Crédit photo, Primature de la République de Guinée
- Author, Isidore Kouwonou
- Role, BBC Afrique
Où se trouvent les activistes et journalistes guinéens portés disparus depuis plusieurs mois ? Une question qui constitue une énigme pour les familles, les proches et les organisations de défense des droits de l’homme tant nationales qu’internationales.
« Les enquêtes se poursuivent », a simplement déclaré le Premier ministre guinéen, Amadou Oury Ba lors d’une conférence de presse la semaine dernière.
Selon les responsables du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) dont deux membres ont également été portés disparus le 9 juillet 2024, c’est la rengaine des autorités guinéennes.
« Nos collègues Foniké Mengué et Billo Bah n’ont toujours pas eu accès à leurs avocats, et leur famille n’a aucune nouvelle d’eux ni de leur lieu de détention. Cette situation plonge leurs épouses et leurs enfants dans une profonde détresse, contraints de vivre injustement l’absence de leurs êtres chers », confie à BBC Afrique, Ibrahima Diallo, Coordinateur des opérations du FNDC.
Selon les organisations de la société civile guinéenne qui fustigent l’immobilisme des autorités face à la situation, aucune enquête n’a jamais véritablement été ouverte, puisqu’il n’y a pas d’évolution dans le dossier de ces disparitions. Elles avancent que le gouvernement ne fera rien dans cette situation qui laisse des familles déchirées.
Les personnes disparues sont généralement des voix dissidentes qui critiquent ouvertement les autorités militaires au pouvoir depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021.
Amnesty International, dans son enquête sur ces disparitions forcées, a documenté une intensification de la répression « des voix critiques, avec la suspension d’organes de presse, des restrictions d’accès à Internet et la répression brutale de manifestations qui a entrainé la mort d’au moins 47 personnes lors de manifestations de septembre 2021 à avril 2024 » en Guinée.
« Depuis leur arrivée au pouvoir, les autorités militaires guinéennes ont réprimé l’opposition, les médias et la société civile. Elles ont eu recours aux disparitions forcées pour faire taire les dissidents et semer la peur parmi les personnes qui s’opposent à elles », a indiqué dans un rapport sur la situation en Guinée, Ilaria Allegrozi, Chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.
Après avoir fait connaître les regrets des autorités sur ces disparitions forcées, le Premier ministre guinéen, Amadou Oury Ba, de son côté, a indiqué la semaine dernière que le gouvernement n’a pas intérêt à se compromettre dans de tels actes. « Il ne faut, en aucune manière, ouvrir une brèche où des actions extrajudiciaires pourraient compromettre le processus de transition actuel ou ternir l’image de la République et du Gouvernement», a-t-il indiqué.
Les familles, les proches et les organisations de la société civile restent outrés par les conditions dans lesquelles ces activistes et journalistes sont portés disparus et d’autres arrêtés, bastonnés puis relâchés.
Abdul Sacko, disparu puis retrouvé très affaibli

Crédit photo, Abdoul Sacko/Facebook
La récente disparition forcée date du 19 février 2025 et concerne Abdul Sacko, membre de la société civile, Coordinateur du Forum des Forces Sociales de Guinée (FFSG).
Selon ses proches, il a été enlevé aux premières heures de la journée par des hommes armés qui ont fait irruption dans son domicile à Conakry, la capitale du pays. Il a été battu devant sa famille, son téléphone a été récupéré par ces hommes qui l’ont emmené dans un véhicule banalisé sans plaque d’immatriculation.
Ce n’est que le soir qu’il a été retrouvé à 100 kilomètres de Conakry avec des marques de tortures sur son corps, et transporté à l’hôpital de la localité. Abdul Sacko a été retrouvé « dans un état critique, torturé et abandonné par ses ravisseurs », selon un communiqué de ses avocats.
Les représentations diplomatiques auprès de la République de la Guinée, notamment l’ambassade des Etats-Unis et le ministère français des Affaires étrangères ont réagi et demandé aux autorités guinéennes une enquête. Celles-ci, après avoir dégagé leur responsabilité dans cette affaire, ont promis une enquête pour situer les responsabilités.
Abdul Sacko est un critique de la junte militaire. Il dirige un réseau d’organisations de la société civile guinéenne qui réclame le retour à l’ordre constitutionnel dans le pays. Beaucoup d’autres membres de son organisation indiquent être sous le coup des menaces.
Habib Marouane Camara, introuvable à ce jour

