Au Niger, planter des arbres en milieu urbain devient un projet à pertes · Global Voices en Français

Image illustrant des arbres non entretenus dans les rues de Niamey; Photo de Ouzaïrou Mamane Amadou, utilisée avec permission

Cet article est à retrouver sur le site du CENOZO. Il a été rédigé à la suite d’une enquête par réalisée par Ouzaïrou Mamane Amadou avec l’appui de CENOZO dans le cadre du Programme Sahel. Cette version modifiée est publiée dans le cadre d’un accord entre Global Voices et CENOZO.

Au Niger, la volonté de tous les acteurs de la société de faire de Niamey, la capitale du pays, une ville verte se heurte à un manque d’entretien des arbres plantés dans le cadre de plusieurs initiatives.

Situé dans la zone sud du désert du Sahara, plus de la moitié de la superficie du Niger – soit  1 267 000 km2, est désertique. Le pays jouit d’un climat tropical aride et semi-aride. 

Au rond-point Arène de lutte situe au centre de Niamey, les arbres sont totalement secs, très mal en point, enserrés dans des grillages de protection détruits. Ces enclos servent en fait de dépotoirs, de réceptacles d’eaux usées ou même d’urinoirs et de lieux de décharges fécales. Ce constat est le même un peu partout dans la ville de Niamey dans les espaces publics.

Pourtant, dans le cadre du Programme Niamey Nyala destiné à la modernisation de la ville, la commune avait lancé en août 2019 l’opération « Niamey, la ville fruitière ». Ce programme prévoyait la plantation de 100 000 arbres fruitiers dans la capitale chaque année. Les sites ayant abrité les plants d’arbres sont toujours visibles le long de la voie de l’Aéroport International Diori Hamani de Niamey, situé au sud-est de la ville.

Dans le pays, la plupart des programmes de lutte contre la désertification parlent peu de protection et de suivi des arbres pour leur plein développement. Cette situation fait réagir les acteurs de la société civile, à l’instar de l’activiste Bana Ibrahim, qui affirme :

Pardon, si vous savez que vous ne pouvez pas prendre soin des arbres que vous plantez, abstenez-vous de les planter.

Rares sont les personnes qui, après avoir planté un arbre dans un espace public, reviennent le visiter, l’entretenir ou même suivre sa croissance. Un tel état de fait entraîne de grosses pertes pour le Niger en termes de ressources investis chaque année par l’État, mais aussi les ONGs nationales et internationales.

Le business de la plantation des arbres

Chaque 3 août, des centaines de milliers d’arbres sont plantés dans toutes les régions du pays à l’occasion de la fête de l’indépendance, combinée à la célébration de la fête de l’arbre. Tout le monde s’y met, notamment la présidence de la République et tout le gouvernement.

La Fête nationale de l’arbre vise à sensibiliser et mobiliser le grand public en faveur de la préservation des ressources forestières, du reboisement et de la restauration des écosystèmes dans toutes les régions du Niger.

Mais autour de cette célébration s’est développé un véritable business qui fait monter les prix.  Selon Mahamadou Hassan, pépiniériste basé dans le 5ᵉ arrondissement communal Niamey, le prix des pépinières d’arbres varie en fonction de la période. Il explique:

Par exemple, lors des fêtes du 3 août, les prix grimpent, selon les variétés, de 2.500 à 4.000 FCFA (4 à 6 dollars américains), voire au-delà. En d’autres périodes, le prix peut varier entre 1.000 et 2.000 FCFA (1,5 à 3 dollars américains).

D’après l’analyse d’un acteur de la société civile qui a requis l’anonymat, les 100 000 arbres fruitiers prévus par l’opération Niamey ville fruitière coûterait chaque année plus de 200 millions de FCFA (plus de 328 000 dollars américains) aux contribuables nigériens, sans compter les frais annexes. Il s’indigne:

En raison de la non-protection et du manque d’entretien ou de suivi, près de 70% de ces arbres périssent, soit une perte annuelle d’environ 140 millions de FCFA (plus de 229 000 dollars américains). Et cela se répète d’année en année.

