Burkina/ Président de la transition à président du Faso : « Cette nouvelle attribution n’a aucune implication juridique identifiable », selon le Pr Relwendé Louis Martial Zongo, constitutionnaliste
La charte révisée de la transition adoptée le 25 mai 2024 lors des assises nationales est entrée en vigueur le 2 juillet 2024. L’article 4 de cette charte confère le statut du président du Faso au chef de l’État, le capitaine Ibrahim Traoré en lieu et place du président de la transition. À ce propos, le 7 juin 2024, une circulaire du Premier ministre invitait les ministres et les chefs d’institution à tenir compte désormais de ce statut accordé au chef de l’État. Quels sont les changements, en termes de prérogatives par exemple, que cela induit ? Pour le Pr Relwendé Louis Martial Zongo, Maître de conférences, agrégé de droit public à l’université Thomas Sankara, rien ne change véritablement dans ce changement de statut. La seule explication plausible réside dans le besoin et la volonté de donner une certaine légitimité démocratique, a-t-il soutenu.
Lefaso.net : La Charte modifiée de la transition adoptée le 25 mai dernier lors des assises nationales consacre désormais le statut du président du Faso pour le chef de l’État à la place du président de la transition. Qu’est ce qui change véritablement dans cette modification prévue par l’article 4 de la charte ?
Pr Relwendé Louis Martial Zongo : Rien ne change véritablement. En fait, c’est à l’article 4 qu’intervient cette modification. Il faut rappeler que dans la version antérieure de la Charte, cette disposition prévoyait que : « le Président de la transition exerce les fonctions de Président du Faso, chef de l’Etat » et que « ses pouvoirs et ses prérogatives sont ceux définis dans la présente Charte et au Titre III de la Constitution (…) ». Pourtant, la modification introduite en mai dernier n’a pas eu d’incidence sur l’étendue des pouvoirs du chef de l’État, qui demeurent ceux définis par la Charte et le titre III de la Constitution (ce qui est d’ailleurs restrictif dans la mesure où il y a bien d’autres prérogatives du chef de l’État qui ne sont pas définis au Titre III).
La question qu’on se pose alors naturellement est de savoir à quoi cela sert-il de donner le titre de Président du Faso si, en tant que chef de l’État, l’on exerce déjà la substance des pouvoirs du président du Faso ? La seule réponse plausible réside dans le besoin d’une légitimité démocratique qui n’existe pas, étant donné que l’art. 37 de la Constitution est claire sur la voie pour y accéder : celle des urnes (je rappelle que la Constitution n’a pas été abrogée). C’est pourquoi, tout cela crée le sentiment d’une usurpation de titre qui dessert son bénéficiaire.
LIRE AUSSI : Burkina : Il faut désormais dire « Président du Faso, chef de l’État, Président du conseil des ministres » dans les documents officiels
Quelles sont les implications juridiques de cette nouvelle attribution ?
Au regard de ce que je viens de développer, il est clair que cette nouvelle attribution n’a aucune implication juridique identifiable. Comme je l’ai dit, la seule explication plausible réside dans le besoin et la volonté d’octroyer une certaine légitimité démocratique qui est paradoxalement rejetée à travers le refus d’un retour à l’ordre constitutionnel normal. La légitimité d’assises nationales, aussi inclusives soient-elles (quoique cela ne fût pas le cas), ne peut valablement remplacer et équivaloir à la légitimité des urnes.
Peut-être que les participants aux assises ont validé cette modification en se fondant sur le nouveau bail de cinq ans reconnus au chef de l’État et en faisant l’analogie avec la durée du mandat reconnu au président du Faso par la constitution. Mais ce n’est pas la durée du règne qui confère le titre de président du Faso, c’est la voie par laquelle on y accède. Le coup d’État, qu’on le veuille ou non, demeure, dans l’ordre constitutionnel défini au Burkina Faso, un mode anormal d’accession au pouvoir, un accident et une « exception constitutionnelle » qui doit demeurer comme telle.
Il a été décidé aussi que le président ne prêtera pas serment. Comment appréciez-vous cela ?
Je pense que cela rend énormément service au Conseil constitutionnel. La prestation de serment est un acte de légitimité constitutionnelle lui-même lié à la légitimité démocratique. L’on se rappelle encore de toutes les acrobaties juridiques auxquelles avait dû se livrer le Conseil constitutionnel pour autoriser la prestation de serment des chefs du MPSR1 et du MPSR2 ainsi que de toutes les critiques que cela avait entraînées. Pour moi, c’est donc mieux ainsi pour éviter d’embarrasser à nouveau les « sages » du Conseil constitutionnel.
Cela dit, j’aimerais tout de même préciser que l’explication donnée par le ministre Bayala au journal de 20h n’est pas du tout convaincante.
D’abord, j’espère que le gouvernement a au moins pris le soin de demander l’avis du Conseil constitutionnel sur la question. Ensuite, si j’ai bien compris l’explication de M. Bayala, la non prestation de serment du chef de l’État serait due au fait que l’article 6 de la Charte qui la prévoit n’avait pas fait l’objet de modification. Le président de transition ayant déjà prêté serment une première fois, il n’existe donc aucune obligation juridique de répéter l’acte devant le Conseil constitutionnel.
Le raisonnement peut être inversé pour être plus crédible. L’on peut considérer en effet que l’obligation demeure justement parce que la modification l’a laissée intacte à l’article 6. Qui plus est, l’on peut soutenir, en prenant au mot les rédacteurs de la charte modifiée, que le chef de l’État ayant précédemment prêté serment en tant que « Président de la transition », cette première prestation de serment n’aurait rien à voir avec une seconde prestation en tant que nouveau « Président du Faso ». En tout état de cause, le raisonnement du Garde des sceaux porte à croire qu’en cas de réélection du président du Faso, le droit constitutionnel burkinabè le dispenserait d’une nouvelle prestation de serment, ce qui n’est pas étayé par la pratique constitutionnelle au Burkina Faso.
En tant que président de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC), est ce que vous êtes souvent consultés par les autorités de la transition par rapport à certaines décisions ?
La SBDC n’a jamais été consultée ni par le MPSR 1 ni par le MPSR 2.
Interview réalisée en ligne par Serge Ika Ki
Lefaso.net
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.