Burkina Faso, la junte militaire enlève des militant·es et des journalistes

Les disparitions forcées et les arrestations arbitraires par des civils armés liés aux services secrets ou aux forces armées de la junte militaire au Burkina Faso sont devenues des armes de répression courantes contre les opposant·es, les militant·es, les journalistes critiques et les dissident·es pacifiques. Les organisations internationales de défense des droits humains telles que Human Rights Watch, Survie, ATTAC et le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) l’ont souvent dénoncé ces dernières années.

Rappelons que le Burkina Faso, le « pays de l’homme intègre », nom par lequel le capitaine Thomas Sankara a baptisé son pays en 1983, connu à l’époque coloniale sous le nom d’Haute Volta, vit depuis plus de sept ans sous la menace du terrorisme djihadiste. En 2022, il y a eu un coup d’État, et un autre huit mois plus tard, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, qui gouverne aujourd’hui la junte militaire qui dirige le pays.

L’année dernière, il y a eu de nombreuses détentions illégales, sans mandat d’arrêt, que l’on peut qualifier de disparitions forcées ou d’enlèvements. Selon des sources de l’opposition, il est difficile d’en déterminer le nombre. Il peut s’agir de personnes peu connues, mais aussi de personnes connues de l’opposition et de militant·es des droits humains.

Par exemple, l’avocat Guy Hervé Kam, l’expert en sécurité Youn Safo, l’homme d’affaires Sansan Anselme Kambou, le secrétaire général du Collectif contre l’impunité Daouda Diallo, le lieutenant-colonel Evrard Somda, ex-capitaine de gendarmerie, Ablassé Ouedraogo, ex-ministre, et bien d’autres encore.

Le 18 juin, le journaliste Serge Oulon, rédacteur en chef d’un journal d’investigation, et Adama Bayala et Kalifara Séré, commentateurs de télévision, ont été arrêtés.

Parmi eux se trouve le militant anti-impérialiste et engagé Rasmané Zinaba, membre du collectif sankariste Le Balai Citoyen, un groupe qui a activement participé à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

Zinaba, âgé de trente-sept ans, a étudié la philosophie à l’université Joseph Ki-Zerbo de Zogona. Depuis l’obtention de son diplôme, il milite au sein du Balai Citoyen. À l’instar du capitaine Thomas Sankara, il a lutté contre l’impérialisme, pour la bonne gouvernance de son pays et contre les bases étrangères, notamment françaises, installées au Burkina, au Mali et au Niger.

Il a pris une part active à l’insurrection populaire de 2014, un mouvement qui, à son tour, a donné l’impulsion à certains des jeunes capitaines qui sont aujourd’hui au pouvoir. En 2011, Zinaba a participé au Forum social de Dakar, collaborant aux activités organisées par SURVIE, CADTM et ATTAC Afrique.

 Recrutement obligatoire illégal

En novembre 2023, Zinaba, ainsi qu’une dizaine d’autres jeunes militant·es, journalistes et membres de l’opposition, reçoit un appel téléphonique des forces de sécurité burkinabè l’informant qu’il a été recruté pour aller au front en application d’une loi d’exception.

Cependant, en décembre 2023, un juge a ordonné la suspension d’un certain nombre d’ordres de recrutement, dont le sien. Le tribunal a estimé que ces ordres de recrutement étaient illégaux, qu’ils violaient les droits à la liberté d’expression et de mouvement et qu’ils représentaient un risque pour l’intégrité physique.

Human Rights Watch déclare dans un rapport récent : « Si les gouvernements ont le pouvoir de recruter des membres de la population civile âgés de plus de 18 ans pour la défense nationale, le recrutement doit être autorisé et conforme à la législation nationale […]. L’utilisation du service militaire obligatoire à des fins politiques viole les normes internationales de protection des droits de l’homme ».

Toutefois, d’après l’enquête de HRW, l’intimidation a été efficace. Des militant·es des droits humains et des journalistes ont déclaré à l’organisation qu’ils évitaient de s’exprimer contre la junte militaire par crainte d’être recrutés. « Nous sommes paralysés par la peur. Le simple fait d’organiser une conférence de presse, l’un de nos droits fondamentaux, est un acte héroïque. » Un défenseur des droits humains basé au Sahel a déclaré : « Un journaliste a essayé de me piéger pour que je commente une récente attaque menée par des combattants islamistes présumés armés dans la ville d’Essakane. Exprimer votre opinion sur la situation sécuritaire du pays peut vous envoyer directement en première ligne, c’est la réalité ».

