- Author, Jean Charles Biyo’o Ella
- Role, BBC Afrique
En cette matinée du 23 aout 2022, Philomène vient pour la première fois assister à l’audience au palais de Justice de Batouri à 400 km de Yaoundé. L’affaire enrôlée oppose plusieurs familles d’enfants décédés dans une mine orpheline, appartenant à une entreprise chinoise. Autour de leur avocat Maître Dieudonné Tedjissi pour une dernière concertation, le collectif des victimes affine sa stratégie. Mais ce jour-là, l’audience sera expéditive. Juste quelques minutes et l’affaire est renvoyée.
Selon l’avocat, » l’entreprise Mencheng Mining et Madame Madame Wazu ping sont poursuivies pour activité dangereuse, violation des clauses du cahier de charge. Pourquoi violation du cahier de charge, c’est parceque l’entreprise n’a pas refermé les sites après exploitation comme le dit le cahier de charge. Au contraire elle a laissé les sites ouverts, ce qui a attiré les artisans ».
En effet, en mai 2021, dans un trou minier exploité et abandonné, des orpailleurs avaient trouvé la mort par éboulement.
Contacté par BBC Afrique, l’avocat de l’entreprise chinoise l’avocat de l’entreprise Menchen dit « ne rien à faire avec la presse dans des procédures judiciaires. Ce que nous pensons, c’est qu’une procédure est déjà pendante devant les juridictions. C’est le tribunal qui va trancher. Et à propos des allégations, c’est devant le tribunal que ça va se savoir.. C’est au tribunal de se prononcer dessus. pour le reste, je n’ai rien à dire ».
Trois ans après, le volet judiciaire n’a pas beaucoup évolué, du moins dans le sens souhaité par la partie plaignante. Après un délibéré en mars dernier qui n’a pas satisfait le collectif des familles qui ont perdu leurs enfants dans des sites miniers, elles ont sollicité un rabat. La prochaine audience est fixée au 23 juillet.
Tragédies humaines
« J’ai perdu mon fils unique Rodrigue. Il avait 24 ans. J’étais à la maison dans la nuit, on est venu m’appeler me disant que la terre s’est refermée sur mon fils. Je suis arrivé sur les lieux et j’ai trouvé qu’il était déjà mort », raconte Philomène. Une déchirure pour la sexagénaire. « Mon fils était tout pour moi. C’est lui qui m’aidait à faire des petits travaux. Aujourd’hui, j’ai à ma charge deux orphelins, ses deux enfants. Je pleure chaque soir en voyant les enfants de son âge. Je n’arrive pas à supporter ce choc », soupire-t-elle toute larmoyante.
Cette nuit-là, parmi les corps retirés dans l’amas de terre, se trouvait celui du neuve d’Amadaou. Le commerçant de nationalité centrafricaine s’est installé dans la ville de Batouri à l’Est du Cameroun depuis une dizaine d’années. Il raconte pourtant avoir passé la journée au marché avec son fils. C’était leurs derniers moments d’échanges. « J’avais interdit à mes enfants de ne jamais se rendre dans ce chantier minier. Tellement la zone est accidentée. Malheureusement, vers minuit, il a été embarqué par ses amis parce que les chinois dit-on, avaient permis aux riverains ce soir-là, de descendre la mine pour creuser manuellement, dans l’espoir de trouver des pépites d’or. C’est ce qu’ils appellent dans ce chantier le ‘‘sassaillé’’. Sauf que le trou dans lequel ils sont descendus n’était pas le bon. La terre était extrêmement mouillée, le sol fragile. En creusant sur les bords, la terre s’est affaissée sur eux. Nous avons retiré le corps, et il a été inhumé le lendemain». Amadou se dit très affecté depuis la disparition de ce neveu qu’il considérait au même titre que son fils biologique. « Sa mort me touche énormément. C’était l’enfant que mon frère ainé m’avait confié en 2013 pendant la guerre en RCA. Nous avons fui pour nous réfugier de l’autre côté de la frontière ici au Cameroun. Mais derrière nous, son père resté au pays a trouvé la mort. Je peux dire qu’il a déjà rejoint son père » lance-t-il tout abasourdi.
