ce qui est reproché au président du Centre national du cinéma, accusé d’agression sexuelle par son filleul

L’ancien producteur, âgé de 54 ans, comparaît le 14 juin devant le tribunal correctionnel de Nanterre, pour des faits qui remontent à l’été 2020.


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Le président du CNC, Dominique Boutonnat, lors d'un dîner d'État organisé à l'occasion de la visite du président des Émirats arabes unis au Grand Trianon, près du château de Versailles (Yvelines), le 18 juillet 2022. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Un mois après le festival de Cannes, un autre rendez-vous, judiciaire cette fois, attend le cinéma français : le procès de Dominique Boutonnat, président du puissant Centre national du cinéma (CNC). L’ancien producteur, âgé de 54 ans, est jugé, vendredi 14 juin, devant le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine) pour agression sexuelle sur son filleul. Cette affaire symbolise, selon certains, l’ambiguïté du secteur sur la libération de la parole à l’égard des violences sexistes et sexuelles (VSS). Dominique Boutonnat, qui conteste les faits et reste présumé innocent, a en effet été maintenu à la tête du CNC en dépit de sa mise en examen puis de son renvoi devant la justice. Placé sous contrôle judiciaire, il comparaîtra libre.

Les événements dénoncés remontent à l’été 2020, dans la nuit du 3 au 4 août. Dominique Boutonnat est en vacances dans sa villa sur l’île de Kéa, en Grèce, avec sa famille et celle de son filleul, Antoine*, alors âgé de 21 ans. Une amitié de trente ans les réunit après un long confinement lié au Covid. Selon les éléments de l’enquête, consultés par franceinfo, la soirée arrosée se termine au bord de la piscine pour le jeune homme et son parrain. Dominique Boutonnat, témoin de mariage de sa mère, est comme un second père pour lui. Entraîné par son parrain, qui lui sert de plus en plus de verres, Antoine accepte de prendre un bain de minuit nu dans la piscine, d’après le récit qu’il fait aux policiers lors de sa plainte, déposée deux mois plus tard.

Selon la version de l’étudiant, Dominique Boutonnat tente une première approche au sortir du bain, en le prenant en photo nu, le complimentant et l’enlaçant fortement. Les deux hommes se retrouvent ensuite dans la chambre d’Antoine au rez-de-chaussée. Toujours d’après le récit du plaignant, Dominique Boutonnat s’allonge près de lui sur le lit, essaie de l’embrasser avant de se mettre sur lui et de lui caresser le corps et les fesses. Se décrivant comme tétanisé, dégoûté et dans l’incapacité de crier, le jeune homme accuse son parrain d’avoir essayé de le « masturber ». « Je le masturbe pour qu’il arrête de me toucher », rapporte-t-il, assurant que Dominique Boutonnat a ensuite essayé de lui imposer une fellation. Antoine dit être parvenu à se dégager de son emprise en feignant de vouloir dormir.

Le lendemain matin, selon les déclarations du jeune homme, Dominique Boutonnat entre dans la salle de bains alors qu’il s’y trouve, lui fait un câlin et l’embrasse sur la bouche. Il lui glisse au passage qu’il a prétexté auprès de sa femme, qui l’a surpris à l’aube en train de sortir de la chambre de son filleul, avoir dû le raccompagner en raison de son ivresse.

Antoine explique aux enquêteurs avoir perdu 10 kilos en trois semaines et songé au suicide après cette nuit-là. Une expertise psychologique ordonnée dans le cadre de l’information judiciaire, ouverte en février 2021 pour tentative de viol et agression sexuelle, a confirmé que le jeune homme souffrait d’un stress post-traumatique consécutif aux faits dénoncés. Et qu’il n’avait aucune tendance au travestissement de la réalité. Sollicitée par franceinfo, son avocate n’a pas donné suite.

