en énergies fossiles seront toujours indispensables aux machines à extraire les minerais, aux fonderies nécessaires à la production des métaux, à la construction.
Elle souligne l’hypocrisie de faire croire que l’économie électronique serait un facteur favorable à la transition énergétique alors qu’elle est une énorme consommatrice d’énergie fossile et connait une croissance fulgurante, avec pour exemple Amazon, qui croit de 30 % par an.
Elle prévient que la ruée sur les métaux et la nécessité vitale pour les pays « développés » d’assurer leur approvisionnement est une source d’affrontements géo politiques. La volonté de l’UE de relocaliser la production minière afin de sécuriser les approvisionnements en matières premières minérales stratégiques s’est traduite en mars 2023 par une proposition de loi sur les matières premières critiques, établissant un cadre pour garantir l’accès de l’UE à un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques.
La transition énergétique et écologique sert, nous dit l’autrice, à justifier les besoins en métaux fournis par l’industrie extractiviste « polluante et coloniale ».
Elle reste très sceptique quant à l’affichage de la volonté des extractivistes de mener une exploitation minière intelligente, (climate smart mining).
Tout ceci, dit-elle, est un discours construit pour rassurer et tromper les classes moyennes européennes, et « pour sauver le climat ».
« L’association Génération Lumière se consacre à l’extraction des minerais afin de sensibiliser les citoyens et les citoyennes sur les conséquences environnementales, sociales et économiques sur l’extractivisme des minerais,en particulier en RDC. Cette extraction intensive est le carburant de notre modèle capitaliste et de surproduction. »
Échange audio avec Nyssa :
Échange audio avec Hugo :
Bibliographie sélective :
« POLITISER LE RENONCEMENT » de ALEXANDRE MONNIn, aux éditions Divergences
« La ruée minière du XXIe siècle – enquête sur les métaux à l’ère de la transition » de Célia Izoard, aux éditions du Seuil.
« Le piège de l’abondance », sous la coordination de Nicolas Pinet, aux éditions de l’Atelier
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