Au Sénégal, l’extraction minière dévore les terres et bouleverse les vies
Dans le nord du pays, une filiale du groupe français Eramet exploite des sables minéralisés, provoquant des déplacements massifs de populations et des dégâts environnementaux majeurs.
Au cœur du désert de Lompoul, dans le nord du Sénégal, une scène digne d’un film de science-fiction se déroule sous les yeux des habitants. Une drague géante, qualifiée de « plus grande au monde » par le groupe minier français Eramet, avale des milliers de tonnes de sable minéralisé chaque heure. Accompagnée d’une usine flottante, cette machine colossale transforme le paysage en un champ de désolation, creusant des bassins artificiels et déplaçant des communautés entières. Depuis 2014, cette exploitation a bouleversé la vie des populations locales et fragilisé un écosystème unique.
Les dunes de Lompoul, autrefois un site touristique prisé pour leur beauté et leur biodiversité, sont aujourd’hui défigurées par l’activité minière. Les sables extraits contiennent des minéraux précieux comme le zircon, l’ilménite et le rutile, utilisés dans des industries mondiales telles que la construction, la métallurgie et la céramique. Mais cette richesse souterraine a un coût élevé pour les populations locales. Des milliers de paysans ont été déplacés, leurs terres agricoles fertiles englouties par les machines. Ces terres, situées dans la région des Niayes, produisaient auparavant 80 % des légumes frais consommés au Sénégal.
Les habitants déplacés vivent désormais dans des villages construits par Eramet Grande Côte (EGC), la filiale sénégalaise du groupe français. Bien que dotés d’infrastructures de base comme des écoles et des centres de santé, ces nouveaux lieux de vie ne compensent pas la perte des moyens de subsistance traditionnels. Omar Keïta, un agriculteur de 32 ans, témoigne de son désarroi : « Avant, j’avais mes champs et ma maison. Aujourd’hui, je dois tout reconstruire. » Comme lui, de nombreux déplacés dénoncent un système d’indemnisation jugé insuffisant, basé sur un barème national obsolète datant des années 1970.
Les impacts environnementaux sont tout aussi préoccupants. Les machines pompent l’eau à plus de 450 mètres de profondeur, perturbant les nappes phréatiques et affectant les cultures environnantes. Des agriculteurs comme Serigne Mar Sow déplorent la mort de leurs plantations, attribuée à l’eau rejetée par la drague. EGC affirme que le processus d’extraction est purement mécanique et qu’aucun produit chimique n’est utilisé, mais les communautés locales restent sceptiques.
Face à ces tensions, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a récemment appelé à une meilleure gestion des ressources naturelles, soulignant que l’exploitation minière doit bénéficier aux populations locales. Cependant, EGC défend son bilan, mettant en avant les retombées économiques pour le pays : 149 millions d’euros générés en 2023, dont 25 millions versés en impôts et taxes. Le groupe emploie également près de 2 000 personnes, dont 97 % sont des Sénégalais.
Malgré ces arguments, les critiques persistent. Les élus locaux et les défenseurs de l’environnement réclament un moratoire pour évaluer les dégâts causés par l’exploitation. Gora Gaye, maire de Diokoul Diawrigne, résume le sentiment général : « Il ne faut pas fermer les yeux sur ce drame. Quel que soit ce que le Sénégal gagne, il faut se tourner vers les communautés et les accompagner. »
Alors que la drague continue de creuser les dunes de Lompoul, le débat sur l’équilibre entre développement économique et préservation des écosystèmes reste plus que jamais d’actualité. Les populations locales, elles, espèrent que leurs voix seront enfin entendues.
Crédit: Lien source