Dix-huit mois après le coup d’État du 26 juillet 2023 qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum, le régime militaire du CNSP durcit son emprise sur le Niger. Arrestations forcées, détentions arbitraires, attaques contre les médias, interdiction des partis politiques, décisions de justice bafouées… Autant de manquements documentés par le nouveau rapport de l’ONG Amnesty International (sorti le 18 mars), qui alerte sur la situation préoccupante des droits humains dans le pays. Intitulé « Niger. Menacés et mis au pas : les droits humains et l’espace civique sous pression depuis le coup d’État du 26 juillet », il souligne les graves violations des droits civils et politiques opérées entre juillet 2023 et janvier 2025. Les voix critiques ainsi que les anciens responsables du régime sont menacés et réprimés par un régime militaire qui, en affaiblissant l’espace civique et politique, accentue la division de la société. Le CNSP, qui avait justifié le putsch de juillet 2023 par un discours souverainiste dénonçant « la dégradation sécuritaire » et « la mauvaise gouvernance », s’était pourtant engagé à respecter l’État de droit. Une promesse qui semble désormais révolue.
Secoué par une instabilité chronique, le Sahel a vu se succéder plusieurs coups d’État militaires : au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (janvier et septembre 2022), puis au Niger le 26 juillet 2023. Sous pression après les sanctions économiques et la menace d’une intervention militaire de la Cedeao, les trois juntes ont scellé une alliance en septembre 2023 en créant l’Alliance des États du Sahel (AES). Elles ont ensuite acté leur départ de l’organisation régionale et rompu leurs liens avec la France et l’Union européenne. Dans cette logique de rupture et de réorientation stratégique, le Niger, le Burkina Faso puis le Mali ont annoncé, lundi 17 mars, leur retrait de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui, à l’instar de la Cedeao, réclamait la libération de Mohamed Bazoum.
Un État de droit en péril
Lors de son arrivée au pouvoir, le général Abdourahamane Tiani promettait de garantir le respect des droits humains et des libertés civiles, conformément aux engagements internationaux du Niger. Dix-huit mois plus tard, la réalité est tout autre. « Malgré les garanties données par les nouvelles autorités nigériennes, les droits humains ont été piétinés dans la législation et dans la pratique. Notre rapport montre que les autorités nigériennes ont clairement failli », assure Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Et le « recul du cadre législatif » est flagrant.
Dès leur prise de pouvoir, les militaires ont suspendu la Constitution de 2010 ainsi que plusieurs institutions clés, dont la Commission nationale des droits de l’homme. Annoncées en remplacement, les nouvelles structures tardent à voir le jour, laissant le CNSP concentrer l’ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs. Le pays est désormais gouverné par ordonnances, souvent restrictives.
Parmi les mesures les plus controversées figure le rétablissement de la loi de 2019 sur la cybercriminalité, qui permet depuis juillet 2024 de condamner des citoyens pour diffamation, injure ou diffusion de contenus jugés troublants pour l’ordre public. Une formulation suffisamment vague pour cibler un large éventail d’opposants. Plus inquiétante encore, une ordonnance d’août 2024 élargit la définition des infractions terroristes et autorise le fichage de personnes et groupes supposément impliqués. Inscrit sur cette liste, un citoyen risque le gel de ses avoirs, mais aussi la déchéance de sa nationalité.
Depuis octobre 2024, 21 personnes en ont déjà fait les frais, dont plusieurs anciens ministres du gouvernement Bazoum. « Je n’ai que la nationalité nigérienne et cette déchéance provisoire pourrait me rendre apatride. Je ne compte pas la contester car il n’y a plus d’État de droit au Niger », témoignait Hamid Ngadé, ancien conseiller en communication de la présidence. Une dérive dénoncée par Amnesty International : « Cette ordonnance prive les citoyens de leurs droits en raison de leurs opinions contraires au pouvoir », alerte Ousmane Diallo, chercheur spécialiste du Sahel.
Dans ce climat de répression, le pluralisme politique a pratiquement disparu. Les partis sont suspendus depuis le coup d’État, réduisant à néant tout contre-pouvoir institutionnel.
Une chape de plomb sur la société civile et les médias
Depuis son arrivée au pouvoir, la junte nigérienne ne cesse d’élargir son arsenal répressif, muselant à la fois la société civile et les médias. Derrière les discours sur la souveraineté et l’ordre public, la répression s’intensifie, instaurant un climat de peur et d’autocensure généralisée.
Les services de renseignement, notamment la DGSE, sont pointés du doigt pour des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des détentions prolongées, malgré les dénégations des autorités. Moussa Tchangari, figure emblématique de la société civile, en a fait les frais. Arrêté violemment à son domicile le 3 décembre 2024, il a été détenu au secret pendant plusieurs jours avant d’être inculpé pour apologie du terrorisme, atteinte à la sûreté de l’État et association de malfaiteurs. Il risque jusqu’à dix ans de prison. Arrestations sur le lieu de travail ou au domicile familial, harcèlement et menaces constantes… La répression cible tous ceux qui expriment des critiques envers le pouvoir.
Le pouvoir alimente une fracture profonde au sein de la société, opposant les « patriotes » acquis à la junte aux « apatrides », terme dénigrant ceux qui émettent des réserves sur sa gouvernance. « Nous vivons dans un état d’exception qui constitue un grave défi pour les organisations de la société civile. Les gens ont peur de parler et d’organiser des activités perçues comme critiques envers les autorités », témoigne un responsable associatif à Niamey. Autrefois espace d’échange et de mobilisation, la plateforme des organisations de la société civile est aujourd’hui morcelée, minée par les divisions.
Une presse sous haute surveillance
Après avoir restreint la liberté d’expression, le CNSP s’attaque frontalement à la liberté de la presse. Première victime, la Maison de la presse a été suspendue en janvier 2024 et remplacée par un comité intérimaire inféodé au pouvoir. Depuis, la surveillance des médias s’est intensifiée. RFI et France 24 avaient été suspendus dès août 2023, suivis par la BBC en décembre 2024, pour trois mois.
Les journalistes ne sont pas épargnés. Ousmane Toudou, ancien conseiller de Mohamed Bazoum, et Soumana Maïga, directeur de publication d’un quotidien, ont été arrêtés en avril 2024 pour des publications sur les réseaux sociaux. Jugés devant un tribunal militaire alors qu’ils sont civils, Maïga a obtenu une liberté provisoire, tandis que Toudou reste détenu. La blogueuse et militante Samira Sabou a, quant à elle, été victime d’une disparition forcée avant d’être poursuivie sous le coup de la loi de cybercriminalité de 2019.
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Face à la menace, l’autocensure s’impose. Les sources refusent de témoigner à visage découvert, les journalistes pèsent chaque mot. « Maintenant, quand tu écris, tu es obligé de réfléchir à deux fois. Il n’y a plus personne pour défendre la presse », confiait l’un d’eux à Amnesty International.
« La liberté d’expression, la dissidence et la liberté de la presse sont essentielles à la jouissance d’autres droits et à l’obligation pour le gouvernement de rendre des comptes. Le Niger se trouve à un tournant décisif », a déclaré Ousmane Diallo. Un tournant critique se profile. Fin février, le rapport des assises nationales a recommandé une transition de cinq ans, renouvelable, avec la possibilité pour les dirigeants actuels de se présenter aux prochaines élections. Une perspective qui confirme l’ancrage du pouvoir militaire et éloigne encore davantage le Niger d’un retour à l’État de droit.
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