Burkina/ Médias : « Nous ne pouvons pas faire la télé comme si nous étions dans un pays qui n’est pas en guerre », Pascal Kané, directeur de la RTB-télé
Rédacteur en chef adjoint en 2016, puis rédacteur en chef en 2022, Pascal Kané occupe depuis décembre 2022, le poste de directeur de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), version télé. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il explique le traitement des informations de la RTB-télé dans le contexte de crise sécuritaire. Sa passion pour le journalisme, ses débuts et les grands défis de la RTB dans ce contexte de crise sont, entre autres, les principaux points abordés dans cet entretien.
Lefaso.net : Faut-il dire télévision du Burkina ou la télévision nationale du Burkina ?
Pascal Kané : La télévision du Burkina est l’appellation officielle. Mais les gens connaissent plus télévision nationale du Burkina. Donc, journalistiquement, il n’y a pas de problème.
Comment êtes-vous arrivé dans le journalisme ?
Je suis arrivé de façon classique. J’ai aimé le journalisme très jeune. J’écoutais beaucoup radio Burkina, Africa n°1, Radio France internationale (RFI). Cela m’a beaucoup inspiré. Quand j’ai eu le baccalauréat série ‘’A’’, j’ai été orienté en droit. Alors que je me préparais pour commencer les cours en droit, j’ai vu une note qui annonçait un test de recrutement au département de communication et journalisme de l’université de Ouagadougou. C’était en 2003.
Comme j’aimais le journalisme, je me suis inscrit. C’était un gros risque parce que je venais du village. On avait calculé les frais de scolarité me donner et le reste pour mes fournitures. Pour le test, il fallait payer 15 000 francs CFA. Mais j’ai pris le risque de m’inscrire parce que quelque chose me disait au fond de moi-même que je peux réussir puisque j’aime bien le métier. Heureusement, j’ai pu faire partie des 25 candidats retenus.
C’était avec quelques camarades bien connus de la scène médiatique. Il s’agit de Aubin Guébré de BF1, Boureima Salouka de Fasocheck, Christelle Paré à la RTB. C’est ainsi que j’ai commencé en 2003 au département de communication et journalisme. Après, il y a eu un recrutement qui se faisait au Centre de formation professionnel de l’information (CFPI) actuel, l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC) qui avait besoin de dix journalistes. Je me suis inscrit et j’ai eu la chance d’être retenu. J’ai fait quatre ans dans le département, jusqu’à la maîtrise.
Racontez nous comment ont été vos premiers pas dans ce métier ?
J’ai fait mon premier stage à L’Observateur Paalga, c’était concluant. Je n’étais pas prédestiné pour faire la presse audiovisuelle parce j’avais quand-même un petit talent dans l’écriture. D’ailleurs, quand je suis arrivé à L’Observateur Paalga en 2005, une période qui a coïncidé avec la campagne présidentielle, j’ai été retenu pour couvrir cet évènement. A L’Observateur Paalga, j’ai trouvé que c’était le métier que je voulais faire au regard de la pratique que j’ai eue.
En fin de formation en 2006 au CFPI, j’ai été affecté à la télévision nationale comme reporter. J’avoue que mes premiers pas dans la presse audiovisuelle n’ont pas été faciles puisque je n’étais pas prédestiné à évoluer dans ce registre. J’avais un penchant pour la presse écrite. Mais avec un peu d’encadrement de certains aînés comme Évariste Kaboré qui était rédacteur en chef, j’ai pu m’intégrer. En 2011, j’ai dû repartir à l’école pour terminer mon cycle.
C’est ainsi que j’ai repris en 2014 comme reporter, avec un penchant pour les activités liées à l’environnement. Quand je suis arrivé en 2006, il y a avait l’émission ‘’Vision environnement’’ qui était abandonnée par les aînés. Nous avons dû reprendre cette émission en collaboration avec l’actuel ministre en charge de la communication, Jean Emmanuel Ouédraogo, qui en était le présentateur et je faisais les reportages. C’est ainsi que je me suis intéressé à ce domaine.
Comment ont été vos débuts à la télévision puisque vous aviez un penchant pour la presse écrite ?
