(Nairobi) – La junte militaire du Burkina Faso a arrêté trois journalistes le 24 mars 2025 pour avoir couvert la répression gouvernementale contre les médias, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les autorités ont arrêté Guezouma Sanogo et Boukari Ouoba, respectivement président et vice-président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), et Luc Pagbelguem, journaliste à la chaîne de télévision privée BF1, dans la capitale, Ouagadougou. Le lieu actuel où se trouvent les trois hommes demeure inconnu, ce qui suscite des inquiétudes quant à de possibles cas de disparitions forcées.
« L’arrestation arbitraire et la disparition des trois journalistes montrent que la junte du Burkina Faso cherche désespérément à contrôler la vérité et à s’assurer que les autorités militaires puissent commettre des abus en toute impunité », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « La junte militaire devrait prendre des mesures immédiates pour localiser et libérer les trois journalistes. »
Depuis sa prise de pouvoir lors d’un coup d’État en 2022, la junte militaire du président Ibrahim Traoré a systématiquement réprimé les médias, l’opposition politique et la dissidence pacifique. Dans un contexte d’insurrection islamiste croissante, la junte militaire a eu recours à une loi d’urgence de grande ampleur pour faire taire la dissidence et enrôler illégalement dans l’armée des détracteurs, des journalistes, des activistes de la société civile et des magistrats.
Le 21 mars, l’AJB a tenu une conférence de presse pour dénoncer les restrictions à la liberté d’expression imposées par la junte militaire et demander aux autorités de libérer les journalistes arbitrairement détenus. Le 24 mars, des hommes en civil se présentant comme des policiers travaillant pour les services de renseignements burkinabè ont arrêté Guezouma Sanogo et Boukari Ouoba. Deux membres des services de renseignement ont arrêté Luc Pagbelguem pour avoir couvert la conférence de presse de l’AJB. Le lendemain, le ministre de l’Administration territoriale et la Mobilité a dissous l’AJB.
Les collègues de Guezouma Sanogo et de Boukari Ouoba ont déclaré que des avocats les avaient cherchés en vain dans plusieurs commissariats de police et gendarmeries de la capitale, et que les autorités n’avaient pas répondu officiellement à leurs demandes d’information. Le 25 mars, les services de renseignement ont emmené Guezouma Sanogo et Boukari Ouboa à leurs domiciles pour faciliter les recherches de la police, puis les ont de nouveau emmenés dans un lieu inconnu, selon leurs collègues.
La chaîne BF1 a déclaré que des agents du Conseil national de Sécurité avaient assuré « qu’ils [souhaitaient] seulement entendre notre confrère », mais on ignore toujours où se trouve Luc Pagbelguem. La chaîne s’est formellement excusée d’avoir diffusé la conférence de presse.
Dans un autre cas récent d’arrestation, le 18 mars, des hommes prétendant être des gendarmes ont arrêté le célèbre militant politique et journaliste Idrissa Barry à Ouagadougou. Le lieu où il se trouve reste également inconnu. Idrissa Barry est membre du groupe politique Servir et Non se Servir (SENS) qui, quatre jours avant son arrestation, a publié une déclaration dénonçant les « attaques meurtrières » menées par les forces gouvernementales et les milices alliées contre les civils autour de Solenzo, dans l’ouest du Burkina Faso, le 11 mars.
En juin 2024, des membres des forces de sécurité ont arrêté l’éminent journaliste Serge Oulon, directeur du journal d’investigation L’Événement, ainsi que les commentateurs de télévision Adama Bayala et Kalifara Séré. Les autorités ont nié leur détention jusqu’en octobre 2024, quand elles ont fini par reconnaître que les trois hommes avaient été enrôlés dans le service militaire. Le lieu où ils se trouvent reste également inconnu.
En avril 2024, le Conseil supérieur de la communication (CSC), qui supervise les médias du Burkina Faso, a suspendu la chaîne de télévision française TV5 Monde et plusieurs autres médias pendant deux semaines après qu’ils aient rendu compte d’un rapport de Human Rights Watch selon lequel l’armée avait commis des crimes contre l’humanité à l’encontre de civils dans la province du Yatenga. Le CSC a également bloqué le site web de Human Rights Watch dans le pays.
Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le Burkina Faso sous la menace d’emprisonnement, de torture, de disparition forcée et d’enrôlement forcé en raison de leur travail.
« J’ai quitté Ouagadougou et je n’ai pas l’intention d’y revenir », a déclaré un journaliste à Human Rights Watch après l’arrestation d’Idrissa Barry. « Les médias libres sont morts dans ce pays – tout ce qu’on entend, c’est la propagande du gouvernement. »
La dernière vague de répression à l’encontre des médias indépendants a coïncidé avec une escalade des combats dans tout le pays. Au cours des deux dernières semaines, le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, ou Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda, a attaqué des positions de l’armée dans plusieurs régions, tuant des soldats et des civils. Des sources locales ont rapporté que le 15 mars, des combattants du GSIM ont attaqué la base militaire de Séguénéga, dans le nord du pays, et ont tué sept civils ainsi qu’au moins quatre soldats qui se battaient aux côtés des milices locales. Human Rights Watch a vérifié une vidéo montrant des combattants du GSIM prenant d’assaut un complexe fortifié sur une colline au centre de Séguénéga.
« La descente inexorable du Burkina Faso dans la violence à grande échelle ne reçoit pas l’attention et la couverture médiatique qu’elle mérite au niveau national, parce que les médias indépendants ont été réduits au silence », a déclaré un journaliste burkinabè en exil. « Les récents événements, tels que l’attaque meurtrière contre des civils à Solenzo et ailleurs, ne sont jamais couverts par les médias pro-gouvernementaux ou le sont de manière biaisée. »
Le droit international relatif aux droits humains interdit les restrictions arbitraires aux droits à la liberté d’expression, y compris par la détention ou la disparition forcée de journalistes. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, à laquelle le Burkina Faso est un État partie, définit les disparitions forcées comme l’arrestation ou la détention d’une personne par des fonctionnaires de l’État ou leurs agents, suivie d’un refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler le sort réservé à la personne ou l’endroit où elle se trouve.
« Le besoin de médias indépendants au Burkina Faso n’a jamais été aussi important », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les autorités devraient changer de cap et mettre fin à leur répression brutale à l’encontre des journalistes, des dissidents et des opposants politiques ».
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