 L’histoire de l’arrestation du Rasmané Zinaba

Le 20 février 2024, des hommes armés en civil ont arrêté Rasmané Zinaba à son domicile dans la capitale, Ougadougou. « Au moins quatre hommes armés l’ont attaqué entre 6h15 et 6h30 à bord d’un véhicule civil », a déclaré un membre du Balai Citoyen à HRW. Le même jour, un groupe d’hommes se présentant comme des agents de sécurité du gouvernement a également arrêté son camarade Bassirou Badjo, du Balai Citoyen, au bureau du ministère des Affaires humanitaires à Ouagadougou.

Le Balai Citoyen a publiquement condamné les meurtres et a demandé la libération de Zinaba et de Badjo. Ses proches et ses compagnons ont signalé les faits à la police, qui n’a pas donné suite. Depuis lors, les autorités n’ont jamais fourni d’informations sur le lieu où se trouvaient les personnes disparues et sur leur sort.

 10 juin 2024. Première apparition publique du Rasmané Zinaba

Près de quatre mois après l’arrestation et l’envoi supposé au front, l’activiste apparaît à la télévision nationale dans l’émission Parole de Combattant. Le Rasmané Zinaba, en tenue militaire, casque, gilet pare-balles et kalachnikov à la main, déclare : « A tous ceux qui nous ont soutenus depuis le début, nous sommes sur un chemin, un chemin qui nous a permis de découvrir des réalités qui font aujourd’hui de nous de nouveaux citoyens, de nouveaux Burkinabè, des patriotes positivement remodelés parce que nous avons touché du doigt la réalité ». Et il a invité les Burkinabè à s’enrôler comme Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Et d’ajouter : « L’espoir est toujours permis et nous vaincrons avec les VDP et les Forces de sécurité (FDS). La patrie ou la mort, nous vaincrons ».

Première apparition publique en cinq mois de l’activiste arrêté, dans la vidéo de la télévision nationale, le 10 juin.

Vous pouvez voir l’intervention de la télévision. Pour l’instant, nous ne savons rien d’autre. Dans quelles conditions la vidéo a-t-elle été diffusée ? Pour ses compagnons, le plus important est de savoir qu’il est en vie. Se pourrait-il qu’il soit bientôt libéré ? Beaucoup de prisonniers ont été libérés après trois mois au front, mais pas tous.

La mobilisation continue. Leurs camarades ont lancé une pétition en ligne, qui a déjà été signée, par exemple, par ATTAC France, ATTAC Espagne et Mathilde Panot, membre de la France Insoumise en France.

 Le retour du Sankarisme ?

Le capitaine Thomas Sankara, le Che Guevara africain, est sans doute l’une des figures les plus importantes des luttes d’émancipation des pays africains dans les années 1970 et 1980. En raison de ses idées panafricanistes, anti-impérialistes et socialistes, son engagement politique et les raisons de sa lutte sont plus que jamais d’actualité dans de nombreux pays africains. En fait, de nombreux·ses militant·es, en particulier au Burkina Faso, sont des adeptes et des admirateur·ices avoué·es du président Tom Sankara, qui jouait de la guitare à la télévision nationale et se déplaçait dans une humble Renault 4L. De plus, comme il présidait un pays pauvre qui n’avait pas de budget pour les forces aériennes – c’est-à-dire qu’il n’avait pas d’avion – lorsqu’il devait se rendre à un sommet africain ou à un sommet des non-alignés, il disait qu’il ferait du « stop ».

A ce propos, il y a une bonne anecdote. Une fois, au retour d’un sommet, Kadhafi l’a pris dans son avion. Il est descendu à Tripoli et Sankara a continué jusqu’à Ouagadougou. A l’atterrissage, Sankara dit à l’équipage qu’il l’autorisera à rentrer en Libye, mais que l’avion restera au Burkina Faso parce que c’est un pays pauvre et qu’il a décidé de réquisitionner l’avion de Kadhafi, qui est plus riche. C’est ce qui s’est passé. Mais peu de temps après, Sankara est informé par ses collaborateurs que le pays ne dispose pas de personnel formé pour piloter l’avion, ni de mécaniciens pour l’entretenir et le réparer. Sankara dut se résigner à rendre l’avion à son ami, mais avant cela, il décréta un week-end portes ouvertes pour l’avion afin que le Burkinabé puisse le visiter de l’intérieur et jeter un coup d’œil sur les sièges.

