Bilie-By-Nze face aux Gabonais : Entre défiance et vérités crues | Gabonreview.com

 

Dans une interview fleuve accordée à un panel d’activistes gabonais, l’ancien Premier ministre d’Ali Bongo et candidat à la présidentielle d’avril 2025, Alain-Claude Bilie-By-Nze, balance entre mea culpa sur le passé et vision pour l’avenir. Face aux questions incisives sur son rôle dans l’ancien régime, il livre des révélations fracassantes sur les coulisses du coup d’État et dresse un réquisitoire sans concession contre le général Oligui Nguema, qu’il accuse de perpétuer le système Bongo sous une autre forme. Coulisses du coup d’État d’août 2023, parcours politique, CTRI et bilan du régime de transition, événements post-électoraux de 2016, polémique sur la ‘’vie au-dessus des moyens’’, état de droit et les prisonniers politiques, Françafrique et relations internationales, avis sur Oligui Nguema, etc. Toutes les questions que vous avez toujours à l’enfant terrible de Ntang-Louli.

Candidat à la présidentielle d’avril 2025, Alain-Claude Bilie-By-Nze a répondu à toutes les questions que l’opinion a toujours voulu lui poser. © GabonReview (montage)

 

Dans un échange sans concession de plus de trois heures avec des activistes et citoyens gabonais, Alain-Claude Bilie-By-Nze, candidat à l’élection présidentielle du 12 avril 2025, a livré sa vision du Gabon et répondu aux critiques sur son passé au service d’Ali Bongo. Au titre des intervenants ayant participé à ce panel de plus de 3h et posé chacun plusieurs questions au candidat, il y avait : Princess De Souba (l’animatrice principale), Bernard Christian Rekoula (activiste, lanceur d’alerte), Le Phénix (activiste), Franck Biziki (citoyen gabonais), Tata Uketana (activiste) Mwanga (citoyen gabonais), Joxy Andro Luemba (journaliste chez Monde d’Afrique, présent en tant que citoyen gabonais) et Emmanuelle (activiste gabonaise).

Principal adversaire du général Brice Oligui Nguema, l’ancien Premier ministre déploie, dans cet échange, une stratégie claire : se présenter comme l’alternative démocratique face à un régime militaire qu’il accuse de perpétuer le système Bongo sous un autre nom.

Les coulisses inédites du coup d’État : Oligui lui aurait proposé de rester Premier ministre

L’une des révélations les plus fracassantes de l’entretien concerne les heures qui ont suivi le renversement d’Ali Bongo. Contrairement au discours officiel du CTRI qui le présentait comme l’une des cibles du coup d’État, Bilie-By-Nze affirme avoir été sollicité par le général Oligui pour rester à son poste.

«Je me suis rendu ce jour-là le 30 [août 2023] au bureau de M. Oligui à sa demande», raconte-t-il. «Au cours de cet entretien, ils m’ont proposé de continuer à servir comme Premier ministre du gouvernement.» Une offre qu’il dit avoir déclinée : «Je leur ai dit que ça ne m’intéressait pas, qu’il y avait eu un coup d’État et que je faisais partie de l’exécutif et que ce coup d’État m’avait concerné

Plus étonnant encore, il affirme que cette proposition a été réitérée le lendemain : «Le 31 août, j’ai été à nouveau appelé par le directeur général du protocole d’État, M. François Epouta, qui m’a dit que j’étais attendu à 21h auprès du général Oligui… il m’a réitéré sa décision de faire de moi son Premier ministre, qui m’avait d’ailleurs été confirmé dans la journée par quelques-uns de mes amis, qui en avaient eu la confidence.»

Si elle était confirmée, cette révélation remettrait en question toute la narration du CTRI sur les motifs du coup d’État et suggérerait une tentative de cooptation des figures du régime déchu.

