Caroline Darian, la fille de Dominique et Gisèle Pelicot, parle de son combat contre la soumission chimique
En décembre, son père, Dominique Pelicot, a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour avoir drogué sa femme Gisèle Pelicot, l’avoir violée et l’avoir livrée à plus de 80 inconnus qui ont abusé d’elle à Mazan. Après quatre mois de procès, la cour d’assises du Vaucluse a également reconnu 51 hommes âgés de 27 à 74 ans coupables de viols aggravés sur Gisèle Pelicot entre 2011 et 2020. « Je m’appelle Caroline Darian et je suis la fille de la victime et celle du bourreau. » Ainsi se présente celle qui a écrit Et j’ai cessé de t’appeler Papa en 2022 et Pour que l’on se souvienne, à paraître le 5 mars prochain.
Selon Caroline Darian, la grande perdante de ce procès, c’est elle, la fille de Dominique. Deux photos d’elle ont été retrouvées sur l’ordinateur de son père, dans un dossier effacé. On peut l’y voir allongée inconsciente sur un lit, probablement droguée, dans une position non naturelle et vêtue d’un slip qu’elle ne reconnaît pas. De quoi semer le trouble dans l’esprit d’une femme convaincue d’avoir été elle-même la proie de son père, mais pas d’être reconnue comme victime dans un procès pour viol. À son père, au tribunal, Caroline a lancé : « Je sais que tu as abusé de moi. Tu n’as pas le courage de me le dire, mais j’ai besoin de connaître la vérité pour pouvoir avancer. »
Vanity Fair : Caroline, que reste-t-il de votre vie d’avant le 2 novembre 2020, date à laquelle vous avez découvert la vérité sur votre père ?
Caroline Darian : Il y a une infinité de souvenirs que je préfère garder dans un tiroir. La vie avant 2020 était celle d’une Caroline innocente et inconsciente des tremblements de terre qui bouleversent l’existence. Aujourd’hui, tout est différent. Aujourd’hui, je dois gérer un héritage filial très lourd.
Dominique a toujours nié vous avoir droguée, avoir pris des photos et avoir abusé de vous, bien que vous soyez certaine du contraire. Comment vous sentez-vous ? Vous considérez-vous comme une victime oubliée ?
Pendant les mois du procès, Dominique a nié avoir drogué sa fille, pris des photos d’elle et l’avoir endormie. Mais je sais que sur ces deux photos, prises à mon insu, je ne dors pas. Il n’y a aucun doute là-dessus. Les voir a été pour moi un cataclysme. Cet homme a posé sur moi un regard incestueux. La question est de savoir pourquoi. Et quand on connaît le casier judiciaire de Dominique Pelicot, il est évident qu’il n’en était pas à son coup d’essai. Je dois apprendre à vivre avec une vérité qui ne me sera jamais révélée.
Comment faire ?
Le plus important, c’est que j’ai décidé de me faire confiance. J’ai porté plainte dès que j’ai vu ces photos. Je sais que la vérité est entre mes mains. J’aurais aimé l’entendre de sa bouche, la voir reconnue dans un procès, mais je suis certaine que ce que j’affirme est réel. Malheureusement, je suis une victime non reconnue, invisibilisée, comme des centaines et des centaines d’autres femmes et jeunes filles en France. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de preuve, pas d’aveu. Il y a une certitude intime qui se heurte à un mur de silence et de mensonges.
Durant des mois, on les a vus défendre Gisèle Pelicot sans rien lâcher. Mais qui sont ces deux avocats au style si différents ? Comment ont-ils travaillé ? Y a-t-il un retour possible à la vie normale une fois le verdict prononcé ? Quelques semaines après « Mazan », Aurélie Jacques a rencontré deux hommes bouleversés et épuisés par ce procès entré dans l’Histoire.
Avez-vous espéré que Dominique Pelicot dise la vérité au cours du procès ?
J’espérais qu’il aurait l’honnêteté d’avouer quelque chose, au moins sur l’origine des photos. Au lieu de ça, il a dit tout et son contraire, en commençant par nier que c’était lui qui les avait prises. Franchement, je ne m’attends plus à connaître la vérité. C’est un manipulateur, un usurpateur, un menteur.
«Seuls des aveux de Pelicot pourraient changer la donne. Aura-t-il un jour l’honnêteté de le faire?»
Dans quelle mesure l’incertitude vous empêche-t-elle d’assimiler ce qui s’est passé ?
Ne pas savoir est bien pire que savoir. Vivre dans le doute est une condamnation. Après, c’est aussi se faire encore plus confiance. Être certaine que si l’on croit quelque chose, ça ne vient pas de nulle part. Il ment, mais je peux me dire la vérité. Je sais que j’ai eu raison d’affirmer haut et fort dans ce tribunal que j’étais une victime. Une victime non reconnue, certes, mais une victime quand même. Il est important de parler et de ne pas se laisser abattre par l’indifférence et l’impuissance du système judiciaire.
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