Cameroun: le témoignage bouleversant d’une rescapée, enlevée pour une rançon [4/4]

Pour le Norwegian Refugee Council, c’est une des crises les plus négligées au monde. Pourtant, au Cameroun, dans les deux régions à majorité anglophone du pays, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, la violence est toujours une réalité, huit ans après le début d’une lutte armée entre groupes séparatistes réclamant l’indépendance d’un Cameroun anglophone et forces gouvernementales de Yaoundé. Cependant, la nature de la crise a beaucoup changé. Les mouvements se sont fragmentés. Il n’y a plus de front, mais des zones d’insécurité et les civils sont les premières victimes. Les armes circulent et les kidnappings crapuleux pour extorquer de l’argent aux habitants sont nombreux. Rencontre avec une rescapée d’un de ces enlèvements contre rançon.

De notre envoyée spéciale de retour de Buea,

Pour témoigner, elle choisit le prénom Assiko. Début mai 2020, Assiko a 27 ans quand elle est enlevée en pleine rue à Bamenda, dans l’ouest du Cameroun.

« On est sortis déjeuner avec ma sœur aînée et vers 19 heures, à la sortie du restaurant, ils nous ont interceptées. Ils ont pris la voiture, ils nous ont emmenées, ils nous ont couvert la tête. Quand ils nous ont libéré le visage, on était dans la brousse. On n’avait aucun moyen d’identifier la route par où nous sommes arrivées. Nous étions très loin dans la forêt, là où on entend juste le chant des oiseaux, et comme un ruisseau. Il y avait une sorte de grange. C’est là qu’on a passé la nuit », se souvient-elle.

Une nuit d’angoisse commence alors pour Assiko et sa grande sœur : « C’était terrible… terrifiant. Ils pointent des armes sur vous, vous donnent des coups de pieds, vous frappent. Vous voyez ces marques sur mes jambes, ce sont des cigarettes. Ma sœur avait des tresses. Vous savez ce que ça signifie pour une femme, quand ils arrachent les cheveux, malgré les cris ? », raconte la jeune femme.

Elle poursuit : « Il n’y a pas eu de viol. Nous avons eu de la chance. Mais les gens qu’ils ont emmenés avant nous, nous avons compris qu’ils avaient été tués. » Ceux qui les ont enlevées leur prennent tout : argent, chaussures… Ils cherchent également contacts et photos de leur maison dans leurs téléphones.

« Être à Bamenda, c’est comme vivre dans une cage »

Au petit matin, Assiko reconnaît un de ses ravisseurs : « Il a dit « j’ai fait une erreur« . Puis, il a dit  »tu n’as pas changé, tu as la même voix ». J’étais surprise. Il m’a dit  »on était dans le même lycée, tu ne me reconnais pas, mais je me souviens de toi parce que j’avais le béguin pour toi« . Il me semblait familier, mais je ne me souvenais pas de son nom. »

Assiko et sa sœur ont été relâchées contre plus de deux millions de francs CFA. La victime ne sait toujours pas quel groupe l’a enlevée. Elle se sent toujours fragilisée, cinq ans après : « Il y a cette peur constante que quelque chose puisse arriver, que quelqu’un puisse surgir pour vous emmener. Quand on en parle, tout le monde est concerné, directement ou indirectement. Le calme que nous avons connu en grandissant s’est envolé. Être à Bamenda, c’est comme vivre dans une cage. Ici, à Buea, c’est plus une cage avec un jardin, mais à Bamenda, on est dans une vraie cage. »

Assiko n’a jamais porté plainte. Aucun chiffre officiel n’évalue le nombre de kidnappings ces dernières années dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

À lire aussiCameroun anglophone: à Missellele, d’ex-«ambaboys» se reconstruisent dans un centre DDR [1/4]

À lire aussiCameroun: près de Buea, un centre de rééducation prend en charge des blessures de guerre [2/4]

À lire aussiCameroun: des membres de la société civile dénoncent la pratique du «calé calé» [3/4]

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.