« Je ne suis pas un produit du PDG » : une défense passionnée de son parcours politique

Face aux accusations d’incarner la continuité du système Bongo, Bilie-By-Nze s’efforce de rappeler ses origines dans l’opposition : «Je ne suis pas un produit du PDG. Je suis un produit de l’opposition gabonaise», martèle-t-il. «J’ai un parcours politique. Mon parcours politique, je l’ai débuté dans l’opposition, en portant un certain nombre d’idées auprès de personnalités politiques que j’ai reconnues à l’époque

Il retrace minutieusement son itinéraire politique, insistant sur ses débuts auprès de l’opposant Paul Mba Abessole : «J’ai milité au sein du RNB de Paul Mba Abessole et avec le RNB, lorsque Mba Abessole devient maire de Libreville, trois années après son élection, j’ai rejoint l’équipe de la mairie de Libreville». Il souligne également son engagement lors des contestations post-électorales de 1993 : «En 1993, j’étais dans les rangs de l’opposition et dans les rues de Libreville pour revendiquer la victoire de Mba Abessole.» Le candidat affirme n’avoir rejoint le PDG qu’en 2013, soit «dix ans» seulement avant le coup d’État, après avoir été «ministre et député» pour d’autres formations politiques.

« Le CTRI, c’est le PDG » : des attaques frontales contre Oligui Nguema

L’ancien Premier ministre ne mâche pas ses mots contre le régime actuel, qu’il qualifie sans détour de continuation du système qu’il prétendait combattre : «Toutes les coordinations de campagne du candidat militaire sont occupées par les hiérarques du PDG. Cela veut dire aujourd’hui que le CTRI, c’est le PDG. Le CTRI est l’autre nom du PDG

Sa critique du bilan du CTRI est particulièrement acerbe : «Je trouve que le bilan du CTRI est catastrophique et c’est pour ça que je suis candidat. Je trouve que le CTRI a menti aux Gabonais. Le CTRI a dit qu’il est venu restaurer les institutions. Il n’en a restauré aucune. Il est en fait venu restaurer l’ordre ancien, pas les institutions

Il qualifie les promesses de réalisations du gouvernement de transition de propagande pure et simple : «Quand j’entends dire qu’on a recruté 26 000 personnes à la fonction publique, qu’on publie les listes dans L’Union, parce que c’est cela, également, la transparence… Je vais dans les quartiers aujourd’hui et les Gabonais me disent qu’ils ne vivent pas mieux qu’il y a 18 mois.»

Bilie-By-Nze va jusqu’à suggérer que le général Oligui n’a pas les compétences requises pour diriger le pays : «La faille du système Oligui, c’est Oligui lui-même. C’est lui la principale faille. Parce que, je vais vous le dire, il n’est pas à la hauteur. Je suis désolé

Les fosses communes de 2016 : « Qui a fait quoi ? Qui a donné l’ordre ? »

Sur la question sensible des événements post-électoraux de 2016 et des allégations de fosses communes, l’ancien porte-parole du gouvernement Bongo renvoie la balle au régime actuel : «Je pense qu’on a aujourd’hui l’opportunité dans ce gouvernement d’avoir le ministre de la Communication qui, à l’époque, a indiqué qu’il y avait eu 300 morts. On a dans ce gouvernement le ministre de la Justice qui était au QG de Jean Ping et qui disait qu’il y avait des fosses. Pourquoi depuis maintenant 19 mois, il n’y a aucune enquête qui a été lancée ? Pourquoi depuis 19 mois, plus personne n’en parle ?»

Bilie-By-Nze pose une question troublante sur les chantiers actuels à l’endroit même où ces fosses sont supposées avoir existé : «Aujourd’hui, les constructions se font là-bas, à la Cité de la Démocratie. Mais comment peut-on construire dans un endroit qui est réputé abriter des fosses ? Soit alors on profite de cela, de ces constructions, pour faire disparaître les preuves. Ou alors, on décide de bâtir sur le sang, sur les squelettes, etc.»

L’ancien Premier ministre réclame une commission vérité et réconciliation : «Je vous le dis encore une fois, le sang des Gabonais a coulé. Et ce sang qui a coulé, il faut qu’une vérité soit connue. Qui a fait quoi ? Qui a donné l’ordre ? Qui a exécuté l’ordre ?»

