Comme le dit Jean-Michel Apathie, la France a-t-elle commis « des centaines d’Oradour-sur-Glane » en Algérie ?
Camille Descroix
Publié le
Sur le plateau de la matinale de RTL, mardi 25 février 2025, Jean-Michel Apathie a tenu des propos qui ont déclenché une vive polémique, dans un contexte de tensions entre la France et l’Algérie.
« Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? », a déclaré le journaliste, au sujet de la guerre d’Algérie (1954-1962).
« On n’a pas fait Oradour-sur-Glane en Algérie », a d’abord rétorqué le présentateur Thomas Sotto. Mais « on s’est comporté comme des nazis ? », a-t-il ensuite interrogé. « Les nazis se sont comportés comme nous », lui a répondu Jean-Michel Apathie.
Vrai ou faux ? Décryptage avec Sylvie Thenault, directrice de recherche au CNRS et historienne.
« Des formes de violences extrêmes et massives » en Algérie
À Oradour-sur-Glane, village martyr du Limousin, une unité de la Waffen SS Das Reich remontant vers le front en Normandie avait massacré 642 habitants le 10 juin 1944. En quelques heures seulement, ce bourg paisible est anéanti « par une action brutale, méthodique et délibérée ».
Dire que la France a commis des centaines d’Oradour-sur-Glane [en Algérie], c’est faux. Il n’y a pas eu d’équivalent. Ceci dit, ces déclarations renvoient à une réalité : pendant la guerre d’Algérie, l’armée française a déployé des formes de violences extrêmes et massives dans un objectif de terreur vis-à-vis de la population algérienne.
« Des massacres, il y en a eu »
Pour la spécialiste, cette « dimension de terreur collective » est héritée de la guerre d’Indochine (1946-1954), et la défaite militaire française. Pour l’armée française, la politique de violences menée par le Viêt-Minh (l’organisation politique et paramilitaire vietnamienne), qui visait à convertir à sa cause la population vietnamienne pendant le conflit, a porté ses fruits.
Elle décide alors de calquer ce même modèle en Algérie. « Il y a l’idée que l’armée française doit essayer de convaincre la population algérienne, mais aussi de tout faire pour qu’elle ne rallie pas le Front de libération nationale (FLN) », explique la directrice de recherche au CNRS.
Dans cette perspective, les soldats français développent des méthodes dites d’action psychologique (de la propagande) et des méthodes de « violences collectives » pour « dissuader » voire « punir » les Algériens qui soutiennent le FNL, à l’origine de l’insurrection en Algérie.
En 1956, quand le premier contingent de l’armée française est déployé sur le sol algérien, « vous pouvez imaginer toute une série de violences : viols, exécutions sommaires, coups… C’est d’une brutalité extrême. Et des massacres, il y en a eu », détaille l’historienne Sylvie Thenault.
Une comparaison « très courante » entre l’armée française et les nazis
Toutefois, le parallèle entre l’armée française et les nazis n’est pas nouveau. « Quand on parle de la torture, la comparaison avec la Gestapo (la police du IIIe Reich) est courante », chez celles et ceux qui dénoncent la guerre menée dès 1954 en Algérie, souligne la spécialiste.
C’est même un sujet brûlant à l’époque. Dans la France des années 50, la Seconde Guerre mondiale est encore très vive dans l’esprit des Français.
Beaucoup de résistants sont devenus des hommes importants et, pour eux, la torture, on ne peut pas l’accepter. C’est une pratique nazie, et ceux qui y ont recours font comme les nazis.
La torture dénoncée par l’intelligentsia française
En 1957, l’écrivain Pierre-Henri Simon publie Contre la torture, aux éditions du Seuil, l’un des premiers livres à dénoncer le scandale de la torture pendant la guerre d’Algérie. Selon lui, si l’armée française torture en Algérie, et utilise donc les mêmes méthodes que la Gestapo lors de la Seconde Guerre mondiale, c’est que Hitler a gagné.
Dans un édito publié dans le journal Le Monde, en mars 1957, le journaliste Michel Legris écrit : « Nous ne sommes pas encore, comme le redoute P.-H. Simon, ‘les vaincus de Hitler’. Mais il était grand temps de donner l’alarme. Dès maintenant, les Français doivent savoir qu’ils n’ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes qu’il y a dix ans les destructeurs d’Oradour et les tortionnaires de la Gestapo. »
Même si Jean-Michel Apathie a en partie raison, ses propos sont à nuancer tant la comparaison est délicate entre le massacre survenu à Oradour-sur-Glane, et les actes commis par l’armée française en Algérie.
L’Arcom saisie ce mercredi, après des signalements
Les propos du journaliste ont suscité plusieurs signalements auprès de l’Arcom, qui a comme habituellement en pareil cas ouvert une instruction pour déterminer si la radio a commis un manquement à ses obligations, rapporte l’AFP.
Ces échanges interviennent alors que les tensions entre les deux pays sont vives. Alger a refusé à de multiples reprises ces dernières semaines de laisser entrer sur son sol plusieurs de ses ressortissants expulsés de France.
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