Au Cameroun, dans les régions à majorité anglophone, la violence est une réalité huit ans après le début d’une lutte armée entre groupes séparatistes et forces gouvernementales. Pour le Norwegian Refugee Council, cette crise est l’une des plus négligées au monde. Aujourd’hui, les mouvements sont fragmentés, il n’y a plus de front à proprement parler, mais des zones d’insécurité et les civils sont les premières victimes. À Mile 14, dans la banlieue de Buea, un centre de rééducation autrefois dédié à la poliomyélite prend en charge depuis huit ans de véritables blessures de guerre.
De notre envoyée spéciale de retour de Buea,
Sur une dizaine de machines grinçantes, les pensionnaires du centre géré par le diocèse de Buea réapprennent à se mouvoir. Rien qu’en 2024, l’équipe de Sœur Hortensia a pris en charge 49 personnes amputées venues des deux régions Sud-Ouest et Nord-Ouest. « Depuis le début de la crise, si vous regardez autour de vous, nous recevons surtout des patients qui ont subi des amputations, causées par des tirs, des explosions, explique la professionnelle. D’autres se sont retrouvés bloqués dans leurs maisons incendiées, ils ont pu s’enfuir, mais avec des blessures graves, qui n’ont pas été traitées à temps, et ils ont dû être amputés. »
Un espace est dédié aux enfants souffrant de malformations parfois liées aux manques de soins pendant la grossesse et à des accouchements précaires. « Donner naissance à un enfant dans le bush, ce n’est pas pareil qu’à l’hôpital. Et avec la pauvreté, certaines femmes enceintes sont mal nourries, déplore Sœur Hortensia. Beaucoup de ces enfants arrivent avec leurs grand-mères. Quand je demande où est la mère ? On me répond qu’elle est partie… Beaucoup sont nés de viols commis par des hommes armés. La fille est violée, donne naissance à l’enfant, l’abandonne et s’en va. »
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« Elles n’avaient plus des visages d’enfants, elles ressemblaient à des grands-mères »
Dans une des chambres, sur trois lits côte à côte, trois jeunes filles, Merlin, Emmanuella et Cynthia, sont amputées des deux jambes. Des rescapées de l’attentat de Nkambe, ville du nord-ouest du Cameroun où, le 11 février 2024, un engin a explosé lors de la Fête de la Jeunesse organisée par les autorités. Merlin avait 15 ans. « Je suis allée voir le défilé. Nous étions debout sur le côté pour regarder. Il y avait de la danse, plein d’autres choses, témoigne la jeune fille. Nous étions là. Et soudain, nous étions allongés sur le sol. C’est tout ce dont je me souviens. Ils nous ont fabriqué des jambes artificielles. Tous les jours, nous les mettons pour apprendre à marcher avec. »
Sur le lit d’à côté, Emmanuella, 17 ans, tire le bas de sa robe pour cacher ses cicatrices. « C’était dur à cause de la douleur. Mais à présent, ça va, la douleur est partie. »
« Quand ces filles sont arrivées ici, elles n’avaient plus des visages d’enfants, elles ressemblaient à des grands-mères, dénonce Sœur Hortensia. Le soutien post-trauma leur a fait du bien. Depuis, heureusement, elles vont bien. »
Un nouveau patient arrive, amputé d’une jambe après une attaque des « ambaboys » contre sa ferme. Il a entendu parler du centre à la radio. Il vient pour une prothèse.
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