Contactée, la municipalité de Niamey n’a pas souhaité commenter cette analyse alarmante.

Mais pour Hassoumi Toudjani, Directeur de l’Environnement et des aménagements paysagers [un prolongement du ministère de l’environnement ] de la ville de Niamey, la perte considérable des arbres plantée est plutôt liée au comportement humain, à l’imprudence de certains conducteurs qui les écrasent. Selon lui, les gens ne comprennent pas l’importance de la plantation des arbres, qu’ils voient comme un projet du gouvernement qui ne les concerne pas.

Toudjani déplore également le comportement de certains chauffeurs des camions citernes d’arrosage de la Mairie, qui trichent par rapport à l’arrosage des arbres. Il explique:

(…) il est temps de laisser l’histoire des citernes pour faire des réseaux d’irrigations semi-automatisés et branché à une source d’eau, soit la Société d’exploitation des eaux du Niger ou soit un forage.

Pour lui, l’entretien des arbres demande beaucoup de moyens dont la mairie ne semble pas disposer, notamment pour l’arrosage et la surveillance.

Autres défis: les animaux errants et la chaleur extrême

La ville de Niamey est réputée pour attirer des animaux qui errent librement: chèvres, cabris et bœufs. Cette situation constitue un frein à l’évolution normale des arbres. Dans un communiqué du 6 septembre 2024, le Colonel Boubacar Soumana Garanké, Administrateur délégué de la ville de Niamey a indiqué que :

Les efforts de reboisement par la plantation d’arbres sur les grandes artères de la capitale et dans certains espaces publics de la ville sont contrariés par la divagation des animaux. (…) la divagation et la vente des animaux sont interdites dans les rues et terre-pleins, sur l’ensemble du territoire de la Ville.

Selon Dr Amani Abdou, Enseignant-chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAN), il faudrait réfléchir aux choix de quels arbres à planter. En effet, les variétés d’arbres comme le caïlcédrat, le neem, le saucissaunier, le ficus, l’eucalyptus, le palmier dattier et le rônier sont plus adaptés pour se développer dans des milieux urbains comme celui de Niamey. Après un suivi et un entretien rigoureux de trois ans, ces arbres peuvent continuer seuls leur développement et faire face aux difficultés auxquelles ils peuvent être exposés.

Autre facteur: des température très élevées toute l’année. La moyenne maximale est comprise entre 40°C et 46 °C, et monte parfois jusqu’à 50 °C dans les zones désertiques. Tout ceci engendre une augmentation de la chaleur qui impacte véritablement la survie des arbres. Hassoumi Toudjani explique:

(…) l’arrivée de la grande chaleur de cette année où il faisait plus de 50°C. Certains des grands manguiers qui ont quatre à cinq ans n’ont pas résisté.

Sensibiliser et impliquer les populations

Pour Toudjani, il faut aussi intensifier la sensibilisation pour que les populations puissent être responsabilisées.

Selon le rapport national sur les progrès du Niger dans la mise en œuvre du Plan stratégique des Nations Unies pour les Forêts 2017-2030 et l’Instrument des Nations de protection des forêts et arbres hors forêts, le Niger a pris plusieurs mesures visant à inciter les communautés locales et les collectivités territoriales décentralisées dans les actions de reverdissement du pays. Cependant, il manque un suivi rigoureux pour permettre le développement de ces arbres plantés. Il ressort de l’état des lieux du Plan forestier national du Niger (PFN 2012 – 2021), que le Niger n’a jamais fait d’inventaire forestier national. Malgré leur potentiel limité, les ressources forestières du pays jouent un rôle stratégique pour les populations qui en tirent un complément alimentaire, des médicaments, du fourrage pour le cheptel ainsi que des revenus monétaires.

En outre, la biomasse ligneuse des arbres constitue encore la principale source d’énergie pour plus de 90% des ménages vulnérables, ce qui représente plus de 105 milliards de FCFA (plus de 172 millions de dollars américains).

Sans participation pleine de la population, la ville de Niamey a peu de chances de voir ses rues et places se couvrir de verdure si nécessaire dans un contexte de réchauffement climatique global.

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