Cette « malédiction du pétrole » dont le Sénégal ne veut pas

« Nous allons renégocier les contrats et essayer de voir comment investir sur d’autres secteurs pour leur développement et éviter la malédiction du pétrole ». Le président Bassirou Diomaye Faye s’est montré ferme lors de l’interview accordée ce week-end à la chaîne nationale sénégalaise à l’occasion de ses 100 premiers jours aux manettes de la République. Il réaffirme ainsi une volonté exprimée dès son accession au pouvoir en avril dernier. Le nouveau locataire du Palais de la République à Dakar se dit « convaincu » que les accords en cours auraient pu être « mieux négociés, parce que d’autres pays africains l’ont fait ».

Les multiples découvertes de pétrole et de gaz opérées ces dernières années au Sénégal ont en effet donné lieu à plusieurs contrats négociés sous l’ancien président Macky Sall, avec des compagnies internationales dont le français TotalEnergies, le britannique BP, l’américain Kosmos Energy, l’australien Woodside Energy, mais aussi le nigérian Oranto. Suite au lancement en juin dernier de l’exploitation du champ de Sangomar au large de Dakar justement opéré par Woodside et la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen), le pays est devenu producteur de pétrole et entend désormais tirer parti au mieux de son or noir, d’autant que l’exploitation pétrolière fait espérer une croissance du PIB de 5,3% cette année 2024 contre 4,7% l’an dernier, selon le Fonds monétaire international (FMI). Une tendance haussière qui devrait se poursuivre au cours des prochaines années. « Notre stratégie est de […] faire de cette ressource un levier pour développer les autres secteurs, notamment les métiers du numérique, la formation professionnelle, l’agriculture et la pêche », a-t-il expliqué.

Le Sénégal, « précautionneux » dans l’exploitation des énergies fossiles face aux défis du climat, selon le FMI

En d’autres termes, le président Bassirou Diomaye Faye veut éviter au Sénégal de répéter les erreurs de plusieurs pays dont la stabilité et l’équilibre économiques ont souvent été compromis en raison de l’euphorie drainée par les découvertes pétrolières dont les revenus généralement abondants les ont fait dormir sur leurs lauriers pour finalement dépendre économiquement de l’or noir. La conséquence a toujours été qu’en cas de crise pétrolière, de telles économies connaissent un effondrement, comme cela a été le cas au Congo Brazzaville à titre d’exemple. D’ailleurs, toutes ces économies qui ont fini par crouler sous d’énormes dettes tentent depuis des années de se diversifier avec, pour certaines d’entre elles, plusieurs difficultés. « Après les renégociations, vous verrez un grand changement. Nous devons croire en notre potentiel », promet Bassirou Diomaye Faye.

Une exploitation pro-climat ?

Face à l’exploitation pétrolière à grande échelle en vue au Sénégal, plusieurs questions ont été soulevées en lien avec le contexte actuel des changements climatiques et d’abandon progressif des énergies fossiles réclamé par les Occidentaux. Mais selon le Fonds monétaire international (FMI), Dakar tient compte de ces facteurs dans sa vision stratégique. « D’importantes mesures ont été envisagées par le gouvernement du Sénégal pour que l’exploitation des énergies fossiles, dont la part dans l’activité devrait rester relativement limitée autour de moins de 5% du PIB total, n’interfère pas avec son engagement à relever les défis du changement climatique », expliquait Edward Gamayel, chef de mission au FMI pour le Sénégal, dans un entretien avec La Tribune Afrique suite à une mission de terrain à Dakar.

Pour l’instant, les autorités sénégalaises n’ont pas encore révélé l’agenda des renégociations, mais elles ne cessent d’exprimer leur détermination à le faire. Si certains analystes interrogent quant à l’efficacité de la démarche, d’autres en revanche, encouragent l’Etat sénégalais afin maximiser les gains pour l’économie et la société sénégalaises. En attendant, les projecteurs restent braqués sur Dakar pour voir comment les renégociations seront articulées.