La révolution démocratique et populaire d’août 83 est le produit de vives tensions qui ont secoué le CSP (Conseil de salut du peuple) – l’organe dirigeant du régime militaire instauré le 7 novembre 1982 par le médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo, régime dans lequel le capitaine Thomas Sankara occupait le fauteuil de la primature. Ces tensions se sont exacerbées le 17 mai 1983, conduisant par-ci par-là à des soulèvements populaires contre l’impérialisme dont on accuse l’aile droite du CSP, incarnée par le colonel Gabriel Yorian Somé d’en être le pion.
La Haute Volta vivait l’une des crises les plus graves de son histoire, qui allait porter -quelques mois après- les capitaines révolutionnaires au pouvoir. Notre chronique consacrée à cette date importante dans l’histoire du Burkina Faso a pour ambition d’effleurer le sens des évènements de cette période et les personnages principaux qui en ont été les instigateurs.
Les tensions virulentes qui ont caractérisé la journée du 17 mai 1983 trouvaient leur source déjà dès la prise du pouvoir par Jean Baptiste Ouédraogo par un coup d’État dont Thomas Sankara avait été l’acteur non moins important. Jean Baptiste Ouédraogo raconte en ces termes les divergences par rapport aux nominations et à la conduite des affaires de l’État après le coup d’État : « Immédiatement après ma nomination à la tête du Conseil de salut du peuple, le mouvement semblait avoir repris sa cohésion qui avait été ébranlée par le refus de Thomas d’assumer les responsabilités du pouvoir. Ce répit sera, malheureusement, de courte durée. En effet, dès mi-décembre 1982, Thomas nous proposera de faire nommer un Premier ministre afin, disait-il, d’épauler le président trop isolé, à son goût, au gouvernement. Cette proposition a été débattue par le noyau originel du mouvement aux alentours du 15 décembre 1982 dans le bureau du capitaine Jean Claude Kamboulé. Deux tendances se dégageaient : celle de Thomas qui soutenait sa proposition et celle que j’incarnais qui trouvait qu’une telle nomination risquait plutôt de nuire à l’harmonie et à la cohésion du mouvement. Mis en minorité par Sankara et Kamboulé, je me conformerai à la décision de la majorité. Les tractations aboutiront à la nomination de Sankara le 10 janvier 1983. Dès lors, surgiront les conflits de compétence, les divergences politiques et idéologiques, des querelles de personnes, des luttes de clans au sein de l’armée. »
Aussi, la date du 16 mai fut un élément déclencheur des oppositions farouches qui existaient au sein du CSP. En effet, à travers un meeting tenu ce jour à Bobo Dioulasso, le capitaine Thomas Sankara en véritable rhéteur s’est démarqué officiellement de son président à travers un discours de plus en plus critique qui a enthousiasmé la population. Après le discours de celui-ci, quand le président du CSP Jean Baptiste Ouédraogo prit la parole, c’était le vide autour de lui. Comment se fait-il que les populations qui bondaient le lieu du meeting se soient éclipsées en un clin d’œil à la prise de parole du président ?
En fait, ces populations étaient venues en masses non pas pour écouter le président du CSP qui, d’ailleurs était devenu de plus en plus impopulaire aux yeux des masses, mais pour encenser le capitaine rebelle qui s’était déjà illustré lors du conflit entre le Mali et la Haute-Volta en 1974 et qui, devenu Premier ministre, ne manquait plus l’occasion lors de ses discours de fustiger « ceux qui bâillonnement leurs peuples ». Tout compte fait, le président Jean Baptiste Ouédraogo ne pouvait digérer cette ascendance fulgurante de son Premier ministre.
L’humiliation était de trop, la fracture entre l’aile gauche et l’aile droite du régime a atteint son summum. Philippe Ouédraogo, ancien dirigeant de la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD) et du Parti africain de l’indépendance (PAI) assure qu’on lui a raconté cette tension d’orientation politique qui a opposé les deux tendances du régime.
Il était temps d’arrêter Thomas Sankara qui gagnait de plus en plus les cœurs des voltaïques au détriment du président du CSP. Le 16 mai aux environs de 4h, l’armée encercle le domicile du capitaine Sankara et le met aux arrêts. Le colonel Yorian Gabriel, alors chef d’état-major de l’armée et son neveu Jean Claude Kamboulé, commandant du groupement blindé, étaient les protagonistes de l’arrestation.
Cette arrestation qui a coïncidé avec la visite au Burkina Faso du puissant conseiller aux affaires africaines du président français François Mitterrand, monsieur Guy Penne, sonnait comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Sitôt après l’arrestation de Thomas Sankara, le PAI entre en action.
Il mobilise l’Association des scolaires de Ouagadougou (ASO) et une partie de l’Association des étudiants voltaïque de Ouagadougou (AEVO). Les responsables de ces deux structures ont été convoqués pour recevoir des instructions pour l’exécution des actions qu’ils devraient mener dans le but de la libération des détenus. Il y avait au devant des scolaires, Ousmane Touré et Jacques Gamené. Au niveau estudiantin, il y avait Pankolo Sougli et Saïdou Dabo.
Ils avaient aussi obtenu la complicité des responsables de la Maison des jeunes et de la culture de Ouagadougou (MJCO) et comme nom connu parmi ces jeunes de l’époque, l’arbitre international Yacouba Ouédraogo. Le 17 mai, la plupart des organisations syndicales, les étudiants, les populations sont descendus dans les rues pour exiger la libération de Thomas Sankara et fustiger l’impérialisme qui était, semble-t-il, en accointance avec l’aile droite du régime.
Le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV), bien qu’étant de gauche, se met à l’écart de la querelle entre Sankara et Yorian. Mais beaucoup de ses militants ont pris part aux manifestations aux côtés de ceux qui se sont engagés pour Thomas Sankara.
Des responsables du PAI, Adama Touré, Ibrahima Koné, Sambo Bâ, Emmanuel Dadjouari… ont été arrêtés et internés au régiment inter armes devenu aujourd’hui camp Sangoulé Lamizana. Cela a contribué davantage à exacerber la crise, mais ils seront libérés quelques jours après. Le 30 mai 1983, Thomas Sankara fut libéré après de longues manifestations que le régime en place avait du mal à maîtriser. La rébellion de Pô s’organisait de plus belle. Le 4 août 1983, Blaise Compaoré, à la tête d’un commando venu de Pô, rejoint Ouagadougou et sonne la fin du CSP : Thomas Sankara proclama la révolution à la télévision.
Réf : 17 Mai : Prémices de la Révolution d’août Faso.net. Publié le mardi 14 août 2012 à 00h38min
Wendkouni Bertrand Ouedraogo
Lefaso.net
Crédit photo : jeune Afrique.
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