L’occasion était trop belle. Le 8 août 2021, alors que les sélections françaises de basket, de handball et de volley cartonnaient sur le week-end de clôture des Jeux de Tokyo, L’Équipe s’était rebaptisée « Les Équipes » face aux performances historiques des sports collectifs tricolores au pays du Soleil Levant. Trois ans après, il y a de quoi rêver d’une nouvelle Une collector. À commencer par le rugby à 7 et le football masculins cet après-midi, les équipes de France se présentent toutes ou presque avec une bonne tête de médaillable.
Pour dépasser la cuvée historique de Tokyo ? Celle-ci avait marqué les esprits, mais elle était inévitable pour Fabrice Auger, historien du sport à l’université Toulouse-3. « Si on regarde les résultats dans les sports collectifs depuis quinze ans, en prenant en compte le classement des fédérations internationales, on est presque tout le temps dans les cinq premiers. Il existe un savoir-faire français dans ce domaine », note le chercheur qui a contribué au livre Olympisme, une histoire du monde (ed. de La Martinière). En football, basket, rugby à 7 et basket 3×3, les Bleu(e) s sont solidement ancrés dans le top 10 de la hiérarchie. Une réussite mixte à laquelle il faut ajouter le hockey sur gazon (9e) et le volley (4e) masculins. Sans compter le handball, qui n’a pas de classement officiel, mais dont les deux équipes de France sont favorites pour conserver leur titre olympique.
Comme le reste du paysage sportif français, les sports collectifs reviennent de loin. Ils ont bénéficié de la révolution de 1960 après des Jeux catastrophiques à Rome – cinq médailles et pas le moindre titre – avec la création des postes de directeurs et conseillers techniques nationaux (DTN, CTN) au sein des fédérations en plus d’une aide financière conséquente de l’État. Mais cette histoire est déjà connue et elle n’explique pas à elle seule leurs résultats soixante ans plus tard.
Pas plus de deux médailles par JO avant 2021
Alain Weisz, ancien sélectionneur des Bleus du basket (2000-2003), reconnaît que c’est « très difficile à expliquer ». « Pour avoir un avis définitif, il faudrait que la France obtienne encore des médailles en sports collectifs, comme à Tokyo, mais ce n’est pas évident. » Car avant le feu d’artifice japonais, le bilan le plus brillant sur une édition olympique était bloqué à… deux breloques. Vice-champion olympique en 2000 à Sydney en tant qu’assistant – la première médaille du basket depuis 1948 ! -, le technicien souligne une « ambition » croissante des fédérations.
« Elles se sont dit :« On peut être champions du monde, donc on va tout mettre en place ». Je pense que peu de fédés mettent autant de chances de leur côté en termes de suivi, de préparation, de staff, dont les membres sont plus nombreux que les joueurs : au basket, ils sont 17 ! » La période de préparation aux grandes compétitions s’est allongée et affinée. « Ça n’existe pas partout, assure Weisz. Dans la plupart des pays, on se retrouve un mois avant et on y va. La France a fait de gros efforts, au niveau organisationnel et d’optimisation… »
« La France est devenue une vraie nation de sports collectifs car elle l’aborde désormais, du loisir au plus haut niveau, avec la notion de plaisir et de jeu »
Laurent Tillie, champion olympique à la tête des Bleus du volley à Tokyo – la première médaille française dans la discipline -, voit derrière cette réussite une nouvelle façon d’appréhender le sport. « La France est devenue une vraie nation de sports collectifs car elle l’aborde désormais, du loisir au plus haut niveau, avec la notion de plaisir et de jeu. C’est pour cela, au-delà des résultats, que les jeunes sont attirés. Le plaisir est un élément moteur : gagner en s’amusant, il n’y a rien de plus beau », explique l’entraîneur d’Osaka, resté au Japon après la consécration olympique.
Le tournant 1998
Un système gagnant-gagnant qui stimule la compétition entre les disciplines. « Aujourd’hui, il existe une sacrée émulation : on veut tous montrer qu’on est capables de remporter les compétitions les plus relevées », poursuit Tillie. « La réussite appelle la réussite, ajoute Weisz. Ce débat, je l’ai connu quand j’étais jeune prof de gym avec la Yougoslavie, qui était forte partout : foot, basket, volley, hand, water-polo. On disait qu’ils avaient un gène du sport co. Je ne sais pas si c’est ce qui se passe en France actuellement, mais ce qu’on a fait à Tokyo a engendré un enthousiasme extraordinaire. »
Bien avant les Jeux nippons, un autre grand moment de communion nationale avait donné un coup de fouet à l’ensemble des sports co : le titre mondial, sur les terrains de foot, de la bande à Zinédine Zidane en 1998. « On a réalisé qu’on pouvait le faire, que tout était possible. Ç’a changé la perception, les exigences sont montées nettement », appuie Weisz.
« Ces passions se transmettent dès le plus jeune âge, dans les gymnases ou dans les stades : les enfants regardent leurs parents jouer et essaient de répéter les mêmes gestes »
L’environnement actuel favorise aussi l’avènement d’une génération bercée par le son des médailles qui s’entrechoquent. « Ces passions se transmettent dès le plus jeune âge, dans les gymnases ou dans les stades : les enfants regardent leurs parents jouer et essaient de répéter les mêmes gestes, témoigne Tillie, père de deux internationaux et olympiens, Kim (basket, 2016) et Kévin (volley, 2016 et 2021). Il existe aussi un esprit familial, notamment dans le BHV (basket-hand-volley), qui favorise et valorise ces apprentissages. C’est un déclencheur important qui explique aussi pourquoi il y a de plus en plus de filles et fils de au haut niveau. »
Le basketteur Isaïa Cordinier est l’un d’entre eux. Rejeton de Stéphane, ancien handballeur international, il a été élevé dans le haut niveau. « J’étais aux Jeux quelques mois avant sa naissance (novembre 1996), se souvenait le paternel en 2022. Il a grandi avec cette culture du haut niveau qui s’est entretenue au fil des années. C’est rentré dans son éducation au quotidien. » Cordinier fils vise à Paris la médaille olympique qui avait fui son père à Atlanta en 1996.
Son coéquipier Evan Fournier avait déjà souligné le rayonnement du sport co français en 2022, alors que Kylian Mbappé et les Bleus s’apprêtaient à défier l’Argentine en finale du Mondial au Qatar (3-3, 2-4 aux t.a.b.). « À quel moment va-t-on parler de la France comme le meilleur pays de sport co », tweetait-il alors. Avec neuf disciplines collectives et dix-huit titres en jeu, les Bleus ont deux semaines pour lui donner raison.
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