Ce fut historique : pour la première fois mercredi soir, un musicien originaire du continent africain affichait complet dans la plus grande salle intérieure à Montréal, le Centre Bell. En ajoutant le concert de jeudi soir, le Nigérian Burna Boy aura chanté devant au moins 25 000 spectateurs, confirmant ainsi son propre succès ainsi que celui de ses collègues de la scène afrobeat, désormais phénomène mondial au même titre que la pop de Taylor Swift, le R&B de Beyoncé et le reggaeton de Bad Bunny. Et, en prime, quelle performance il a offerte, Burna Boy !
Assez pour lui pardonner la demi-heure qu’il a mis avant de monter sur scène. Deux ans après avoir volé la vedette à Future, tête d’affiche de la journée inaugurale de cette édition d’Osheaga, Burna Boy a à nouveau mis la foule dans sa poche en enfilant, avec le bagout qu’on lui connaît maintenant, une trentaine de chansons pendant un peu moins de deux heures.
Le public semblait toutes les connaître, mot à mot, par coeur. C’est un des trucs qu’aime l’artiste sur scène : d’un geste de la main, commander à son orchestre de baisser le ton, voire de stopper net la chanson, pour s’élancer a cappella, avec l’assurance que les fans l’accompagneront. La chanson pop à sa plus simple expression, un bon refrain que Burna Boy amène de sa voix douce et ambrée, contenue, à peine éraillée, pourvue d’un vibrato délicat.
Un détail, certes, mais qui en dit beaucoup du type de performance à laquelle nous avons eu droit mercredi soir. Dans un monde dominé par les artistes du rap et de la pop s’accompagnant de bandes préenregistrées — un reproche que certains ont d’ailleurs adressé à la performance de Madonna, dans ce même Centre Bell, le mois dernier —, il y avait quelque chose de rafraîchissant à voir un chanteur se produire sans ces béquilles technologiques, et avec un orchestre irréprochable dans son exécution.
Un orchestre ? Une fanfare, pourrions-nous dire : ils étaient au minimum 13 sur scène, dont une section de cuivres de quatre musiciens, trois choristes, un batteur et un percussionniste. Lors d’une ballade au coeur de la soirée, un quatuor à cordes s’est amené sur scène ; cinq percussionnistes ont plus tard rejoint Burna Boy pour un moment « acoustique » durant lequel la pop africaine rayonnait grâce au son des tambours et aux voix, du Boy et de ses choristes.
Il faisait ainsi le pont entre la richissime tradition rythmique de son coin de pays et la pop moderne qui l’inspire — en premier lieu le dancehall jamaïcain, puis le funk (influence majeure sur l’afrobeat original du légendaire Femi Kuti), le R&B et, sur son plus récent album, I Told Them…, paru l’été dernier, du hip-hop et du funk américain. Le thème de l’album a inspiré la scénographie : hormis les effets pyrotechniques, la performance fuyait le tape-à-l’oeil technologique, mais le décor, lui, en imposait en reproduisant un coin de rue de Queens ou de Brooklyn, avec son bodéga et sa vieille cabine téléphonique côté jardin et son barbershop côté cour — un salon fonctionnel, avec son coiffeur et un client, assis là presque toute la soirée !
Burna Boy, qui compte sept albums en une décennie de carrière, avait amplement de bon matériel pour faire danser la foule toute la soirée. Il a ouvert le concert avec la chanson-titre de son dernier album, pour enchaîner avec Gbona, tirée de son classique Africain Giant (2019), le disque qui l’a révélé hors du continent africain et de sa diaspora, et qui lui a valu une nomination pour un prix Grammy — une distinction qu’il remporta plutôt en 2021 pour l’album Twice as Tall.
Alors que l’afrobeat nigérian original des années 1960 et 1970 mettait l’accent sur la dynamique entre les cuivres et les percussions, sur des chansons s’étirant souvent au-delà des 10 ou 15 minutes, l’afrobeat moderne est plus concis, s’articulant autour de refrains pop avec, dans le cas de Burna Boy, des couplets « rappés » à la manière des deejays jamaïcains.
Le musicien attaque sa performance avec un flegme magnétique, bougeant en harmonie avec ses six danseuses, alternant entre les grooves dancehall-pop et les chansons romantiques tel un crooner nouveau genre — durant le premier quart de la soirée, il passe d’un rythme légèrement rappé (Location, collaboration avec Dave) à une ballade aérienne (Pull up), et alternera ainsi sur ces deux tableaux jusqu’à la dernière portion du concert, tout aussi dansante, mais plus rythmée et énergique, une séquence amorcée avec la bombe quasi house On Form, tirée de son plus récent album.
Avant lui, Bob Marley (pas d’origine africaine, sinon spirituellement) avait fait salle comble au Forum de Montréal, en novembre 1979. Le Sud-Africain Johnny Clegg et son orchestre Savuka s’étaient aussi déjà produits au Stade olympique en 1988, mais en première partie de George Michael. Le talentueux Burna Boy a écrit une page d’histoire cette semaine, et suivront dans son sillon d’autres talents d’Afrique — le confrère nigérian Davido sera à la Place Bell le 19 avril, la jeune chanteuse sud-africaine Tyla (première lauréate du Grammy de la meilleure performance de musique africaine) sera à découvrir lors de la prochaine édition d’Osheaga.
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