Crédit photo, Habib Marouane Camara/Facebook
Il est journaliste d’investigation, directeur du site d’information Lerevelateur224. Il a été kidnappé le 3 décembre 2024 par des membres des forces de sécurité de la Guinée et, depuis, porté disparu.
Ce jour de décembre 2024, Habib Marouane Camara était dans son véhicule, se rendant à son travail. Un pick-up des forces de sécurité à bord duquel se trouvaient des hommes en uniforme, des gendarmes selon le syndicat des professionnels de la presse en Guinée, dépasse son véhicule et le bloque.
Les occupants du pick-up ont brisé le pare-brise du véhicule du journaliste, l’ont extrait avant de l’emmener de force vers une destination inconnue, selon le syndicat. L’enlèvement s’est déroulé dans une banlieue de la capitale guinéenne, Conakry.
Deux mois après cette disparition, le 4 février dernier, le Collectif des journalistes Allumni Guinée a manifesté son inquiétude et son indignation face à cette disparition. Selon le collectif, le journaliste « a été enlevé dans des circonstances alarmantes, suscitant des craintes quant à sa sécurité et à son bien-être ». Le collectif a ensuite dénoncé « une atteinte grave aux droits humains et à la liberté de la presse ».
Comme dans le cas d’autres disparitions, les autorités guinéennes ont nié ne rien à voir avec cette disparition. Selon les autorités judiciaires du pays, son arrestation a été opérée sans ordre des autorités constituées.
Habib Marouane Camara est un journaliste très critique de la junte au pouvoir. Reporter Sans Frontière (RSF) a manifesté son indignation et appelé les autorités guinéennes « à faire toute la lumière sur cet enlèvement » et à procéder à la « libération immédiate du journaliste ».
Une enquête a également été ouverte pour ce cas.
Saadou Nimaga

Crédit photo, Saadou Nimaga/Facebook
Enlevé le 17 octobre 2024 par des individus non identifiés, cet ancien secrétaire général du ministère des Mines est porté disparu jusqu’à ce jour. Chaque jour, sa femme et ses enfants attendent de le voir rentrer à la maison, selon son avocat.
Ce 17 octobre aux environs de 13 heures, Saadou Nimaga, sortant de l’hôtel Kaloum, a été abordé par des individus qui l’ont contraint de monter dans sa propre voiture, accompagné de son chauffeur. Ce dernier a été libéré le soir aux alentours de 20 heures. Mais son patron, non.
Sa femme et ses proches à qui on a demandé de ne pas communiquer sur l’affaire « pour ne pas perturber l’enquête », sont dans un dilemme : se taire pour faire tomber l’affaire dans l’oubli ou continuer à alerter l’opinion nationale et internationale.
Pour son avocat qui a donné une conférence de presse deux semaines après cet enlèvement, c’est justement ce qu’il faut éviter, c’est-à-dire ne pas faire oublier cette affaire. La famille doit briser le silence, selon lui.
Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah

