Ce pays entend rester le numéro 1 du coton en Afrique grâce à l’agroécologie, voici comment – Edition du soir Ouest-France

Par notre envoyé spécial, Arnaud LE GALL.

Le Bénin lie sa croissance économique à la culture du coton, son principal produit d’exportation. Mais la filière, qui repose sur la monoculture, est confrontée à une baisse de la fertilité des sols. Elle doit aussi s’adapter au réchauffement climatique. Les agriculteurs sont invités à revoir leurs pratiques. Un journaliste de l’édition du soir s’est rendu sur place.

Les camions chargés et les stocks conservés sous bâches attestent de l’activité qui bat son plein, le long de la route que relie Cotonou, la capitale économique du Bénin, aux zones cotonnières, dans la moitié nord du pays. Arrêté à un feu, un cyclomotoriste arbore un T-shirt : « La persévérance est la première vertu de l’agriculteur ». La récolte est terminée et l’or blanc, comme certains osent le surnommer ici, est partout. Il va majoritairement quitter le continent. Direction l’Asie, chez les mastodontes du textile. En quelques années, la production nationale n’a cessé de progresser, devançant même celle du Mali. De quoi porter ce pays essentiellement agricole, qui affiche 6 % de croissance.

Une fertilité en berne

Mais la médaille du succès a son revers. Ce développement a surtout reposé sur l’extension des surfaces cultivées. Dans le même temps, les sols se sont appauvris et les rendements ont commencé à baisser. La faute à la monoculture et aux pratiques, aujourd’hui remises en cause. D’autant que les effets du réchauffement climatiques sont déjà perceptibles. « Les pluies sont absentes en début de saison et ça crée un décalage des semis. Ça bouscule le cycle et, derrière, on est complètement inefficace », note Lionel Yemadje, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

La problématique n’a pas échappé à Patrice Talon, le président de la République du Bénin, qui a fixé l’objectif d’un million de tonnes et dont la réussite et la fortune sont intimement liées à la fleur duveteuse. « Clairement, il voyait qu’il y avait un sujet. Si le secteur continuait sur sa lancée, il ne serait pas parvenu à améliorer les rendements. Et le coton est la principale source de revenus du pays », présente Jérôme Bertrand-Hardy, directeur de l’antenne béninoise de l’Agence française de développement (AFD), une banque de développement, sollicitée par l’État africain pour donner un coup de pouce financier et technique au changement.

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Le choix de l’agroécologie

L’AFD a orienté le Bénin vers l’agroécologie, qu’elle promeut partout où elle peut. Sa philosophie repose sur une meilleure connaissance des écosystèmes et un usage raisonné et optimisé des engrais et pesticides. « L’agriculture conventionnelle a donné des résultats, mais elle s’accompagne d’effets collatéraux. Nous pensons qu’avec la pollution et la perte de biodiversité, son bilan est négatif », pose Jean-René Cuzon, en charge des questions agricoles au sein de l’AFD.

C’est ainsi qu’est né le projet Tazco, en 2016. Il vise une révolution des pratiques. Après une phase de recherche, qui testait les meilleures associations de plantes et les méthodes offrant les meilleurs rendements, il est entré dans une phase plus opérationnelle. Trois cents agents de terrain ont été formés et dispatchés dans les dizaines de villages participant.

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Un site pilote permet de tester les associations de plantes et d’optimiser leurs rendements. (Photo : Ouest-France)
Les agriculteurs sont notamment encouragés à utiliser le cajanus cajan (le poids d’Angole), une plante qui augmente la fertilité du sol avant un nouveau cycle de coton. (Photo : Ouest-France)

Changer les mentalités

Komiguéa est l’un de ces villages. À quelques kilomètres de routes et de pistes de Parakou, la deuxième ville du pays, une partie de l’équipe de Tazco a donné rendez-vous aux producteurs et éleveurs locaux. À l’ombre de grands arbres, ils se réunissent autour d’une table où un plateau de jeu a été déployé. Un moyen pédagogique de prêcher la bonne parole. « Le jeu permet de voir et l’impact sur les autres et sur l’environnement », résume Agathe Ouorou Ngobi, ingénieure agronome à l’AFD. Les paysans confrontent leurs idées. Ils font le point sur le niveau de fertilité et établissent une stratégie pour surmonter les problèmes qui rythment la partie. « Nous avons introduit des innovations qui n’étaient pas dans les pratiques. Ça permet aussi à tous les acteurs de voir comment vivre en harmonie », développe Lucien Imorou, l’un des ingénieurs agronomes de Tazco.

À Komiguéa, les cultivateurs participent à un jeu de plateau qui les sensibilise aux pratiques agricoles et à leur impact sur l’environnement. (Photo : Ouest-France)

Dans leurs champs, les agriculteurs qui adhèrent au projet mettent en œuvre la rotation des cultures. Ils plantent des légumineuses pour apporter de l’azote dans le sol et mettent en place des paillages qui enrichissent la terre et conservent son humidité. « Dans le projet Tazco, il y a aussi l’adaptation au réchauffement climatique. Avec le semis sous couverture, la plante survit dans une période de sécheresse », explique Agathe Ouorou Ngobi. En début de saison, le labour est abandonné au profit d’un travail de la terre plus ciblé. Les pieds de coton, qui étaient brulés après la récolte pour lutter contre les ravageurs, sont désormais arrachés. Certains cultivateurs, et notamment des cultivatrices, poussent même la révolution jusqu’à l’agriculture biologique.

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Déjà des résultats

Pour que ces nouvelles méthodes s’imposent, l’équipe de Tazco compte sur les résultats. « J’ai fait passer la production d’un agriculteur d’une à trois tonnes à l’hectare, sans utiliser beaucoup d’intrants, d’énergie ou de moyens », se réjouit Franck Adjovi, technicien en charge de la formation des agriculteurs dans la commune de Dassa-Zoumè, dans le centre du pays.

Au village de Lèma-Tré, à Dassa-Zoumè, Christine Dossa a adopté les méthodes agroécologiques. (Photo : Ouest-France)

« Il faut regarder sur la durée. Il y a des impacts de court terme, mais au bout de la deuxième phase de production, les producteurs ont commencé à voir l’effet des plantes de couverture. D’ailleurs, il commence à y avoir un marché pour ces plantes, en dehors de la zone du projet », observe Lionel Yemadje.

La diffusion de l’agroécologie doit encore se poursuivre. C’est l’objet d’une prolongation de deux ans du projet, pour laquelle l’AFD remet 5 millions d’euros supplémentaires sur la table. Un travail qui passe notamment par le village de Nouwagnon, où des techniciens de Tazco retrouvent des représentants du ministère de l’Agriculture. Alors que le soleil se couche, les habitants sont invités à se regrouper autour d’un vidéoprojecteur. Après quelques vidéos explicatives, Franck Adjovi vante les avantages de la nouvelle philosophie prônée.

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Soutenir le Nord face au djihadisme

Si l’objectif est surtout économique pour le Bénin, il s’agit aussi d’opposer cette production de richesse dans le nord du pays à la menace de la mouvance djihadiste. Plusieurs attaques mortelles ont été subies à la frontière du Niger. « Comment la filière va-t-elle résister ? Le vrai enjeu est de renforcer la présence de l’État pourvoyeur de services et protecteur. Le projet Tazco est certes antérieur à ces troubles au Bénin, mais il est postérieur aux crises sahéliennes. Nous avions clairement ça en tête aussi », indique le directeur de l’antenne béninoise de l’AFD. Une logique que suivent également les autres banques de développement présentes dans le secteur, en concentrant leurs efforts dans le Nord.

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