Au Sénégal, vif débat en vue à l’Assemblée sur la révision d’une loi d’amnistie couvrant les violences politiques
L’Assemblée nationale du Sénégal examine mercredi 2 avril un projet de révision d’une loi d’amnistie promulguée par le précédent pouvoir et couvrant les violences politiques meurtrières entre 2021 et 2024, sur fond de polémique sur la manière d’aborder les questions de justice et d’impunité face aux crimes de cette période.
Cette loi d’amnistie avait été adoptée en mars 2024, dans les dernières semaines de la présidence de Macky Sall (2012-2024), afin d’apaiser les années de tensions politiques qui ont culminé à l’approche de l’élection présidentielle de mars 2024.
A l’époque, le Sénégal sortait d’un bras de fer de plusieurs années entre le président Macky Sall, longtemps soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat, et son adversaire politique, Ousmane Sonko, déclaré inéligible et emprisonné depuis plusieurs mois. Le pays a ainsi connu entre 2021 et 2024 des manifestations politiques violentes, durement réprimées par le pouvoir et qui ont traumatisé une partie du Sénégal.
Pendant les manifestations politiques, la présence d’hommes armés habillés en civil avait été relayée sur les réseaux sociaux et dénoncée par des défenseurs des droits humains. Ces hommes ont été accusés par l’opposition de l’époque d’être des « nervis » au service du camp de Macky Sall pour prêter main-forte aux policiers et gendarmes et réprimer les contestataires.
Un projet de loi « d’interprétation »
Au moins 65 personnes ont été tuées – dont 51 par balles, en grande majorité des jeunes – pendant les manifestations à l’appel de l’opposition, selon le bilan établi par un collectif réunissant des journalistes, cartographes et scientifiques. Nombre de jeunes ont aussi été blessés ou détenus.
C’est à la faveur de la loi d’amnistie que M. Sonko et son bras droit, Bassirou Diomaye Faye, sont sortis de prison, tout comme des centaines d’opposants. Quelques jours après, M. Faye était élu président de la République dès le premier tour de la présidentielle.
En décembre 2024, Ousmane Sonko, leader de l’opposition arrivée au pouvoir en avril 2024 et devenu premier ministre, avait promis d’abroger cette loi d’amnistie, « pour que toute la lumière soit faite et les responsabilités établies de quelque bord qu’elles se situent », selon les mots de son discours de politique générale à l’Assemblée. « Il ne s’agit pas d’une chasse aux sorcières, encore moins de vengeance. (…) Il s’agit de justice, pilier sans lequel aucune paix sociale ne peut être bâtie », avait-il ajouté.
Mais c’est finalement un projet de loi « d’interprétation » de la loi d’amnistie qui sera débattu à l’Assemblée. En cas d’adoption, les meurtres, assassinats, actes de torture et de barbarie ou encore les disparitions forcées seront exclus du champ de l’amnistie. Ce projet de loi suscite les critiques de certains opposants et membres de la société civile qui accusent le Pastef, le parti au pouvoir, de vouloir protéger ses militants.
« Permettre aux victimes d’obtenir justice »
« La proposition de loi interprétative vise à lutter contre l’impunité pour les violations graves de droits humains, considérées comme des infractions imprescriptibles (…) », a répliqué vendredi dans un message sur Facebook le député Amadou Ba, auteur de la proposition de loi. « Tous les AUTEURS d’infractions graves sont concernés, exécutants et surtout COMMANDITAIRES qui ont recruté, armé et financé les nervis et autres milices privées », a-t-il martelé, en réaction à la polémique.
De son côté, Abdou Khafor Kandji, du mouvement citoyen Y’en a marre, a estimé que la question était « en train d’être politisée par les députés du Pastef », lors d’une conférence de presse mi-mars. « Maintenant, on ne nous parle plus d’abrogation de la loi. On nous parle de loi interprétative, on nous parle d’abrogation partielle, on nous parle de modification. Mais interpréter une loi pour laquelle nous avions voté contre, pour nous, relève de l’incohérence », a poursuivi M. Kandji, qui demande l’abrogation totale.
Restez informés
Suivez-nous sur WhatsApp
Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique »
Rejoindre
L’ONG Amnesty International souligne, pour sa part, qu’une abrogation pure et simple de la loi reviendrait à un statu quo. L’abrogation « ne peut pas rétroagir, elle ne peut pas remettre en cause des droits déjà acquis », rappelle à l’Agence France-Presse (AFP) Seydi Gassama, directeur de l’ONG au Sénégal. « Nous pensons que cette loi [d’interprétation] va permettre aux victimes d’obtenir justice », souligne M. Gassama, dont l’organisation a recensé une soixantaine de morts et des milliers de blessés lors des violences politiques.
Crédit: Lien source