La presse écrite est très différente de l’audiovisuel. Il fallait réadapter l’écriture journalistique et apprendre aussi les b.a-ba techniques de la télé, apprendre à monter, à faire le son et autres. Ce n’était pas facile surtout qu’il fallait avoir aussi une certaine diction, une prédisposition dans le langage oral. Il fallait beaucoup d’entraînements pour entrer dans le moule.
On peut bien écrire, mais pour dire, il faut beaucoup de travail. On peut écrire pendant longtemps sans passer la voix tout simplement parce que la voix ne rentre pas dans les codes du métier de l’audiovisuel. Cela a demandé un travail profond à notre niveau. Parce qu’en son temps à l’ISTIC, il n’y avait pas le studio qui existe aujourd’hui.
Avez-vous eu des modèles dans ce métier qui ont constitué une source d’inspiration pour vous ? Si oui, qui sont-ils ?
Yannick Laurent Bayala, Ousséni Ilboudo de L’Observateur Paalga, un monsieur auprès de qui tu ne repars pas comme tu es venu. Dans l’audiovisuel, il y a Évariste Kaboré, naturellement Yacouba Traoré, un de nos mentors, et beaucoup d’autres.
En tant que directeur de la RTB-télé, dites-nous comment se porte la télévision du Burkina dans le contexte actuel du pays ?
La RTB se porte comme tous les médias du pays. Quoiqu’on dise, la situation économique du pays impacte tout le monde. Quand ça ne va pas au niveau national, il est évident qu’il y aura des répercutions sur les entités. Mais je ne dis pas que c’est la catastrophe aussi. Nous allons comme les autres médias.
Depuis quelques mois, la RTB3->https://lefaso.net/spip.php?article126417] (dédiée aux langues nationales) a fait son apparition dans le paysage audiovisuel. Quels sont les objectifs et quel bilan faites-vous cinq mois après son lancement ?
La RTB3 est née de la volonté des autorités en charge de la communication de faire en sorte que tous les Burkinabè se sentent bien à la télévision publique. Vous le savez, jusque-là, la télévision est plus accessible à une catégorie de personne comprenant français. Alors que nous estimons que tous les Burkinabè doivent pouvoir accéder à l’information audiovisuelle. C’est une frange importante de la population qui était plus ou moins exclue de la télévision à cause de la langue. Nous avons estimé qu’il est bon que tous les Burkinabè puissent accéder à la chaîne publique.
En plus, il y a aussi les aspects valorisants. Nous sommes à une époque où nous nous sommes rendus compte qu’on s’est laissé trop aller, à tel point que nous courons le risque de perdre notre identité. Nous avons dit qu’il est bon qu’on valorise nos langues nationales. Il n’y a pas meilleure façon de valoriser nos langues nationales que de les parler, de les écouter à la télévision. Cela nous permettra non seulement de passer l’information au public mais d’éduquer également nos enfants et de faire en sorte que nos langues nationales ne disparaissent pas. C’est vraiment pour cela que nous avons lancé cette chaîne.
Dans ce contexte de crise sécuritaire et humanitaire, comment la RTB-télé s’organise pour remplir sa mission d’information de service public ?
La RTB s’adapte comme toutes les presses. Quoiqu’on dise, nous ne pouvons pas faire comme si nous étions dans un pays qui n’est pas en guerre. Donc, nous essayons autant que possible d’adapter nos programmes à la situation nationale. Nous ne pouvons pas continuer à faire la télé comme si de rien n’était. Nous devons faire en sorte que ceux qui regardent la télévision nationale sachent qu’il y a des choses qui sont faites et que, malgré tout, il y a de la vie au Burkina.
Il y a une certaine opinion qui pense que la RTB-télé est devenue est un outil de propagande. Comprenez-vous cette opinion ?
Je ne sais pas sur quelle base les gens font certaines déclarations. Mais il faut savoir que nous sommes avant tout une chaîne publique, nous ne pouvons pas exister en dehors du Burkina Faso. Nous sommes l’image, le son du Burkina Faso. C’est normal que nous reflétions ce qu’est le Burkina Faso. Nous essayons autant que possible d’apporter notre contribution à l’information au Burkina. Quel que soit ce qui sera fait, les gens auront des opinions. Et cela n’a pas commencé avec la crise sécuritaire. Il y a toujours cette opinon qui pense que nous sommes une caisse de resonnance du gouvernement.
