Le 15 mars 2020, la Guyane basculait dans l’inconnu. Ce jour-là, l’annonce du confinement était faite. Deux jours plus tard, le 17 mars, la mesure entrait en vigueur. À Saint-Laurent-du-Maroni, où les premiers cas suspects du Covid-19 étaient recensés, la population oscillait entre inquiétude et adaptation. Cinq ans après, souvenirs d’une crise inédite.
L’annonce du premier cas : sidération et attente au lycée Bertène Juminer
Le 4 mars 2020, cinq premiers cas de Covid-19 sont définitivement confirmés en Guyane. Il s’agissait de personnes de retour d’un rassemblement religieux à Mulhouse, organisé par l’Église de la Porte Ouverte Chrétienne. Prises en charge au Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais (CHOG), elles ont été placées en confinement.
À Saint-Laurent-du-Maroni, l’alerte a été donnée dans un lieu emblématique : le lycée Bertène Juminer. Le premier cas suspecté était un membre du personnel. « Au départ, l’information était uniquement entre les mains de la direction, car il n’y avait rien d’affirmé », raconte Stéphane, qui travaillait alors au sein de l’établissement.
L’attente fut pesante. Les élèves et le personnel étaient en suspens, guettant les directives officielles. « Il n’y avait pas de procédure prévue pour ce type de situation, tout le monde avançait à tâtons », se souvient-il.
Lorsque l’ARS et le rectorat ont pris les commandes, les premières mesures sont arrivées : mise en place de bornes de gel hydroalcoolique, mise à l’écart des cas suspects et port du masque généralisé.
On avait peur que la situation dégénère, que le virus se propage trop vite. On voulait éviter une psychose
confie Dave. Mais pour lui, la crise a pris un tournant personnel lorsqu’il a été testé positif au Covid-19. Son état s’est aggravé, jusqu’à nécessiter une hospitalisation de dix jours, dont plusieurs en réanimation.
Les urgences en première ligne : « On était préparés en théorie, mais la peur était là »
Aux urgences de l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, Crépin, responsable du service, se souvient d’un moment de panique. « On avait préparé des protocoles, organisé des réunions, mais quand le premier cas confirmé est arrivé, tout a basculé. »
Les médecins et infirmiers ont dû faire face à une situation inédite, avec des moyens encore limités. « Ce qui nous hantait, c’était la peur de se contaminer et de mourir. Il n’y avait aucun recul sur cette maladie. »
Les deuxième et troisième vagues furent les plus éprouvantes.
Le personnel s’épuisait, il y avait des absences, du matériel qui manquait. On savait que la situation pouvait s’aggraver et qu’on pourrait être amenés à faire des choix difficiles. Heureusement, on n’en est pas arrivés là.
Aujourd’hui, l’expérience a laissé des traces. « On a retenu l’importance de l’hygiène, de l’isolement des malades. Depuis, on a instauré des cellules de crise médicales, on sait comment réagir face à une épidémie. Mais l’unité et la souplesse de l’époque se sont peu à peu effacées… »
La pharmacie sous pression : tensions et pénuries
Les pharmacies ont été un autre point de tension. Prisca Rosenberg, qui travaillait à Saint-Laurent, se souvient du choc : « Les premières semaines, il y avait une forte demande de masques et de gel, on était en rupture de stock en permanence. »
Entre 13h et 15h, on pouvait voir 60 à 80 personnes défiler en une seule après-midi. La charge de travail était énorme.
Les tensions étaient palpables. « Certains clients paniquaient, d’autres s’énervaient. Il fallait gérer ce stress en plus du manque de matériel. » Cinq ans après, tout est revenu à la normale selon elle. « Mais on a appris à mieux gérer les stocks et les situations d’urgence. »
Entreprises : celles qui ont tenu, celles qui ont sombré
La pandémie n’a pas seulement bouleversé les hôpitaux et les écoles : les entreprises ont aussi été mises à rude épreuve. À Saint-Laurent-du-Maroni, comme ailleurs, certaines ont résisté, d’autres ont disparu.
La librairie du Toucan, par exemple, a su s’adapter pour survivre. Dulciste Pierre-Henri, directeur commercial, se souvient de l’incertitude qui pesait sur l’avenir :
La fermeture nous a inquiétés. Comment allait-on s’en sortir ? Nous avons dû repenser l’organisation du magasin, mettre en place des mesures de sécurité strictes et élargir les horaires pour garder le lien avec notre clientèle.
Mais toutes les entreprises n’ont pas eu cette chance. « Plusieurs petits commerces n’ont pas survécu à la baisse d’activité. Certains restaurateurs, des boutiques de vêtements ou encore des artisans ont dû fermer définitivement. C’était une période très dure. »
Au-delà des fermetures, la pandémie a modifié les habitudes de consommation. « Beaucoup de clients ont découvert l’achat en ligne, et pour certains, le réflexe d’aller en magasin s’est perdu », observe Dulciste. Mais d’autres tendances ont émergé, notamment un regain d’intérêt pour les livres parascolaires et créatifs, que la librairie a su mettre en avant.
Au marché de Saint-Laurent-du-Maroni, les discussions ravivent les souvenirs d’une époque où tout semblait à l’arrêt. Mireille, vendeuse de fruits et légumes, se rappelle des longues files d’attente devant les commerces :
À l’époque, on ne pouvait pas être plus de trois dans une boutique. Il y avait du marquage au sol partout, les gens faisaient la queue dehors. C’était impressionnant.
Jean-Marc, 52 ans, commerçant, évoque la réorganisation du marché : « On avait espacé les étals, réduit le nombre de vendeurs. Les clients devaient suivre un parcours précis, et tout le monde portait le masque. »
Pour Laurence, infirmière à la retraite, c’est surtout le port du masque qui lui a laissé une impression durable :
Aujourd’hui encore, je le mets parfois dans les transports ou en période de grippe. Avant, ça aurait paru bizarre, maintenant c’est presque normal.
Cinq ans après : ce que le Covid a changé
Dans les allées du marché, Hugo, 45 ans, vendeur de vêtements, se souvient d’un détail qui ne l’a jamais quitté :
Les files d’attente. Ça, je crois que tout le monde s’en rappellera. On faisait la queue partout, pour tout, et avec cette distance marquée au sol… Aujourd’hui encore, parfois je prends un pas de recul en caisse sans même y penser.
À quelques stands de là, Marie-Thérèse, 67 ans, retraitée, évoque un autre souvenir, plus silencieux : « Ce que je n’oublierai jamais, c’est le bruit… ou plutôt son absence. Le premier soir du confinement, plus de voitures, plus de brouhaha. Juste le chant des oiseaux, le vent… Ça, c’était unique »
Pour beaucoup, la pandémie a servi de rappel brutal sur la fragilité des sociétés modernes et la nécessité de s’adapter. Comme le résume un habitant croisé au marché : « Le Covid a montré qu’on pouvait tout arrêter du jour au lendemain. Mais il nous a aussi appris à mieux nous protéger, à penser aux autres, et peut-être même à ralentir un peu. »