Selon enquête menée par l’ong camerounaise Forêt et développement rural, en l’espace de dix mois en 2017, pas moins de dix personnes ont trouvé la mort soit par éboulement de terre, soit par noyade dans ces sites ouverts, devenus des lacs artificiels.
Kambele, le village aurifère éventré
Kambele est un village aurifère, l’un des plus riches de l’Est du Cameroun. Sur l’un des sites exploités, l’on peut apercevoir des trous inactifs abandonnés disséminés à perte de vue. Dans cette course quotidienne à la recherche des minerais, des opérateurs majoritairement chinois et camerounais.
Des mines artisanales abandonnées devenues au fil des temps des lacs de la mort et des cimentiers d’artisans. Les terres arables jadis exploitées par des paysans locaux ont été retournées par des excavateurs. Le sol est devenu aride et l’agriculture presqu’impossible.
Chaque jour à bord de sa moto, Janneau parcours près de 50 km, pour rallier ses champs. « Toutes mes plantations cacaoyères qui se trouvaient à proximité de ces sites miniers ont été rasés par des pelleteuses. Les exploitants creusent des grands trous pour chercher de l’or. Mais à leur départ, ils ne les referment plus. Et cela nous pose d’énormes problèmes. D’abord, on n’a plus d’espace pour cultiver. Alors que notre principale source de revenus, repose sur l’agriculture. J’ai loué deux hectares de terrain ailleurs pour cultiver mes champs. Ici à kambele, la zone est devenue extrêmement accidentée. Pour rallier mes plantations, je contourne tout le chantier. Et du coup, je perds en énergie, en temps et en carburant, puisque j’ai ma propre moto. Et le dernier problème qui me gêne encore le plus, ce sont des risques quotidien d’accident, à pieds comme à moto.», s’inquiète le paysan.
A cette inquiétude, s’ajoutent des soupçons d’utilisation de produits chimiques tels que le mercure et le cyanure pour amalgamer de l’or. Des substances pourtant interdites par le gouvernement pour leur degré très élevé de toxicité, qui contribue à la pollution de sols et des cours d’eau.
Le calvaire des éleveurs
L’activité minière menace aussi l’élevage à l’Est du Cameroun. Pour la seule année 2023, Abdoulaye, déclare avoir perdu 5 bœufs soit par consommation des eaux souillées des mines ; soit après être noyé ou tombé dans un trou. Un manque à gagner estimé par l’eleveur à plus d’ 1 million 500 mille fcfa. « Lorsque le berger conduit les bœufs au pâturage, il arrive généralement que certains trous soient déjà couvert d’herbes. Et en voulant paitre, l’animal tombe dans les trous. S’il n’est pas trop profond, le berger descend pour le sortir de là. Mais lorsqu’il est rempli d’eau, et que le risque de noyade est élevé, il est obligé d’abandonner le bœuf », témoigne Abdoulaye. Il poursuit, « si le berger s’est trompé de piste et que les bœufs se sont dispersés, il arrive que d’autres se perdent noyés dans ces grands lacs, sans que nous ne les retrouvions ».
Bien plus, la non-restauration des sites dits orphelins, a entrainé dans la localité de Batouri, des conflits entre agriculteurs et éleveurs, obligés de côtoyer des mêmes espaces verts. Confrontés à la même réalité, les bergers parcours de longues distances avec leurs troupeaux. Et c’est sur ce chemin en quête de pâturage, que les animaux détruisent les biens des agriculteurs.
Ce que dit le code minier camerounais
Selon l’article 136 du code minier camerounais, la restauration, la réhabilitation et la fermeture des sites miniers incombe à chaque opérateur. En son alinéa 3, l’article précise clairement que « les anciens sites miniers et de carrières doivent retrouver les conditions stables de sécurité, de productivité agro-sylvo-pastorale et d’aspects visuels proche de leur état d’origine, ou propices à tout aménagement de façon durable et d’une manière jugée adéquate et acceptable par l’administration chargée des mines, de l’environnement ou toute autre administration concernée ».
