Au Sénégal, le retour d’un projet de loi pour durcir le délit d’homosexualité et « contre les valeurs immorales de l’Occident »
La question de la criminalisation de l’homosexualité se pose à nouveau entre les murs de l’Assemblée nationale sénégalaise. Lundi 24 juin, un député a déposé une proposition de loi visant à durcir la législation en vigueur. En théorie, l’initiative bénéficie d’un soutien d’une large partie de l’opinion, de l’Hémicycle et de l’exécutif puisque le premier ministre Ousmane Sonko, avait promis dès 2022 lorsqu’il était opposant qu’il s’agirait d’une des premières lois qu’il ferait voter s’il arrivait aux responsabilités. Néanmoins, en pratique, l’adoption de cette proposition par le Parlement s’avère délicate tant elle pourrait déstabiliser certaines relations diplomatiques du Sénégal.
Jusqu’à présent, l’article 319.3 du Code pénal prévoit un emprisonnement d’un à cinq ans et une amende de 100 000 à 1 500 000 francs CFA (150 euros à 2 200 euros) pour toute personne ayant commis un « acte contre nature avec un individu de son sexe ». Mais le député Cheikh Abdou Bara Dolly Mbacké, du groupe parlementaire Liberté démocratie et changement, qui porte la proposition de loi, veut aller plus loin. « Nous devons lutter contre la perversion des mœurs de notre société, contre ces valeurs culturelles immorales importées de l’Occident », affirme l’élu qui a rejoint la coalition Diomaye Président avant la victoire à la présidentielle en mars de Bassirou Diomaye Faye.
Le texte prévoit donc une condamnation de dix à quinze ans de prison ferme et une amende de 1 à 5 millions de francs CFA et instaurerait des « délits de bisexualité, de transsexualité, de nécrophilie et de zoophilie ». En un mois, il s’agit de la deuxième proposition déposée à l’Assemblée nationale visant à durcir la législation sur l’homosexualité.
« Injonctions extérieures »
En outre, le texte du député Cheikh Abdou Bara Dolly Mbacké reprend dans sa quasi-intégralité les dispositions d’une précédente proposition, qui date de 2022. Soumise au vote des députés, elle avait été rejetée par la majorité présidentielle d’alors, qui estimait que la législation était déjà « claire et nette » sur le sujet, et qu’il n’était pas besoin « d’y ajouter ou d’en retirer une virgule ».
Dans une Assemblée nationale inchangée, Cheikh Abdou Bara Dolly Mbacké pense toutefois que son texte peut aujourd’hui passer. « En 2022, cette loi n’a pas été votée parce que le régime du président Macky Sall l’a bloquée face aux pressions de l’Occident, assure-t-il. Aujourd’hui, c’est différent, nous avons un premier ministre qui, je crois, ne cédera pas aux injonctions extérieures. »
Mi-mai, lors d’une conférence à Dakar avec Jean-Luc Mélenchon, consacrée aux relations entre l’Afrique et l’Europe, le premier ministre Ousmane Sonko avait prévenu les Occidentaux que leur militantisme en faveur des homosexuels et des minorités sexuelles pourrait provoquer un « nouveau casus belli » avec son pays. L’occasion aussi pour lui de dénoncer le fait que « la question du genre revient régulièrement dans les programmes de la majorité des institutions internationales et dans les rapports bilatéraux, même souvent comme une conditionnalité pour différents partenariats financiers ».
Il n’empêche, cette proposition de loi embarrasse le nouvel exécutif. « Tôt ou tard, nous irons vers ce type de législation, indique un conseiller du premier ministre. Aujourd’hui, ce n’est peut-être pas le bon timing. » Même son de cloche du côté des députés des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le parti présidentiel, et de la coalition Yewwi Askan Wi.
« Déterminé »
La nouvelle proposition, si elle est en mesure de satisfaire un électorat conservateur, pourrait toutefois avoir des conséquences à l’international et perturber les relations diplomatiques que Dakar entretient avec les chancelleries occidentales, voire le priver de certains financements institutionnels. La Banque mondiale a par exemple suspendu deux fois ses versements à l’Ouganda, après l’adoption de textes criminalisant l’homosexualité. La même menace plane aujourd’hui sur le Ghana, qui a durci sa loi en février.
« L’exécutif est pris en étau entre ses promesses et la réalité de l’exercice du pouvoir », commente Xalima, un militant pour les droits LGBT, exilé en France. Si l’adoption de cette loi semble incertaine, les inquiétudes de la communauté LGBT au Sénégal, elles, sont bien réelles. « Le pays est devenu invivable, au point que tous les jours nous constatons des départs de personnes de la communauté vers des Etats voisins », relate Xalima.
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Alors que la session parlementaire annuelle doit se clôturer dimanche, il semble « peu probable » que le vote ait lieu d’ici là, selon le président de la commission des lois, Moussa Diakhaté. « Nous reprendrons les travaux parlementaires la première quinzaine d’octobre », annonce-t-il. A moins qu’une session extraordinaire ne soit convoquée pendant la période estivale.
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