Dans le cabinet de Binetou Cheikh Seck, les patients défilent. Une balance trône à l’entrée du bureau et des photos d’aliments équilibrés sont placardées au mur. Ici, la nutritionniste leur « apprend à bien manger ». C’est presque un comble. Au Sénégal, où le riz au poisson est une fierté nationale et même un art culinaire classé au patrimoine immatériel de l’Unesco, la malbouffe ne cesse de gagner du terrain.
Dans la capitale, les fast-foods poussent à chaque coin de rue. Du « burger local » vendus par l’échoppe de quartier au poulet frit des grandes chaînes, il est devenu difficile d’y échapper. Les classes moyenne et aisée troquent de plus en plus le traditionnel plat de riz pour des repas sur le pouce, hypercaloriques et trop salés.
Au Sénégal, où la faim reste chronique dans certains villages, 15 % de la population est en surpoids et 6 % obèse, selon la dernière enquête nationale de 2015. Bien loin de l’Égypte, de l’Afrique du Sud ou encore du Gabon, les pays plus touchés par l’obésité sur le continent, mais cette tendance à la hausse inquiète les professionnels de santé.
« Le nombre de cas ne cesse de se multiplier, ça devient un véritable problème de santé publique », alerte la nutritionniste, qui anticipe une augmentation de la prévalence dans la prochaine étude qui doit être publiée cette année. En Afrique, de plus en plus de pays sont confrontés au « double fardeau » de la sous-alimentation et de l’obésité.
Un KFC inauguré comme « un musée »
À Dakar, l’urbanisation et la sédentarisation ont transformé les habitudes alimentaires. « Avant, on rentrait déjeuner en famille autour du même bol, mais avec l’instauration des journées continues, les écoliers et les travailleurs ont moins de temps et achètent à manger dehors », observe Abdoulaye Samb, professeur et médecin physiologiste à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.
En ville, la multiplication des supermarchés et des grandes enseignes françaises a aussi fait déferler les produits transformés. Sodas, biscuits, chips… « Les Sénégalais consomment beaucoup plus de sucre ajouté et de matière grasse au détriment des céréales locales et des légumes. Il y a aussi tout un tas de fausses croyances autour des aliments transformés importés selon lesquelles ils seraient meilleurs pour la santé ou encore le mythe du burger américain », explique Binetou Cheikh Seck. Elle se souvient de l’inauguration, en 2019, du premier restaurant KFC du pays, « digne d’un musée », réunissant 300 invités, VIP et ministres.
Avec ses journées à rallonge et ses deux enfants, Matel, 27 ans, y allait souvent. « Je termine souvent très tard le soir et je n’ai pas le temps de cuisiner, c’était plus facile de se rabattre sur les fast-foods. Je ne pratiquais aucune activité physique », raconte cette docteure en pharmacie. Complexée par ses 120 kg, elle a décidé de se mettre au sport et a commencé à manger des fruits. Un « luxe » qu’elle peut se permettre, reconnaît-elle. « L’obésité, c’est la maladie des pauvres dans les pays riches et la maladie des riches dans les pays pauvres », résume Ousmane Kâ, chirurgien spécialiste de cette pathologie.
Maladies cardiovasculaires
Au Sénégal, où les canons de beauté valorisent les rondeurs en signe d’opulence, la mode des produits pour grossir, pilules ou pommades, se répand dangereusement. « Ce sont des anabolisants qui font gonfler le corps, c’est très mauvais pour le cœur. Certaines femmes pratiquent aussi le gavage face à la pression sociale », regrette Binetou Cheikh Seck.
Il n’existe pas de taxation sur les boissons sucrées, ni de système d’étiquetage des produits industriels. Diabète, hypertension, cholestérol… Le coût de l’obésité commence à peser sur les structures de santé. Les maladies cardiovasculaires sont désormais la deuxième cause de mortalité après le paludisme.
Dans son cabinet, le docteur Ousmane Kâ voit les cas d’obésité morbide se multiplier. « Il est urgent d’agir, en commençant par faire la promotion d’une alimentation saine. La prévalence de la maladie augmente en milieu scolaire, ces enfants sont les adultes de demain. »
Crédit: Lien source