En Acadie, Huberte est connue comme Barabbas dans la Passion. Même pas besoin de dire Gautreau, on sait de qui on parle. Elle est bardée de médailles et de reconnaissances. D’autres que moi sauront mieux rendre compte de cette gloire tellement méritée.
La Huberte que j’ai connue précède de quelques années ces petits triomphes qui l’agaçaient. Elle était exaspérée par les marques qui la rendaient «officielle», puisqu’elle était fondamentalement anti-système. Mais, en même temps, avec une certaine insécurité tout acadienne, elle mettait beaucoup d’efforts à démontrer ses valeurs, ses faits et gestes.
Je lui dois de m’avoir intégré sur le marché du travail, à Moncton, à l’Université plus précisément, quand je suis revenu de quelques années d’études à l’étranger. Elle avait aussi connu cette déconnexion que crée l’éloignement géographique et culturel, quand on part vivre et s’intégrer ailleurs dans le monde.
Nous avons ensemble attaqué rien de moins que le problème de la faim dans le monde, à partir d’un petit bureau coincé dans l’Éducation permanente de l’Université de Moncton, écrivant des guides pédagogiques et produisant des vidéos sur le sujet, organisant des conférences et des tournées de militant·e·s africain·e·s. Avec Huberte, on ne pouvait pas avoir froid aux yeux. Elle était une amazone, dans le sens mythique du terme… je ne parle pas de la multinationale de merde qui tue tous nos petits commerces (Huberte aimerait de m’entendre dire ceci).
Puis nous avons poursuivi nos chemins, elle œuvrant en violence familiale, en équité salariale, en appui aux jeunes étudiantes, moi devenant petit à petit un sociologue-conseil. C’est au Togo que nous nous sommes retrouvés en 1991 pour une étude qui nous a amené à nous asseoir avec les chefs dans 200 villages au lever du soleil, à prendre un petit coup de sodabi – l’eau de vie de palmier – en mangeant leurs restes de la veille, à observer leurs puits avec leurs pompes, leurs latrines, leurs installations collectives, leurs maladies, etc.
Avec Huberte on ne s’ennuyait jamais. Ou bien on réexaminait les fondements du capitalisme et du patriarcat et on réévaluait les chances de leur effondrement, ou on organisait des soupers au homard, abondamment arrosés de vin et enfumés de pot ou on partait dans les coins reculés du comté d’Albert pour acheter une peinture ou une poterie qu’elle trouvait «vraiment différente».
Avec elle, j’ai fait des safaris en Afrique, visité Moscou au lendemain de la chute du communisme, dansé au Jour de l’An sur le Party d’Édith avec ses «ex», c’est-à-dire les anciennes sœurs de Notre Dame-du-Sacré-Coeur avec qui elle avait passé sa jeunesse, bu trop de Pisco Sour à Cuzco, traversé la Renous de nuit pendant une tempête de neige, convoqué les chefs autochtones du Canada à Moncton pour parler de solidarité (c’était en 1986), manger de la gatte de la Petitcodiac (comme durant son enfance à Prés-d’en Haut), écouter du reggae poussé par ses hauts parleurs aussi gros que son petit char.
Je disais qu’Huberte était anti-système. Oh oui! : contre la consommation (elle s’est toujours habillée chez Frenchy’s n’est-ce pas), contre les régimes américains (elle a jadis travaillé dans le Bronx, proche des Black Panthers), contre le développement international et son industrie de consultants et de coopérants, contre le pouvoir des hommes (elle a fondé le premier centre d’hébergement des femmes victimes de violence et le premier programme d’aide aux hommes violents), contre l’industrie de la guerre (elle a longtemps retenu la partie de ses impôts qu’elle jugeait affectée aux dépenses militaires du Canada), contre le pouvoir des médecins et de l’industrie pharmaceutique, contre les Conservateurs, contre les Libéraux, contre l’Église …
Voilà qu’elle est maintenant au ciel, enfin en quelque part plus haut que son appartement de la rue Portledge. Je ne sais pas qui elle a retrouvé là-haut, sûrement sa chère Tonine qui l’a précédée de quelques brasses, mais je suis sûr qu’elle a déjà commencé à fomenter des changements. Est-ce changer le sexe des anges? Est-ce shifter Saint-Pierre de son rôle de bouncer du paradis pour y placer Jeanne-de-Valois? Est-ce créer des stages en enfer pour voir si ce ne serait pas mieux que le paradis? Est-ce créer des communes pour que les âmes célestes puissent coopérer plutôt que compétitionner? Est-ce une bourse d’œuvres d’art pour colorer le bleu du ciel?
On saura juste quand on ira la retrouver là-haut. En attendant, on est bien triste du grand vide qu’elle laisse à Moncton, en Acadie et dans le monde de la solidarité avec les plus démunis de notre société. Huberte : on te dit merci de nous avoir organisés et égayés pendant presqu’un siècle! Avec le cœur déchiré, on te dit à la revoyure chère amie!
Marc L. Johnson
Rivière-du-Loup, Québec
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