L’accord de paix, qui a mis fin à la guerre civile en septembre 2018, n’a jamais été mis en œuvre. Les différents groupes armés n’ont pas été unifiés, les armes ont continué à proliférer malgré l’embargo prolongé par le Conseil de sécurité de l’ONU depuis 2018, les violences n’ont cessé de transformer le quotidien des civils en calvaire… Et pourtant, le risque d’une reprise des combats entre les deux principaux signataires de l’Accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud – désigné par l’acronyme anglais R-ARCSS –, le président Salva Kiir et celui qui est devenu son premier vice-président, Riek Machar, avait jusque-là été évité.
Cette épée de Damoclès plane désormais sur la plus jeune nation du monde, à cause des affrontements qui ont éclaté mi-février dans le comté de Nasir, dans l’est du pays, entre l’armée gouvernementale et la White Army, une milice alliée à Riek Machar. Vendredi 7 mars, Salva Kiir a confirmé la mort du commandant de l’armée régulière, le général David Majur Dak, ainsi que de 27 militaires après l’échec d’une opération d’évacuation conduite par l’ONU. « Je ne replongerai jamais le Soudan du Sud dans la guerre », a affirmé le président. Ce dernier refuse cependant de s’entretenir avec Riek Machar, malgré les appels répétés de la société civile, des chefs religieux et de la communauté internationale.
La menace d’un débordement du conflit soudanais
« Depuis la signature de l’accord en 2018, suivie par le retour de Riek Machar à Juba en 2020, les relations entre le président et son vice-président étaient stagnantes. Mais elles n’ont jamais atteint un tel niveau de tensions », souligne Daniel Akech, spécialiste du Soudan du Sud au sein de l’International Crisis Group. Derrière cette escalade graduelle, un volet économique couplé à une dimension politique. Le budget du gouvernement sud-soudanais repose en effet à 90 % sur le pétrole, produit localement, puis exporté au Soudan voisin où il est raffiné. Or la guerre qui oppose les Forces armées soudanaises aux Forces de soutien rapide depuis bientôt deux ans a fortement affecté ce commerce, bien que les autorités sud-soudanaises aient annoncé la reprise de la production début janvier.
« Il est devenu difficile pour l’État de payer les fonctionnaires et les forces armées. Cela a créé une pression sur le président qui a réagi en restructurant ses forces de sécurité. Riek Machar s’est plaint d’une atteinte à l’accord de paix », résume Daniel Akech, qui a consacré un article exhaustif à la menace d’un nouveau conflit au Soudan du Sud, potentiellement alimenté par les affrontements se déroulant au nord. « De nombreux Sud-Soudanais et diplomates en poste dans la région soupçonnent l’armée soudanaise d’avoir réactivé ses anciens liens avec les milices Nuer [le peuple de Riek Machar, NDLR] dans le Haut-Nil et d’avoir envoyé du matériel militaire vers le sud, ce qui expliquerait en partie l’éruption soudaine des combats », écrit le chercheur.
À la tête du pays depuis son indépendance en 2011, Salva Kiir, 73 ans, prépare en outre sa succession. Pour prendre sa suite, le président semble avoir choisi l’homme d’affaires Benjamin Bol qu’il a nommé vice-président chargé de l’économie le 10 février. « Il n’est pas apprécié d’une part car il n’est pas issu de la hiérarchie politique et militaire, comme il est d’usage pour les responsables de son parti, le Mouvement populaire de libération du Soudan, rappelle Daniel Akech. Il a par ailleurs été sanctionné pour corruption par les États-Unis. Les Sud-Soudanais ne veulent pas être dirigés par un tel personnage. Salva Kiir semble néanmoins déterminé à suivre son plan… »
Des ministres et des généraux de l’opposition derrière les barreaux
L’entêtement du président, trait de caractère qu’il partage avec son ex-rival, n’a jamais permis d’appliquer l’accord de paix, seul outil à même d’apaiser les tensions actuelles. « Ce que nous observons en ce moment s’inscrit dans cette dynamique de questions non résolues et de l’échec à bâtir un consensus institutionnel et politique, ou une culture respectueuse des droits humains fondamentaux, regrette Barney Afako, membre de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur le Soudan du Sud. Les mécanismes et les institutions prévus par l’accord de paix doivent être instaurés afin de résoudre les tensions et les violations militaires de manière institutionnelle. »
Ignorant les appels au dialogue et à la désescalade, Salva Kiir a fait arrêter plusieurs cadres du parti de son vice-président, le Mouvement populaire de libération du Soudan en opposition. Cela inclut le numéro deux du parti, le général Gabriel Duop Lam interpellé le 4 mars, le ministre du Pétrole Puot Kang Chol emprisonné le 5 mars, et le ministre de la paix Stephen Par Kuol – incarcéré le 6 mars puis libéré le lendemain. « C’est la première fois depuis l’accord de paix que des commandants de haut rang et des ministres sont arrêtés. Ces interpellations liées aux combats dans le comté de Nasir aggravent les tensions », déplore l’évêque épiscopal Moses Deng Bol, qui participe au processus de Tumaini visant à intégrer les groupes armés non-signataires de l’accord de paix.
Les civils et les chefs religieux à l’œuvre
Fin février, l’évêque faisait partie d’une délégation de quatre civils qui se sont rendus à Addis-Abeba, où se situe le siège de l’Union africaine, pour appeler l’instance panafricaine, mais aussi la communauté internationale et les « pays amis du Soudan du Sud », à faire pression sur Juba afin d’éviter de replonger dans la guerre. Mais aussi pour honorer l’engagement d’organiser les toutes premières élections présidentielles en 2026 – après un énième report du scrutin en septembre dernier. Le 17 mars, Moses Deng Bol s’unira à un groupe de chefs religieux qui initieront un cycle de prières pour la réconciliation, auquel le président et son premier vice-président ont été conviés.
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Fidensia Charles, la présidente par intérim de la Commission des droits de l’homme du Soudan du Sud, qui a aussi rejoint la délégation d’Addis-Abeba, insiste, elle, sur le rôle de la société civile pour enrayer le fléau des violences. « La plupart des responsables politiques utilisent des arguments ethniques pour implanter leur agenda. Si les citoyens, et en particulier les jeunes, prennent conscience de la réalité, les dirigeants ne trouveront plus personne pour les suivre dans leur rhétorique belliqueuse », espère l’activiste.
L’IGAD appelle à la reprise du dialogue
Ce mercredi 12 mars, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), garante du R-ARCSS, s’est réunie virtuellement pour tenter de trouver une issue à cette crise inédite, sept ans après la fin de la guerre qui avait fait quelque 400 000 victimes. « Le sommet a appelé toutes les parties au Soudan du Sud à respecter le cessez-le-feu, à désamorcer les tensions et à reprendre le dialogue pacifique. Il a réitéré la mise en œuvre accélérée de l’accord de paix revitalisé et le respect des engagements et des accords, tout en plaçant le bien-être du peuple sud-soudanais au-dessus de tout », a déclaré sur X (anciennement Twitter) Mohamed Abdi Ware, le secrétaire exécutif adjoint de l’IGAD.
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