Au Sénégal, la tentation autoritaire du parti-État

Après un an à la tête du Sénégal avec une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, l’heure est au bilan pour le président Bassirou Diomaye Faye. Selon Erwan Davoux, directeur de Geopolitics.fr, ancien chargé de mission à la présidence de la République et ancien de la DSGE, le débat politique semble monopolisé par un désir de vengeance à l’égard de l’ancien pouvoir. Autoritaire et liberticide, le parti-État porte un panafricanisme régional qui invisibilise le Sénégal sur le plan international.

Au terme d’une élection libre et transparente, le candidat du Pastef (Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), Bassirou Diomaye Faye a remporté l’élection présidentielle du 24 mars 2024 avec 54 % des voix. Ce succès a été confirmé lors des élections législatives tenues le 17 octobre dernier, le Pastef remportant 130 sièges sur les 165 que compte l’Assemblée nationale. La majorité est donc écrasante.

Non satisfaits de cette situation inédite au Sénégal qui pourrait constituer une formidable opportunité, le Premier ministre, Ousmane Sonko, réel leader du Pastef, semble vouloir exercer une interminable vengeance contre le pouvoir précédent et s’attaquer aux quelques contre-pouvoirs encore existants alors que les questions économiques sont reléguées au second plan.

Une obsession, la vengeance vis-à-vis de l’ancien pouvoir

Au sein de la précédente Assemblée, une coalition de partis disposant d’une courte majorité invitait au compromis et au respect des droits de l’opposition. Tel n’est plus le cas. Un exemple significatif : la pratique qui voulait que le vice-président de l’Assemblée nationale appartienne à l’opposition a été bafouée.

Tout le débat politique est monopolisé par les attaques contre l’ancien pouvoir alors que le Pastef est aux responsabilités depuis presque un an. La question principale aujourd’hui porte sur l’abrogation ou non de loi d’amnistie. Cette dernière, votée sous Macky Sall, couvre « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ». Votée dans une volonté d’apaisement avec l’opposition, elle a notamment permis à l’actuel président de la République et à son Premier ministre de recouvrer la liberté quelques jours avant le scrutin.

Le Pastef avait claironné haut et fort qu’il l’abrogerait afin de mettre en cause les dirigeant précédents mais fait désormais machine arrière. D’une part, l’abrogation de cette loi pourrait mettre dans une fâcheuse posture Bassirou Dimoye Faye et Ousmane Sonko qui en ont bénéficié. D’autre part, ils entendaient faire fi de l’institution judiciaire, pourtant seule à même de faire passer une personne de la qualité de prévenu à celle de victime.

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En réalité, le nouveau pouvoir entendait indemniser ses partisans avec l’argent du contribuable sénégalais et éviter toute enquête alors que des indices probants commencent à sortir sur la responsabilité du Pastef dans ces violences, certains jeunes ayant reçu des incitations financières pour aller manifester contre un troisième mandat de Macky Sall. Rappelons que l’intéressé y a renoncé de lui-même. Désormais, il n’est plus question que d’une loi interprétative de la loi d’amnistie. Le pire est à craindre tant l’exécutif dicte sa loi au législatif et au judiciaire.

Il ne fait pas bon être journaliste ou opposant au Sénégal

Le rognage des libertés individuelles est devenu une évidence. Les journalistes qui entendent exercer leur métier avec une certaine indépendance sont dans le collimateur. Après avoir placé un très proche à la tête de la télévision publique, le pouvoir s’attaque sans ménagements à ceux qui font preuve d’une certaine indépendance. Ainsi, le site web Dakaractu, l’un des plus suivis du pays, a été contraint de fermer ses bureaux à Dakar et à l’exil, n’étant plus un média reconnu par le pouvoir. Le 4 octobre, le magazine Jeune Afrique s’interrogeait : « Sénégal : peut-on encore contredire Ousmane Sonko ? » On ne compte plus les journalistes interpellés pour « diffamation » ou « injures » sans grandes suites judiciaires, fort heureusement.