Une vie chère mal comprise : «Je n’ai pas dit que les Gabonais vivent au-dessus de leurs moyens»

Interrogé sur sa célèbre déclaration concernant les Gabonais qui «vivraient au-dessus de leurs moyens», Bilie-By-Nze s’emploie à corriger ce qu’il considère comme une déformation de ses propos : «Je n’ai pas donné des faux chiffres, j’ai donné des chiffres conservés.» Il précise le contexte de cette déclaration, liée aux assises nationales sur la vie chère qu’il avait organisées comme Premier ministre.

«Lorsque j’ai conclu les assises, j’ai indiqué que la réalité de la Vie chère, elle est là. On va prendre des solutions pour essayer d’alléger la souffrance des Gabonais. Mais c’était aussi de mon devoir d’interpeller», explique-t-il, précisant avoir évoqué et interpellé sur des attitudes ou agissements problématiques : « Il y a aussi que par certains comportements, certaines de nos attitudes, nous tendons, nous, par certaines attitudes à vivre un peu au-dessus de nos moyens. Et j’ai pris un exemple, je dis, lorsqu’on gagne 300 000 francs CFA par mois et qu’on achète un smartphone qui coûte 1,5 millions, est-ce que cela est convenable ?J’ai interpellé».

Il affirme catégoriquement : «Les commentaires qui ont été faits par les journalistes, ce sont les commentaires qui ont dit ‘le Premier Ministre a dit que les Gabonais vivent au-dessus de leurs moyens’, je n’ai pas dit ça. Le texte existe, la vidéo existe

«1900 km de routes en 19 mois ? Ces kilomètres sont où ? » : «l’enfumage» infrastructurel selon Bilie-By-Nze

L’ancien Premier ministre ne mâche pas ses mots quand il s’agit d’évaluer les réalisations infrastructurelles revendiquées par le régime de transition. Il qualifie ces annonces de pure propagande, en s’attardant particulièrement sur les constructions routières : «Notre pays compte 1055 km de routes bitumées… depuis l’indépendance. Et on nous dit qu’en 19 mois, on aurait bitumé 1900 km de routes. Moi, je dis simplement, ces kilomètres de routes sont où ?» interroge-t-il avec ironie. Pour souligner l’absurdité de ces affirmations, il s’appuie sur certains faits : «ils sont allés lancer des travaux routiers dans le sud du Gabon… Pour 270 kilomètres de routes, la durée des travaux est de 72 mois… Comment a-t-on fait pour bitumer 1900 kilomètres de routes en 19 mois ? »

Concernant les projets immobiliers, il n’est pas moins sévère, dénonçant la collusion avec des intérêts étrangers : «Les immeubles qu’ils construisent avec ses amis libanais, c’est ça, bâtir le pays. Quand on prend ses amis libanais pour faire des immeubles personnels, ce n’est pas l’État qui les construit.» Bilie-By-Nze critique particulièrement le projet de cité administrative, y voyant une opération défavorable aux Gabonais : «En réalité, on va enlever les administrations de là où ils sont logés, c’est vrai, ce sont des locataires, mais ils sont locataires parfois chez les Gabonais pour aller être locataires chez les Libanais

Économie et emploi : « Il faut prendre un virage libéral »

Bilie-By-Nze critique la politique économique du CTRI, notamment les 400 taxis mis en place pour lutter contre le chômage : «Les 400 taxis, c’est bien. Mais est-ce qu’on envoie nos enfants à l’école pour qu’ils aillent trouver du travail dans les taxis ? Ça aide les Gabonais, j’en conviens. Mais ce n’est pas ça la solution au chômage. La solution, c’est diversifier l’économie

Il détaille sa vision économique : «Il faut prendre un virage libéral. Ça veut dire qu’il faut absolument que l’économie gabonaise produise à nouveau la richesse. Cette économie de rente que nous avons n’aide pas à créer de l’emploi.» Il défend également l’instauration de «minima sociaux pour tous ces jeunes qui sortent de nos écoles avec des formations, avec des diplômes, mais qui ont du mal à trouver un emploi