Crédit photo, FNDC/Facebook
Les autorités militaires de la Guinée nient également leur implication dans la disparition de ces deux figures de la société civile. La justice a déclaré qu’elle n’est pas derrière l’arrestation des deux personnes, mais dit avoir ouvert une enquête pour situer les responsabilités et retrouver les disparus.
Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, deux responsables du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), ont été arrêtés par des individus identifiés par Mohamed Cissé, qui a été aussi arrêté au même moment, comme des gendarmes. Il a ajouté qu’ils ont été détenus par des membres des forces spéciales sur l’île de Kassa, au large de la capitale.
Mohamed Cissé a été relâché le lendemain. Il a indiqué à Amnesty International qu’ils avaient été soumis à des actes de torture. Mais Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah sont portés disparus jusqu’à ce jour.
« Il a été violemment battu pendant des heures et affirme qu’ils ont été tous les trois soumis à des actes de torture au cours d’interrogatoires. À sa libération, Mohammed Cissé souffrait de multiples blessures et a dû être hospitalisé pendant plusieurs jours », a indiqué Amnesty International dans son rapport sur ces disparitions forcées.
Quelques jours après la disparition des deux hommes, le parquet général de la Cour d’appel de Conakry a indiqué que les militants n’ont pas été arrêtés par les autorités et qu’aucun établissement pénitentiaire du pays ne les détenait, disant qu’ils font l’objet d’un enlèvement.
Depuis cette date, les autorités sont restées silencieuses et aucune enquête n’a été ouverte, selon Amnesty International.
Quelques heures avant son enlèvement, Oumar Sylla alias Foniké Menguè a appelé les Guinéens à travers les réseaux sociaux, à se mettre en rouge le 11 juillet 2024 pour « protester contre la fermeture des médias et la cherté de la vie notamment le délestage électrique et tous les impairs de la transition ».
Les enquêtes, une diversion des autorités guinéennes, selon le FNDC

Crédit photo, Ibrahima Diallo
Les familles et proches des personnes disparues n’ont aucune nouvelle jusqu’aujourd’hui. Les autorités guinéennes ne donnent pas plus de détails. Ce qui augmente les inquiétudes. Personne ne sait où ils sont détenus, s’ils sont en vie ou pas.
Selon Ibrahima Diallo, Coordinateur des opérations du FNDC, la déclaration du Premier ministre guinéen, Amadou Oury Ba qui a indiqué que les autorités n’ont aucun intérêt à arrêter ces personnes, est « irresponsable ». Cette sortie, poursuit-il, « aggrave la douleur des familles de ces leaders de la société civile guinéenne, déjà confrontées à une situation insupportable ».
« Lorsqu’un crime est commis, la première question que se posent les enquêteurs et toute personne de bon sens est : à qui profite le crime ? Dans le cas de la disparition forcée de mes amis Foniké Mengué et Billo Bah, il est évident que ce crime profite à la junte au pouvoir. Leur enlèvement est survenu après leur appel à manifester contre la fermeture des radios privées critiques du régime et pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel ».
La disparition forcée des voix critiques, selon lui, est devenue une méthode de gouvernance sous la transition. « Au-delà de ces deux leaders du FNDC, le journaliste Marouane Camara a également été enlevé par des gendarmes, et sa famille est sans nouvelles de lui depuis plus de deux mois. L’opinion publique nationale et internationale ne doute pas qu’ils ont été enlevés par la junte et sont toujours séquestrés ».
Pour lui, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte par la justice guinéenne. Car « huit mois après, ni l’épouse de Foniké, ni celle de Billo, ni les témoins directs de leur enlèvement n’ont été contactés par la justice guinéenne pour être entendus ».
Et d’ajouter : « Comment peut-on parler d’enquête sans interroger ceux qui ont un intérêt direct dans le dossier ? Je suis convaincu qu’au regard des responsabilités des mis en cause, il n’y aura jamais d’enquête en Guinée tant que cette junte restera au pouvoir ».
Ibrahima Diallo souligne que son organisation continuera à attirer l’attention de l’opinion internationale ainsi que des institutions et organisations de défense des droits de l’homme sur la situation de ces personnes disparues et sur la nécessité de maintenir la pression sur la junte militaire afin d’obtenir la libération de Foniké Mengué, Billo Bah, Marouane Camara et des autres victimes de disparitions forcées.
« Je vous dis que tout ce qui s’est passé depuis juillet 2024 avec les disparitions Foniké Mengué et de Billo, c’est quelque chose qui n’a pas été dans un droit file des intérêts du gouvernement. Au contraire, on était en train d’améliorer notre position à l’international. Cette affaire vient au moment où les conclusions ont été très avancées. Qui était pénalisé dans cette affaire ? C’est le gouvernement de la République de la Guinée », s’est défendu le Premier ministre Amadou Oury Ba, ajoutant qu’il faut éviter d’imputer aux autorités des situations qui sont instrumentalisées ailleurs.
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