À trois jours du match de football entre le Cameroun et le Cap-Vert (ce 8 juin), qui va compter pour la qualification à la prochaine Coupe du monde, la tension ne baisse pas entre le ministre camerounais des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, et le président de la Fédération camerounaise de football, Samuel Eto’o. Si le match a bien lieu samedi à Yaoundé, comment vont jouer les Lions indomptables ? C’est la question que se posent beaucoup de Camerounais, pour qui le président Paul Biya est le seul homme qui peut dénouer cette crise. Le professeur camerounais Thomas Atenga enseigne la communication à l’université de Douala. Il livre son analyse à Christophe Boisbouvier.
RFI : Ce qui frappe dans ce conflit, c’est que chacun se réclame du président Paul Biya. Il semble qu’après la contre-performance des Lions indomptables à la CAN en Côte d’Ivoire en janvier dernier, le président Paul Biya ait quand même donné son feu vert à son ministre des Sports, pour imposer un nouveau sélectionneur à Samuel Eto’o ?
Thomas Atenga : Imposer un sélectionneur, ce n’est pas ce que nous avons compris puisque nous avons quand même suivi et lu son discours du 10 février. Il a affirmé avoir donné des instructions au ministre pour regarder de plus près comment la fédération est gérée et encadrée, mais de ce que nous avons entendu le 10 février, il n’était pas question, me semble-t-il, d’une ingérence qui fragilise le président de la Fécafoot.
Voulez-vous dire que, dans son discours du 10 février, Paul Biya ne voulait pas aller jusqu’à humilier Samuel Eto’o, mais que le ministre des Sports en a peut-être profité ?
Absolument. Je pense que l’occasion lui est offerte en ce moment, à la fois de régler des vieux comptes personnels, de régler probablement des vieux comptes politiques aussi, et puis de tenter de restreindre, on va dire, les pouvoirs du président de la Fédération. Donc, c’est vraiment une bataille entre deux hommes qui ne se pardonnent rien.
Au Cameroun, beaucoup se disent que ce conflit ne pourrait pas perdurer depuis plus de deux mois maintenant, si chacun des deux adversaires n’avait pas un ou plusieurs soutiens au sommet de l’État. Quels sont les soutiens de l’un et de l’autre ?
Alors, le pouvoir camerounais est très compartimenté, de ce qui se dit, de ce que la rue perçoit. Monsieur Eto’o aurait le soutien, dit-on, du cabinet civil, de son adjoint et certainement la Première dame, dit-on. Tandis que le ministre aurait le soutien du secrétaire général et du Secrétariat général. En tout cas, c’est la perception que le public en a.
Est-on en train d’assister indirectement à un nouvel épisode du bras de fer entre le Secrétariat général de la présidence et le cabinet civil de la présidence ?
Évidemment, pour beaucoup de Camerounais, c’est une énième manifestation de ce qu’on a qualifié ici de lutte de clans dans ce contexte de fin de règne, parce qu’en 2025 s’annoncent les élections.
Est-ce qu’il y a dans le premier cercle, autour de Paul Biya, des gens qui ont peur de la popularité de Samuel Eto’o et de son éventuelle candidature à une présidentielle à venir ?
Monsieur Eto’o l’a dit dans son interview chez votre confrère France 24 : à savoir que beaucoup de problèmes qu’il rencontre dans sa gestion de la Fédération, c’est parce qu’on lui prête, n’est-ce pas, des intentions politiques. Donc, s’il le dit, c’est qu’il a certainement des renseignements, c’est quelqu’un de très adulé, qui sait aussi comment s’informer, souvent au cœur de ce qui se passe dans le système.
Voulez-vous dire que certains voient en lui un futur George Weah ?
Dans les rues camerounaises, je pense que beaucoup le perçoivent ainsi. Et se disent que, s’il venait à sauter le pas, beaucoup le suivraient, y compris même dans les milieux universitaires comme celui que je connais un peu : il y a des gens qui sont prêts à le suivre, partant du principe qu’il a tout pour être un bon président. Avec son dynamisme, son caractère un peu vibrionnant, et que le pays mérite d’être secoué après les 4 décennies qu’on vient de passer.
Depuis le violent accrochage verbal du 28 mai entre Samuel Eto’o d’un côté, le sélectionneur belge, Marc Brys, et le conseiller du ministre des Sports de l’autre côté, la vidéo de ce clash fait le tour du monde. Est-ce que l’image de Samuel Eto’o n’en a pas été ternie ?
Certainement. C’est une star planétaire, c’est un sportif de haut niveau qui normalement connaît le fair-play, la retenue. Il est ambassadeur UEFA et FIFA du fair-play et la lutte contre le racisme… Je pense qu’il en a pris conscience et c’est pour ça que le lendemain, il a fait amende honorable. Mais quand on regarde les agissements depuis cette séquence, on n’a pas l’impression que le pouvoir soit prêt à reculer ou à être un peu plus accommodant avec la Fédération.
Voulez-vous dire que le pouvoir penche nettement maintenant du côté du ministre des Sports contre Samuel Eto’o ?
Jusqu’à ce que la FIFA intervienne peut-être. On va dire que ce moment, avantage au ministre, il a les moyens de l’État, il a ensuite les finances dans un contexte où la Fédération camerounaise du football tire un peu le diable par la queue. Mais je voudrais surtout dire qu’au-delà du football, c’est l’ensemble du mouvement sportif camerounais qui est dans un état de délabrement, né du fait qu’il y a une rupture de confiance entre les acteurs du sport camerounais et le ministre de tutelle, et qu’il y a peut-être lieu d’organiser -je ne sais pas comment on va baptiser ça- peut-être un symposium pour le sport camerounais ou alors des États généraux du sport camerounais. Je pense qu’il faut aller vers quelque chose comme ça qui permet de ressouder un peu le lien du mouvement sportif camerounais avec l’État représenté par le ministère.
Parce que la Fécafoot n’est pas la seule fédération en crise ?
Ce n’est pas la seule fédération en crise. Le volleyball, le handball, pratiquement toutes les fédérations sont sous tension au niveau relationnel avec le ministère, ce qui est quand même signifiant de quelque chose qui ne va pas.
Journal des sports AfriqueFootball: énième épisode dans le bras de fer autour de la sélection camerounaise
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