Plusieurs échanges téléphoniques, supprimés par Dominique Boutonnat mais conservés par Antoine, ont été versés au dossier. Dans une conversation, son parrain reconnaît les faits à demi-mot, tout en rejetant la responsabilité sur le garçon, qui avait fait son coming out quelque temps auparavant.

« Y a quelque chose de bizarre qui s’est passé à ce moment-là, qui est lié à ta sexualité aussi, et moi j’ai beaucoup d’amour pour toi, et puis ça s’est concrétisé comme ça parce qu’on était complètement ivres. »

Dominique Boutonnat

dans un échange téléphonique avec son filleul

Selon ces échanges, Dominique Boutonnat somme Antoine de garder le secret sur cette soirée, tout en lui proposant de venir vers lui s’il ressent le besoin de se rapprocher physiquement. Les enquêteurs notent par ailleurs le caractère moins affectueux de ses messages depuis le séjour en Grèce. L’exploitation du téléphone de l’ex-producteur dévoile en outre des fils de conversation ouverts, mais vides, avec de jeunes hommes posant torse nu. L’intéressé dément être entré en contact avec ces numéros.

En garde à vue puis devant le juge d’instruction, l’influent président du CNC évoque des baisers consentis avec son filleul en simple signe d’affection et affirme que c’est le jeune homme qui lui a fait des avances sexuelles. Il soutient y avoir mis fin, dénonçant les propos « complètement » faux d’Antoine. Quant à l’épisode dans la salle de bains, Dominique Boutonnat reconnaît un « smack » maladroit afin de le mettre à l’aise avec ce qu’il s’était passé la veille.

Lors d’une confrontation, les deux hommes maintiennent leur version respective. L’ex-producteur annonce peu après qu’il va déposer plainte pour dénonciation calomnieuse. Cette plainte a été classée pour infraction insuffisamment caractérisée en septembre 2022.

Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal, les juges mentionnent l’ascendant exercé par Dominique Boutonnat sur son filleul, du fait de leur lien quasi filial et de leur différence d’âge. Ils estiment qu’il existe des charges suffisantes contre le quinquagénaire sur le fait d’avoir « par violence, contrainte, menace ou surprise, commis des atteintes sexuelles » sur Antoine. Ils écartent en revanche la qualification de viol, faute de preuves suffisantes. L’avocat de Dominique Boutonnat, contacté, n’a pas encore répondu à nos sollicitations. Au moment de la mise en examen de son client, Emmanuel Marsigny avait regretté auprès de franceinfo « une précipitation tout à fait critiquable » et assuré que Dominique Boutonnat était « totalement serein sur l’évolution de la procédure ».

L’est-il autant sur la suite de sa carrière ? Depuis sa mise en cause, le président du CNC a fait l’objet de plusieurs appels à la démission. Reconduit à son poste par le gouvernement en juillet 2022, il est notamment chargé de développer une politique de lutte contre les VSS dans le milieu du cinéma, via des formations obligatoires sur la prévention de ces violences. Une ambiguïté dénoncée par la CGT-spectacle, le collectif 50/50, qui milite pour l’égalité, la parité et la diversité dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, ou encore l’actrice Judith Godrèche, devenue une figure du mouvement #MeToo dans le septième art français.

« Le CNC est une institution dans laquelle les producteurs se rendent tout en rigolant, parce qu’ils se disent : ‘C’est drôle, je vais aller faire une formation contre les violences sexuelles à l’intérieur d’une institution dont le président est lui-même accusé de violences sexuelles’. C’est quoi cette blague ? »

Judith Godrèche

lors d’une audition au Sénat fin février

« On s’inscrit dans une logique où la justice doit faire son travail. Le CNC n’a pas à se positionner », avait répondu l’organisme à une délégation de 15 personnes reçue après une manifestation devant son siège à Paris, mi-mai. Connu pour avoir financé les films L’Arnacœur (de Pascal Chaumeil), Intouchables (d’Olivier Nakache et Eric Toledano) ou encore Polisse (de Maïwenn), Dominique Boutonnat risque cinq ans prison.

*Le prénom a été modifié


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