Autrement dit, tout exploitant a obligation de refermer les sites après son passage. Sur le terrain, la disposition est loin d’être appliquée.
En 2022, le préfet de la Kadey, la plus haute autorité départementale avait pris une mesure conservatoire suspendant l’activité minière dans certains chantiers. La raison évoquée par le représentant de l’Etat, était des morts récurrentes de personnes par noyade et éboulement, du fait du non-respect des prescriptions environnementales en la matière et les menaces de dégradation de la route nationale à cause de l’obstruction du lit des cours d’eau par les coulées de boue. Dans une interview accordée à la BBC, Djadaï Yakouba explique avoir pris cet acte en son temps « en conformité avec sa hiérarchie, pour que des mesures soient prises. Afin que les trous transformés en lacs artificiels qui endeuilles à chaque moment des familles, et font perdre des biens aux populations soient refermés ». « L’idée est que l’exploitation minière soient faite dans des normes. Que l’écosystème soit restauré. Et cela passe par le reboisement. Car une fois le site reboisé, l’environnement reconstitué, les populations peuvent reprendre l’agriculture ».
A Yaoundé, la voix des victimes est portée par des ONG comme le Relufa. Le Réseau de lutte contre la faim a engagé un plaidoyer auprès des plus hautes autorités de la république, l’effet de contraindre les exploitants à respecter la loi et apporter assistance aux victimes de leurs activités.
Selon Joséphine Maidjane Mbara la cheffe de projet plaidoyer pour la réhabilitation des sites miniers dans les sites miniers de la région de l’Est Cameroun « notre travail consiste à interpeler le gouvernement et à sensibiliser les populations », relève l’experte.
Une exploitation minière en vase clos
En Avril 2024, le Cameroun a lancé un système d’exploitation en vase clos. Une innovation en Afrique centrale, s’est réjouie l’autorité camerounaise. Le système est porté par un consortium d’entreprises chinoises. Celui-ci, selon les autorités de Yaoundé, va contribuer à changer l’environnement de l’exploitation minière semi-mécanisée au Cameroun, tant dans l’amélioration du rendement de la production à plus de 90%, que dans la sécurité des sites. « Avec ce système clos, les enfants n’auront plus accès aux chantiers miniers. Le bétail n’y accèdera plus. Cela permettre de limiter le nombre d’accidents », a déclaré le ministre par intérim des mines à la BBC.
Pour limiter la présence des enfants dans des chantiers miniers et réduire les cas de noyade, et accident par éboulement, la société camerounaise des mines a lancé en 2021 l’opération baptisé ‘‘zéro enfant dans la mine’’. Il est question d’encourager les parents à scolariser les enfants, leur trouver également aux parents pour la plupart artisans miniers, des activités de substitution à l’orpaillage. Dans une interview accordée à la BBC, le directeur général de la SONAMINE Serge Hervé BOYOGUENO parle d’une situation « extrêmement préoccupante ». « Jusqu’à un passé très récent, on avait jamais accordé une autorisation d’exploitation artisanale semi-mécanisé.
On attribuait juste une autorisation d’exploitation artisanale au sens strict, mais aux camerounais comme le dit la loi. Sauf que ces nationaux, les sous-traitaient à ceux qu’ils appellent des partenaires technico-financiers (chinois). Ce sont ceux-là qui entraient avec les engins et creusaient un peu partout. Or, lorsque l’exploitation minière a commencé, la loi n’avait pas prévu l’utilisation des engins dans ces chantiers. C’est n’est qu’à travers la loi de décembre 2016 que nous avons essayé de nous rattraper en adaptant la loi à la réalité », confie-t-il.
La Sonamine dit avoir contacté deux sociétés à l’effet de restaurer les sites orphelins. A notre passage en fin juin 2024, juste une infime partie avait été restaurée, sur un paysage éventré à des kilomètres.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.