« L’IA n’est pas une forme d’intelligence humaine, consciente, créative ou infaillible. Elle fonctionne selon des principes algorithmiques, est limitée par les données qu’elle utilise et doit être supervisée pour garantir son efficacité et son éthique ». L’avertissement du professeur Eugène Ezin, professeur titulaire en informatique et intelligence artificielle à l’Université d’Abomey-Calavi (Sud-Bénin) est sans équivoque. « Pour le jeune chrétien, ajoute l’universitaire, les risques de l’IA sont bien réels, dans le domaine de la foi, de la moralité et de la vérité ».
À la demande de l’Église, le professeur a donné une conférence, vendredi 11 avril à la paroisse Jésus-Eucharistie de Cotonou, une paroisse du centre-ville, lors d’une soirée de réflexion d’échange sur l’Intelligence artificielle qu’il définit comme « un ensemble de technologies permettant à des machines, logiciels ou des systèmes de simuler des capacités humaines, comme la pensée, l’apprentissage, la reconnaissance, la prise de décision et la résolution des problèmes ».
Au Bénin, l’enjeu et les dangers de l’Intelligence artificielle semblent de plus en plus perçus aussi bien par les dirigeants politiques que par l’Église au Bénin. Si mi-janvier 2023, le gouvernement béninois a même doté le pays d’une Stratégie nationale d’intelligence artificielle et des mégadonnées (2023-2027), de leur côté, paroisses et diocèses multiplient les activités de sensibilisation pour prémunir les chrétiens par rapport aux dangers que pourraient occulter les nombreux avantages du numérique en général et l’IA en particulier.
« Nous avons voulu informer les jeunes de Cotonou sur le défi de discernement et de responsabilité que l’IA nous lance en tant que jeunes chrétiens », souligne le père Canisius Aklé, vicaire de la paroisse hôte. Pour lui, en effet, avec l’essor de l’IA, « l’humanité a abordé un nouveau virage dans sa relation avec la technologie ». Et face à cela, estime le prêtre, « nous ne pouvons plus faire marche arrière, mais plutôt avancer avec, sans nous laisser conditionner par l’outil ».
L’impératif d’un accompagnement
Avec l’accessibilité d’outils d’intelligence artificielle qui offrent des réponses aux questions que se posent les jeunes sur la foi, l’universitaire indexe le « risque de déconnexion du réel, du sacré et de la communauté ». Selon son explication, « trop s’appuyer sur l’IA peut amener à vivre sa foi de manière isolée, virtuelle, loin des sacrements, de la messe, de la vie en paroisse ». Or, se désole l’enseignant catholique, « l’Église est corps, communion, sacrement vivant » et « ce qui est purement numérique ne saurait valablement remplacer Eucharistie, la confession, ni la présence d’un frère, d’une communauté spirituelle ou un prêtre ». Il fait ainsi allusion aux possibilités d’accompagnements spirituels virtuels offertes par l’IA, lesquelles peuvent « entraîner une foi sans effort, sans intériorité, sans silence, sans rencontre vraie avec Dieu ».
Le professeur Ezin fait remarquer, en outre, que « l’IA peut être utilisée pour diffuser des idées contraires à la foi, influencer discrètement les opinions ou même détourner de la vérité ». Elle peut « proposer ou générer des contenus immoraux, offensants, mensongers, parfois même sans que l’utilisateur le demande ». D’où la nécessité, pour le jeune chrétien, « de développer un esprit critique, vérifier les sources et garder un cœur enraciné dans le Christ ».
Intégrer l’éducation aux médias à la catéchèse
Interrogé sur les mécanismes susceptibles d’outiller la jeunesse béninoise et africaine pour un bon usage de l’IA et plus généralement les nombreuses offres du numérique, le père Éric Okpeitcha, docteur en communication, recommande que l’Église, aux côtés des politiques publiques, s’investisse dans l’Éducation aux médias et à l’information. À ses yeux, « c’est aujourd’hui une nécessité vitale », et il convient de « voir dans quelle mesure l’intégrer à la catéchèse et dans les écoles catholiques » tout en s’appuyant surtout sur les associations de jeunes dont les grands regroupements peuvent être des occasions de sensibilisations.
Mais le père Joël Houênou, un autre communicant, estime que la formation doit s’étendre aux prêtres. « “Je ne suis pas dans ces choses-là” entend-on malheureusement encore des prêtres dire lorsqu’on parle d’IA ou d’outils contemporains du numérique », se désole le père Houênou. Il souligne qu’« il est impératif que tous les acteurs de la pastorale prennent conscience de l’existence de ces nouveautés technologiques, y soient formés pour, à leur tour, orienter valablement nos jeunes ».
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