Pendant les quatre années de la révolution Sankara (1983-1987), le pays a réalisé des progrès significatifs dans les domaines de l’éducation et de la culture, de l’émancipation des femmes, de l’agriculture, de l’environnement, des transports et des communications, de la santé publique et du coopérativisme. Le Burkina Faso, l’un des pays enclavés les plus pauvres du continent noir, s’est modernisé et démocratisé, et a été à l’avant-garde des pays récemment libérés du joug colonial qui les opprimait. Sous sa direction, il affronte les organisations internationales impérialistes telles que le FMI
FMI
Fonds monétaire international

Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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Le 15 octobre 1987, son ami militaire Blaise Compaoré mène un coup d’État au cours duquel il commandite l’assassinat de Sankara et plusieurs de ses collaborateurs. Le président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, surnommé « le vieux crocodile » par Tom Sankara, les services secrets français, la France et la Libye pourraient également avoir été impliqués dans ce complot. Charles Taylor et la CIA sont également impliqués.

Compaoré sera condamné par contumace en 2021 par la justice à la prison à vie, mais la Côte d’Ivoire le protège. Cependant, il sera très difficile de faire toute la lumière sur cette affaire et de prouver les connexions internationales du coup d’État, car les gouvernements prétendument impliqués refusent d’ouvrir les archives.

Malgré les vingt-sept années de règne de Blaise Compaoré, la mémoire de Sankara au Burkina Faso est toujours d’actualité. Outre les livres, les études biographiques et les analyses politiques, les réseaux panafricanistes et les musiciens ont joué un rôle important. En effet, lors des soulèvements d’octobre 2014, qui ont mis fin au régime corrompu et autoritaire de Compaoré, le nom de Thomas Sankara a de nouveau été revendiqué par les jeunes dans les rues de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Le Rasmané Zinaba a pris une part active à ce soulèvement, promu, entre autres mouvements, par le groupe dans lequel il était actif
Actif
Actifs

En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
, Le Balai Citoyen.

 Le Rasmané Zinaba et le Balai Citoyen

Le Balai Citoyen est l’un des mouvements d’opposition à Blaise Compaoré qui a conduit à son renversement et à la régénération du pays. C’est un groupe sankariste, basé sur les idéaux et l’arrivée du capitaine Thomas Sankara. Le nom signifie « l’ombre du citoyen », ce qui symbolise la volonté de nettoyer le pays de la corruption et, en même temps, est un hommage aux journées sankaristes de nettoyage populaire des rues et des quartiers. Le groupe a été fondé en 2013 par deux artistes et activistes, le musicien reggae et animateur radio Sams’K Le Jah et le rappeur et acteur Serge Bambara, Smockey. Le mouvement a organisé d’importantes réunions des groupes d’opposition et a attiré les foules dans les stades.

Sa révolte a été couronnée de succès. Blaise Compaoré fut contraint d’abandonner le pouvoir, protégé par les forces spéciales françaises. Il fuit le pays le 31 octobre 2014, après vingt-sept ans de pouvoir. Il se réfugie en Côte d’Ivoire, sous la protection de son ami intime et complice Fèlix Houphouiët-Boigny, « le vieux crocodile », avec lequel il semble avoir conçu le plan de renversement et d’assassinat du président Sankara. Le fait est que, pendant qu’il, le nom de Thomas Sankara était à nouveau présent dans les rues de la capitale.

Le sankarisme est une galaxie de groupes influents dans le domaine des idées, mais moins forts dans la politique pratique. En fait, les militaires se sont donnés beaucoup de mal pour s’approprier son nom de Thomas Sankara. Le Balai Citoyen est un mouvement de jeunesse qui ne veut pas devenir un parti politique. Ces dernières années, il a été la cible d’attaques de la part de partisans de l’ancien président.

Depuis cinq mois, Rasmané Zinaba et son camarade Bassirou Badjo, tous deux du Balai Citoyen, sont arrêtés, disparus et, vraisemblablement, envoyés de force sur la ligne de front contre les djihadistes. Ce sont de véritables hommes intègres, adeptes de Thomas Sankara. Voir, par exemple, le discours que le Rasmané Zinaba a prononcé en 2011 en hommage au président révolutionnaire.

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