Au Niger, la junte au pouvoir s’enfonce dans l’autoritarisme

Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, le Niger s’enfonce dans l’autoritarisme, la violation des droits de l’homme et l’étouffement des voix de la société civile. Dans un rapport publié mardi, au terme d’un an et demi de travail et de terrain, l’ONG Amnesty International documente la répression des anciens responsables, la multiplication des disparitions forcées, et accuse la junte au pouvoir de ne pas avoir tenu ses promesses.

« Mentalité d’assiégé »

« Au nom de la” sûreté de l’État” ou de la” sauvegarde de la patrie”, les militaires qui ont pris le pouvoir à Niamey ont mis en place des pratiques autoritaires pour réduire au silence toute voix critique », déplore Marceau Sivieude, directeur par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’ouest et centrale. Les libertés d’expression et d’association ainsi que le droit à l’information sont bafoués. « Les détentions arbitraires sont devenues courantes et les décisions judiciaires ne sont pas respectées. »

« Au Niger, le régime, attaqué de toutes parts et menacé dans son existence même dès sa naissance, a d’emblée choisi, par paranoïa, la violence et la répression à l’encontre de ses opposants potentiels, analyse pour sa part un chercheur spécialiste de la région, tout en rappelant que sous le précédent régime, il y avait déjà des attaques à l’encontre de la liberté d’expression et de presse. « Plus qu’au Mali et au Burkina Faso, le régime, dont le pouvoir reste fragile, a conservé de sa naissance mouvementée une mentalité d’assiégé », souligne-t-il.

Cas emblématique de ce tournant autoritaire, celui du président renversé, Mohamed Bazoum, détenu, au côté de son épouse, Hadiza Mabrouk, depuis le putsch. La cour de justice de la Cedeao de décembre 2023 a déclaré leur détention arbitraire et appelé à leur libération en vain. En juin 2024, après un peu moins d’un an d’emprisonnement, Mohamed Bazoum est poursuivi pour « haute trahison » et « complot ayant pour but de porter atteinte à la sûreté de l’État ou à l’autorité de l’État ». Aucune accusation n’est portée contre Hadiza Mabrouk. « Il a peur d’être renversé, notamment par des” bazoumistes”, des fidèles de l’ancien régime, ou contesté, y compris au sein même de l’armée nigérienne. Preuve de cette paranoïa : on dit que le dirigeant Abdourahamane Tiani quitte rarement voire jamais le palais présidentiel », raconte le chercheur spécialiste de la zone sahélienne.

Sept anciens ministres, dont certains ont réclamé la libération du couple présidentiel déchu, sont toujours détenus arbitrairement, malgré des décisions judiciaires exigeant leur libération. « C’est l’incarnation même de la tendance qu’a la junte à ne pas respecter les décisions de justice, juge Ousmane Diallo, chercheur sur le Sahel chez Amnesty International, on assiste à une normalisation de l’arbitraire et du non-respect de l’État de droit. »

Gouverner par ordonnance

Autre expression de la fuite en avant de la junte, les restrictions du cadre légal. Le Niger est gouverné par ordonnance depuis le 26 juillet 2023. Par à-coups. Sans charte pour organiser la transition. Tous les pouvoirs – exécutif, législatif, judiciaire – sont concentrés entre les mains du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, l’organe représentatif de la junte qui a suspendu les activités des partis politiques et agit selon son bon plaisir.

Aussi les militaires ont-ils établi par décret un fichier de « personnes ou entités impliquées dans des actes de terrorisme ou dans toutes autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la nation ». Des notions floues qui permettent d’y inclure les voix critiques. Or, toute personne inscrite sur ce fichier peut voir ses avoirs gelés et être temporairement déchue de sa nationalité. « Depuis le coup d’État, il existe deux catégories : les patriotes et les apatrides (ceux qui n’ont pas les bonnes opinions politiques) », dénonce Ousmane Diallo.

« Réalignement géopolitique »

C’est toute la société civile qui est touchée. Chaque journaliste, chaque défenseur des droits de l’homme a peur d’être embastillé. « Si vous critiquez le gouvernement, soyez sûr que vous serez arrêté », a déclaré un membre de la société civile nigérienne à Amnesty International, qui affirme : « Dans ce climat répressif, l’autocensure est devenue la norme, par crainte de représailles. »

« Les acteurs de la société civile sont moins prolixes, plus frileux pour parler à des médias étrangers, rapporte Ousmane Diallo. Si on ajoute la suspension de la diffusion de nombreux médias (France 24, RFI, BBC), les informations circulent indéniablement moins qu’avant le putsch. »

Une fracture informationnelle qui accentue la rupture des liens entre la junte et plusieurs pays occidentaux, dont la France. Les militaires lorgnent davantage vers la Russie. Dernier exemple en date, le Niger a annoncé lundi soir la sortie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui avait justement vu le jour dans l’ancienne colonie française lors de la conférence de Niamey en 1970. Le Burkina Faso et le Mali lui ont emboîté le pas.

« Ces mouvements correspondent au réalignement géopolitique des juntes sahéliennes, observe le chercheur spécialiste de la région. Au Niger, les militaires remettent en question tous les partenariats internationaux. Une ligne qui converge avec l’isolationnisme à l’œuvre dans plusieurs parties du monde, incarné dernièrement par l’arrêt du modèle de coopération et d’aide en vigueur depuis des décennies de la part des États-Unis. »

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