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Le maire de Dakar, Barthélémy Dias, ancien compagnon de route d’Ousmane Sonko avec lequel il est désormais brouillé, est interdit d’entrée dans son hôtel de ville. Déjà déchu de son mandat de député à la demande du ministre de la Justice, il a été démis de ses fonctions de maire par un arrêté préfectoral. Alors même que la ville de Dakar accueillera les jeux Olympiques de la Jeunesse en 2026.

Les quelques députés de l’opposition ne sont pas à l’abri. Ainsi, Farba Ngom, un proche de l’ancien président, a vu son immunité levée dans des conditions pour le moins suspectes : aucune procédure judiciaire à son encontre mais un simple signalement effectué contre lui par une instance créée par le Pastef. En ce moment, c’est au tour de Mustapha Diop, ex-ministre de l’Industrie, de voir son immunité levée et de comparaître devant une commission ad hoc au sein de laquelle le Pastef est ultra-majoritaire.

Pendant ce temps, l’économie est à l’arrêt…

Ivre de sa volonté de revanche, le nouveau pouvoir sénégalais a lancé un audit (bien tardif) des finances publiques qui, sans surprise, est extrêmement sévère à l’encontre de l’ancien pouvoir. Le rapport de la Cour des Comptes a effectivement relevé un ratio de la dette publique à 100 % qui aurait été minorée de 25 % et un déficit budgétaire à 12 % contre 5 % annoncé.

Néanmoins, il est fortement permis de s’interroger sur l’objectivité dudit rapport : c’est une version non-signée par tous les présidents de Chambres qui a été présenté au public, au mois de février 2025, tandis que le rapport officiel, remis en décembre, est, lui, resté confidentiel. Pour quelles raisons ? Rappelons que c’est la même chambre sous l’autorité du même président, avec le visa de tous les présidents de Chambres qui avait certifié chaque année les comptes de l’État.

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L’effet indéniable et immédiat de ce document, qui poursuivait des fins avant tout politiciennes, a été de freiner les investisseurs, renforcer les difficultés à trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) et la dégradation de la note du Sénégal par l’agence de notation Moody’s comme Standard & Poor’s, rendant le recours à l’emprunt encore plus difficile et plus coûteux. Une sorte de balle tirée dans le pied ou de but contre son camp pour qui se préoccupe de l’intérêt général et la santé de l’économie sénégalaise.

Le BTP subit une crise de plein fouet, là encore animée par le désir de vengeance. En effet, il a été décidé l’arrêt des constructions dans une dizaine de zones du pays (afin de vérifier la légalité des permis de construire), dont le littoral de Dakar. Initialement prévue pour durer deux mois, cette situation perdure. Ce sont 10 000 emplois qui ont été perdus. Les impayés de l’État envers le secteur privé s’accumulent. La seule annonce du gouvernement est un plan « Sénégal Vision 2050 » qui vise à tripler le revenu par habitant… En évitant tout recours à l’emprunt. De qui jeter un doute sérieux sur sa crédibilité.

La voix du Sénégal ne se fait plus entendre

Enfin, d’un point de vue international, la voix du Sénégal, traditionnellement l’une des plus fortes sur le continent africain, grâce à l’excellence de sa diplomatie et à des chefs d’États emblématiques est quasiment atone. Que l’on se souvienne, par exemple, que c’est le président Macky Sall qui a obtenu que l’Afrique soit représentée au G20 ou son rôle actif dans le dénouement de crises intra-africaines. Tout cela appartient au passé.

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Le président de la République sénégalaise tout comme son Premier ministre sont portés par un panafricanisme régional ambiant, prônant une volonté légitime de passer d’une indépendance formelle à une réelle. Pour l’entretenir, ils ont eu recours, sans ménagement, à un discours populiste et fait des promesses impossibles à tenir ou contradictoires. Or, le Sénégal n’est ni le Mali, ni le Niger, ni le Burkina. C’est un pays à la tradition démocratique bien ancrée et dans lequel la conscience politique est élevée. Pour l’instant, le duo qui dirige l’État résiste. Pour combien de temps encore ?

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