C’est lié même à la nature du média. Un média public a toujours été vu ainsi. Je vous invite à regarder les autres chaînes nationales, vous verrez que nous faisons d’énormes efforts. Vous verrez même que nous sommes à mille années lumières en termes de contenu par rapport aux autres. Je ne pense pas que nous sommes une chaîne de propagande. Nous essayons autant que possible d’informer les Burkinabè sur ce qui se passe, de contribuer à la paix au Burkina Faso.
Comment appréciez-vous, globalement, la pratique journalistique dans cette période de crise sécuritaire ?
En réalité, la pratique journalistique n’a pas changé. Mais il faut plutôt s’adapter à la situation. Il n’a pas été dit de ne plus dire la vérité en période de crise, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de faire du journalisme dans un contexte difficile, un contexte de crise. Il n’y a pas ce métier qu’on peut exercer sans tenir compte de l’environnement. Il s’agit de faire du journalisme en tenant compte du contexte burkinabè.
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Selon le dernier rapport d’étude sur la liberté de la presse au Burkina, il y a un recul historique. Quelle est votre analyse par rapport à cette note ?
Cela même nous aurait étonné si nous avions la note que les autres nous attribuaient. Il n’y a pas ce pays qui peut être en crise sans un impact sur le domaine de la presse. Nous ne pouvons pas avoir la même note que nous avions avant. On peut se poser la question de savoir si nous avons des raisons qui justifient cette note d’aujourd’hui ?
C’est cela la grande question. Nous ne pouvons pas continuer à faire comme avant. Il est clair que le journalisme hors-sol n’existe pas. Le journalisme est toujours ancré dans son environnement. Je pense que les journalistes burkinabè n’ont pas changé fondamentalement de méthodes de travail mais il est clair qu’il est plus difficile de travailler qu’avant. Le journaliste reste le journaliste, même en temps de crise, il faut juste s’adapter à la situation de crise pour faire le journalisme mais pas faire autre chose que le journalisme.
« Les nouvelles du front », est l’un des programmes qui a apporté une grande visibilité à la la RTB-télé. Mais il y a des gens qui estiment que ce sont des jeux vidéos. Que dites-vous à ces personnes qui doutent de la crédibilité de ce programme ?
Dire que ce sont des jeux vidéos, c’est tout simplement de la mauvaise foi. Je ne sais pas comment on peut convaincre quelqu’un qui est de mauvaise foi. Je ne sais pas quel intérêt nous avons aujourd’hui à fabriquer des jeux vidéos pour informer le public. Je ne sais pas ce que que les gens veulent. Sur le théâtre des opérations, je vous rappelle que nous envoyons aussi des reporters qui nous ramènent des images. Nous essayons d’informer les Burkinabè avec toute l’honnêteté qu’on peut avoir. Maintenant, s’il se trouve des Burkinabè qui n’ont même pas pitié du Burkina pour parler de jeux vidéos, je crois qu’on n’y peut rien.
Vous êtes directeur de la télévision du Burkina depuis décembre 2022. Quels ont été vos chantiers ?
Nous avons reformé le programme comme je le disais. Quand vous êtes dans un pays en guerre comme le Burkina, il faudrait quand-même que la chaîne nationale puisse refléter cette situation. Nous ne pouvons pas continuer à jouer éternellement de la musique ou de faire comme si on était dans une situation normale. Nous avons adapté notre programme à la situation actuelle du Burkina, pour faire en sorte que le Burkinabè puisse savoir ce qui se passe sur le terrain.
Quelles perspectives ?
Toujours rester attaché à la situation pour ne pas se laisser dépasser par les évènements. Cette année, nous avons proposé une série de programmes liés à la cohésion sociale, au vivre-ensemble pour que toutes les communautés puissent se sentir à la télévision nationale. C’est vraiment le défi majeur, faire en sorte qu’une communauté ne soit pas mise à l’écart des antennes. C’est sur cela que nous travaillons aujourd’hui.
Un mot pour finir ?
Remercier Lefaso.net pour cette initiative de faire connaître le métier de journalisme. Peut-être que cette série de reportages va susciter des vocations. C’est ce que nous souhaitons. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]
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Interview réalisée par Serge Ika Ki
Lefaso.net
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