Les affrontements qui ont éclaté dans le nord-est du Soudan du Sud, ces dernières semaines, ont réveillé le spectre de la guerre civile. Tout juste après avoir accédé à l’indépendance, en 2011, le plus jeune Etat du monde s’était retrouvé déchiré entre deux factions de l’ancienne rébellion séparatiste : celle du président Salva Kiir, 73 ans aujourd’hui, à la tête de l’armée régulière, et celle du vice-président Riek Machar, 75 ans, dirigeant du Mouvement populaire de libération du Soudan en opposition (SPLM-IO). Leur confrontation a fait près de 400 000 morts et 4 millions de déplacés entre 2013 et 2018, date à laquelle les deux rivaux ont signé un accord de paix préservant leurs positions de pouvoir respectives. Or cet accord – jamais totalement appliqué – ne tient plus qu’à un fil.
«Les combats ont repris le 14 février 2025, lorsque l’armée régulière a attaqué des civils sur une place de marché [du comté de Nasir, dans la région du Haut-Nil, ndlr], entraînant une série d’affrontements armés avec la jeunesse locale qui ont fait des milliers de déplacés et des dizaines de blessés», relevait Human Rights Watch fin février. Quelques jours plus tard, Riek Machar accusait les soldats sud-soudanais d’avoir engagé une offensive contre ses forces dans le comté voisin d’Ulang. «Le 25 février, l’armée, tout en exhortant les jeunes à se disperser, a mené des frappes aériennes sur les positions du SPLA-IO. Elles ont également touché des zones civiles, ouvrant la voie à une dangereuse escalade du conflit», redoutait Human Rights Watch. La prédiction de l’ONG s’est révélée exacte : le 4 mars, une milice de jeunes combattants Nuer (l’ethnie à laquelle appartient Riek Machar), la White Army, a pris d’assaut la base militaire de Nasir, proche de la frontière éthiopienne. Les combats ont duré plusieurs jours.
Un hélicoptère envoyé par la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) pour exfiltrer des militaires pris au piège à Nasir a essuyé des tirs, le 7 mars, a annoncé l’ONU dans un communiqué, «avec pour conséquence la mort d’un membre d’équipage et de sévères blessures pour deux autres». Durant l’opération d’évacuation, le général sud-soudanais Majur Dak, commandant de la base de Nasir, a également été tué. Le soir même, le président Kiir publiait un communiqué appelant au calme, promettant que son pays «ne retombera pas dans la guerre». Les efforts pour «restaurer la paix dans la région restent une priorité absolue», affirme de son côté Riek Machar.
Pourtant, la tension a gagné Juba, la capitale. Plusieurs cadres du SPLM-IO ou proches de Riek Machar ont été arrêtés, dont le ministre du Pétrole, Puot Kang Chol et le général Gabriel Duop Lam, numéro 2 de l’armée sud-soudanaise, nommé à ce poste pour superviser l’intégration des combattants du SPLM-IO dans l’armée régulière. «Ces individus sont soupçonnés d’avoir des liens avec la confrontation militaire croissante» dans le nord-est du pays, a justifié le service national de sécurité. Lundi, le lieutenant général Thok Chuol Luak, responsable du SPLM-IO pour le secteur de Nasir, a également été interpellé en Ethiopie et placé en détention, selon le média en ligne Sudan Post. Une série d’incarcérations qui menace de faire éclater le fragile accord de paix de 2018.
Deux facteurs semblent avoir précipité la crise actuelle. La question de la succession du président Kiir vieillissant, aiguisant les ambitions de ses potentiels héritiers, et surtout la guerre civile qui fait rage au Soudan voisin. Celle-ci a privé l’Etat sud-soudanais d’une grande partie de ses recettes pétrolières (les oléoducs qui traversent le Soudan ont été endommagés en 2024), «plongeant le gouvernement de Juba dans une grave crise fiscale et mettant à rude épreuve la capacité de Salva Kiir à maintenir son régime à flot», relève une note d’analyse de l’International Crisis Group. «L’armée exploite depuis des décennies les fissures ethno-politiques de la société sud-soudanaise pour alimenter les conflits», rappelle par ailleurs le centre de réflexion, qui juge «plausible» l’implication de Khartoum dans la reprise des hostilités.
«De nombreux Sud-Soudanais et diplomates en poste dans la région soupçonnent l’armée soudanaise d’avoir réactivé ses anciens liens avec les milices Nuer dans le Haut-Nil et d’avoir envoyé des fournitures militaires au Sud, ce qui expliquerait l’irruption soudaine des combats, détaille l’International Crisis Group. L’objectif principal du général Al-Burhan [le chef de l’Etat soudanais et commandant en chef de l’armée, ndlr] pourrait être d’aider ses proxys sud-soudanais à reprendre le contrôle des territoires situés le long de la frontière entre le Soudan et le Sud-Soudan dans le Haut-Nil.» Car côté soudanais, le camp adverse du général Al-Burhan, les Forces de soutien rapide du général Hemetti ainsi que ses nouveaux alliés du SPLM-Nord, déployés dans leur bastion des Monts Nouba, «tiennent actuellement une grande partie de la frontière, ce qui représente un risque majeur pour l’armée soudanaise».
Le Soudan du Sud est entré dans une «régression alarmante qui pourrait anéantir des années de progrès vers la paix», a alerté samedi Yasmin Sooka, présidente de la commission sur les droits de l’homme des Nations unies au Soudan du Sud. «Nous assistons actuellement à un retour aux luttes de pouvoir imprudentes qui ont dévasté le pays dans le passé», a commenté le commissaire Barney Afako dans le même communiqué. Le lendemain, les Etats-Unis ont ordonné à leurs personnels non essentiels de quitter le pays.
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