Burkina /MPSR2 : Quelle perception du regard des autres ?

Le Burkina Faso détient un triste record. Nous avons la médaille d’argent des pays victimes du terrorisme. Il n’y a que l’Afghanistan qui est devant nous, selon l’Indice mondial du terrorisme (GTI) 2023, un rapport publié par l’Institut pour l’économie et la paix (IEP). Si le terrorisme fait des victimes, les populations civiles paient un lourd tribut. Des femmes et des enfants, les couches les plus fragiles sont parmi ces victimes innocentes. Notre guerre ainsi que toutes celles qui se déroulent sur notre continent sont des conflits qui n’intéressent pas les autres. Le monde a d’autres soucis que les nôtres.

En ce moment, le conflit qui mobilise, qui intéresse de l’Amérique à l’Europe en passant par les pays arabes, c’est le conflit en Palestine. Les caméras regardent les enfants et petits-enfants des survivants de la Shoah en train de faire un génocide à leur tour contre le peuple palestinien. Mais voilà que fin avril, l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) braque ses projecteurs sur notre pays et revient sur des massacres qui ont eu lieu en février 2024 dans la région du Nord du pays, à Nodin et Soro.

C’est un rapport qui n’a laissé personne indifférente. Des journaux en ont parlé et les États-unis et l’Angleterre ont fait un communiqué conjoint sur la situation le 29 avril 2024. Nos autorités et certains partisans du pouvoir n’ont pas aimé du tout que les médias étrangers et ces deux pays opinent sur la situation des droits de l’homme dans notre pays.

Le Burkina Faso a réagi avec des suspensions de médias par le Conseil supérieur de la communication (CSC) le 27 avril 2024, un communiqué du porte-parole du gouvernement le même jour, une remise de note verbale au chargé d’affaires américain de l’ambassade des États unis dans notre pays le 02 mai 2024. Il y a eu enfin une manifestation des partisans du pouvoir devant l’ambassade américaine à Ouagadougou le 03 mai 2024. Comment analyser toutes ces réactions si différentes et que disent-elles de notre acceptation du regard des autres ? Mais quel est l’objet de ce conflit ? Quels sont les faits avérés à sa base et quelles sont les solutions que le pays y a apporté ?

Ce que l’on peut noter, c’est que le rapport de Human Rights Watch ne semble pas avoir laissé les autorités de notre pays suffisamment zen pour parler d’une seule et même voix. Même s’il n’y a pas de cacophonie, le nombre de réactions montre soit la surprise, soit le choc émotionnel produit par ce rapport et le communiqué conjoint des États unis et de l’Angleterre. En fait, c’est un communiqué conjoint des États unis et du Royaume uni qui comprend l’Écosse, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Angleterre.

On est surpris que le pays ne se soit pas tenu à une seule réaction : celle du Conseil supérieur de la communication avec son bâton de suspension de médias concernant le rapport de HRW. Le porte-parole du gouvernement aurait pu économiser sa prise de parole pour plus d’effet ultérieur. Avec le communiqué conjoint États-Unis-Royaume uni venu plus tard, la remise de la note verbale étant une méthode professionnelle de communication et de gestion des conflits entre diplomates des États aurait pu suffire aussi.

L’image que le Burkina Faso envoie au monde

Mais en laissant ses partisans manifester devant l’ambassade des États unis alors que le bourgmestre de Ouagadougou a interdit la manifestation du 1er mai des travailleurs, liberté reconnue aux travailleurs de la plupart des pays du monde, le Burkina restait dans la conflictualité et son exacerbation et affichait un profil peu flatteur sur le traitement égalitaire de ses citoyens.

L’ensemble de cette communication donne l’impression d’un dépit face aux États unis dont la réaction de condamnation des massacres de 223 civils ne semblait pas attendue. Pourtant le Burkina Faso ne devrait pas être surpris de cette réaction puisqu’en novembre 2023, les États unis et l’Union européenne avaient déjà réagi séparément au massacre de Zaongo, dans la région du Centre-nord de notre pays.

Cette sur-réaction face à ce que les autres disent de nous, n’est-elle pas une projection de nos insécurités sur eux ? Ceux qui manifestent, espèrent-ils changer l’opinion des deux États sur ce qui se passe dans notre pays ? Ont-ils compris que ce qu’ils demandent à notre gouvernement, c’est la justice pour des Burkinabè ? Ils devraient plutôt accepter cela comme une information sur l’image que notre pays renvoie au monde. Il n’y a pas un miroir déformant sur les faits qui se sont passés, notamment les massacres, le communiqué du gouvernement le reconnaît.

C’est le responsable des massacres qui fait l’objet du différend. Notre pays a ouvert une enquête pour rechercher ceux qui ont commis les massacres. Le problème du Burkina Faso, est que depuis les premiers massacres contre les communautés peuhles le 1er janvier 2019 à Yirgou par des Koglwéogo, il y a eu Arbinda le 31 mars et 2 avril, puis Solé, Nouna, Karma… La communauté peuhle n’étant plus la seule visée désormais. Même s’il y a eu des arrestations de personnes suspectes pour Yirgou, l’affaire est impunie.

L’Afrique du Sud défend les droits de l’homme

On constate que tous les régimes, qu’ils soient civils ou militaires, n’ont pas fait avancer la cause de la justice concernant les massacres de civils. Ce que les parents des victimes veulent, c’est la justice. Que ce soient des terroristes qui, par perfidie portent l’uniforme de l’armée burkinabè ou d’autres personnes qui ont tué, il est demandé à l’État burkinabè d’arrêter les coupables et de les juger. Et c’est ce qui n’a pas encore été fait. Pouvons-nous reconnaître ce fait et accepter nos carences et nos imperfections dans la lutte contre le terrorisme ? Les droits de l’homme ne servent pas les intérêts d’un État quelconque, c’est un droit de tout être humain.

C’est pourquoi, on éprouve de la fierté pour l’Afrique du Sud qui a porté plainte à la Cour pénale internationale contre Israël pour tentative de génocide contre le peuple palestinien. Voici un pays africain qui défend les droits des Palestiniens à la vie face à la guerre d’Israël contre les populations civiles qui subissent les bombardements, les attaques d’hôpitaux etc. Les conditions de vie -sans eau, sans nourriture, sans médicaments et électricité- tuent autant que les bombes.

Si le gouvernement sud-africain défend les droits de l’homme en Palestine, peut-il les refuser à son propre peuple ces droits parce qu’il est africain ? N’abandonnons pas nos valeurs au profit de celles des terroristes, sinon ils auront déjà gagné. Le Burkina a mal à sa justice pour l’impunité des massacres, et au manque d’égalité des Burkinabè face à l’autorité pour le droit de manifester et d’opiner. Les ignorer, c’est refuser de voir le fléau qui nous menace en plus du terrorisme.

Sana Guy

Lefaso.net

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