L’État de droit et la libération des prisonniers politiques

Le candidat s’engage fermement à rétablir l’état de droit et à libérer le lieutenant de la Garde républicaine Kelly Ondo ayant tenté un coup d’État et emprisonné sous Ali Bongo : «Moi, élu, non seulement Kelly Ondo sera libéré, mais encore une fois, ceux qui sont en prison injustement. Vous savez qu’il existe en droit des questions de révision de procès

Il critique l’incohérence du régime actuel sur cette question : «Pourquoi on a sorti de prison ceux qui ont détruit les biens publics, donc qui ont spolié les gabonais ? Pourquoi a-t-on sorti de prison ceux qui ont triché sur leur nationalité alors qu’ils ont violé la loi gabonaise ? Mais Kelly Ondo n’a plus rien à faire en prison

La Françafrique : « Je ne serai pas réticent à réviser les accords qui nous sont défavorables »

Interrogé sur la Françafrique, Bilie-By-Nze se positionne pour une révision des accords avec l’ancienne puissance coloniale : «Je ne serai pas, moi, réticent à réviser les accords qui nous sont défavorables. Il n’y a pas que les accords militaires, il y a les accords économiques, donc il faut tout réviser et les rééquilibrer

Il rappelle avoir déjà défendu cette position comme ministre : «Dans une interview avec France 24, je leur ai clairement dit que le Gabon se donne la liberté de choisir ses partenaires et que nous ne sommes pas mariés éternellement à un seul partenaire.»

Prêt à s’effacer pour battre Oligui : « Je ne suis pas candidat pour perdre»

Dans un moment rare en politique africaine, Bilie-By-Nze s’est dit prêt à retirer sa candidature au profit d’un autre opposant mieux placé : «Si demain, il y a un Gabonais qui est bien placé, avec qui nous portons les mêmes idées sur une plateforme commune, je n’ai aucun problème à me retirer et à soutenir ce Gabonais-là

Il assure que sa priorité est la défaite du système actuel : «Ce qui importe, c’est mettre un terme à ce système. Si demain, il y a un compatriote qui est bien placé, je me mettrai derrière lui pour le soutenir afin qu’il gagne

Face à un scénario post-électoral difficile, il affirme qu’il refuserait tant la prison que l’exil : «Le chemin de l’exil ? Je n’ai jamais vécu hors du Gabon et donc je me battrai dans mon pays. Voilà. La prison c’est fait pour les hommes. Si tu y es parce que tu défends des droits et que tu es un homme libre, on ne peut pas être en prison. Le corps peut être emprisonné, l’esprit n’est pas en prison

Un appel à l’espoir pour une « nouvelle espérance »

Bilie-By-Nze conclut par un appel passionné aux Gabonais : «Notre pays n’est pas condamné à la médiocrité. Notre pays n’est pas condamné à la désespérance. Notre pays mérite mieux que ce qu’il se fait aujourd’hui.» Il dénonce le climat de peur que ferait régner le régime actuel : «Aujourd’hui, on veut semer la peur. On veut dire aux Gabonais que tout est déjà joué, c’est déjà bouclé. Non, tout n’est pas déjà joué.»

Sa conclusion résume sa vision : «Il faut aller faire le bon choix, le choix de la rupture, le choix de la nouvelle espérance. C’est le choix que je porte. Pas moi, le choix que nous devons tous porter, parce que, hélas, la démocratie est en danger

À moins de deux mois de l’élection présidentielle, cet entretien révèle un Alain-Claude Bilie-By-Nze déterminé à convaincre les Gabonais qu’il incarne la véritable rupture, malgré son passé au sein du régime Bongo. Face au général Oligui Nguema qu’il accuse de perpétuer le système, l’ancien Premier ministre tente de se positionner comme le seul rempart démocratique crédible. Le 12 avril prochain, les urnes diront si les Gabonais sont prêts à tourner la page tant du régime Bongo que de la parenthèse militaire, pour embrasser ce que Bilie-By-Nze appelle une «nouvelle espérance».

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