« Poussez-vous ! Laissez-nous passer ! » Quatre hommes se frayent un chemin à travers la foule qui se presse dans les allées étroites, bordées d’étals et de tentes de fortune, du camp de déplacés de l’école nationale Darius-Denis, à Port-au-Prince, la capitale haïtienne. Avançant à pas rapides, ils portent le corps inanimé d’une femme, en la soutenant chacun par un de ses membres. « Elle a fait une crise cardiaque », commente un spectateur de la scène. « Mais non, c’est une crise d’épilepsie : elle écume », répond un autre. La malheureuse et ses quatre sauveteurs disparaissent derrière une haie de badauds.
Quelques instants plus tard, cet incident semble déjà oublié dans la cohue et la touffeur de ce camp surpeuplé. C’est là que des habitants de Port-au-Prince ont trouvé refuge après avoir été chassés de leur maison par les bandes criminelles qui contrôlent près de 80 % de l’agglomération.
Afin de tenter de reprendre en main la situation, le premier ministre haïtien, Garry Conille, a annoncé, mercredi 17 juillet, l’instauration de l’état d’urgence sécuritaire dans 14 communes où se concentre les violences. Dans ces localités, situées en banlieue de Port-au-Prince ainsi que dans le département de l’Artibonite, « un ensemble de mesures concrètes et décisives seront mises en application pour combattre l’insécurité et rétablir la paix », a assuré le chef du gouvernement, lors d’un discours à la nation diffusé sur les réseaux sociaux.
Ces annonces sont encore loin d’améliorer le quotidien des résidents de l’Ecole nationale Darius-Denis. « Il y a 376 familles qui vivent ici, soit 1 264 personnes en tout », explique Chéry Isaac, un jeune homme de 28 ans qui se présente comme le « président » de ce camp. Les déplacés, qui s’entassent dans les bâtiments et la cour de récréation de cette école élémentaire publique du centre de la capitale, habitaient pour la plupart dans les quartiers populaires de Carrefour Feuilles et de Savane Pistache.
« On est partis sans rien »
En août 2023, une nouvelle série d’exactions commises par le gang Gran Ravin a fait fuir plusieurs milliers d’habitants de ces secteurs en quelques jours. « Avant, on n’était pas riches, mais on avait notre maison, se lamente Elodie Auguste, une femme de 60 ans arrivée sur ce site avec ses cinq enfants et sa petite-fille de 5 ans. On est partis sans rien. Ils ont tout brûlé, on n’a rien pu sauver. »
Dans bien des cas, les assaillants n’ont pas hésité à s’en prendre directement aux habitants. La vie de Gyvelove Saint-Fleur a basculé un jour de février 2023. « Ils m’ont violée. Ils ont violé treize autres femmes », témoigne cette jeune femme de 18 ans, mère de deux enfants. Ses grands yeux s’embuent de larmes à mesure qu’elle raconte son calvaire. « Ils ont assassiné ma cousine. Elle n’avait que 16 ans ! Ils ont tué les garçons qui tentaient de résister. Ils m’ont dit que c’était à cause de mes deux enfants qu’ils me laissaient la vie sauve », débite-t-elle d’une voix éteinte.
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