comment la France est-elle devenue un immense désert médical ?

Les déserts médicaux sont présents en France… Ou plutôt la France est en passe de devenir un désert médical. En octobre 2023, la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Firmin-Le Bodo, lançait cette phrase choc au Sénat : « 87 % de la France est un désert médical. Il n’y a pas de zone surdotée en médecins. »

Aujourd’hui, la situation ne s’est guère améliorée. Quelques pistes sont avancées par l’État, mais en attente de résultats, les maires bricolent pour permettre à leurs administrés de se soigner.

🗳 Élections municipales 2026 : un dossier spécial des rédactions d’actu.fr

Cet article fait partie du premier épisode de notre dossier spécial consacré aux défis des maires de France, à l’occasion des élections municipales de mars 2026.

Dans ce premier épisode, « Déserts médicaux : un médecin à tout prix », les rédactions d’actu.fr explorent les solutions mises en place par les élus municipaux pour lutter contre la pénurie de médecins.

C’est quoi un désert médical ?

« Il n’y a pas de définition scientifique » au désert médical, indique à actu.fr le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, en charge de la démographie médicale.

La littérature scientifique est vaste sur le sujet. Mais le site du ministère de la Santé donne un aperçu de la manière dont l’exécutif envisage ce problème.

En France, certains territoires sont caractérisés par une offre de soins insuffisante pour leur population, du fait d’un faible renouvellement des professionnels, de leurs départs à la retraite ou encore par des difficultés d’accès à cette offre : temps d’accès, délais d’attente pour un rendez-vous…

Ministère de la Santé
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Le désert médical renvoie une image selon laquelle il y aurait des territoires sans aucun médecin. En fait, c’est davantage la question du temps d’attente pour obtenir un rendez-vous, que ce soit chez un généraliste ou un spécialiste, qui est prise en compte.

« Le terme est apparu dans le langage public à partir des années 2000 », indique le Dr Mourgues. D’abord dans les zones rurales, avant de s’étendre et s’intensifier. « On est tous concernés », confirme Xavier Nicolas, maire de Senonches (Eure-et-Loir) à actu.fr.

Quelle est la situation en France ?

Difficile de tirer un bilan exhaustif, il est nécessairement lié aux différences territoriales. Néanmoins, en 2024, la Fédération hospitalière de France (FHF) prenait le pouls du pays sur la question des délais de rendez-vous. Résultats :

  • Médecin généraliste : 10 jours en 2024 pour obtenir un rendez-vous contre 4 jours en 2019 ;
  • Pédiatre : 3 semaines et 3 jours en 2024 contre 2 semaines et 4 jours en 2019 ;
  • ORL : 2 mois en 2024 contre 1 mois et 1 semaine en 2019 ;
  • Gynécologue : 2 mois en 2024 contre 1 mois et 3 semaines en 2019 ;
  • Cardiologue : 2 mois et 2 semaines en 2024 contre 1 mois et 3 semaines en 2019.

Les chiffres de l’enquête montrent bien une dégradation de ces délais.

Ce sont plus de 6 Français sur 10 qui ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des 5 dernières années.

Fédération hospitalière de France

Parmi les raisons invoquées, la moitié juge que c’était trop long d’obtenir une consultation, 40 % parlent de difficultés financières, et un tiers met en cause l’éloignement géographique.

Le numerus clausus en cause

Quand on cherche le responsable, beaucoup pointent du doigt le numerus clausus. Concrètement, depuis 1971, l’État fixait un nombre de places limité pour la formation de médecins.

En 1972, l’État limitait ainsi le nombre de places en deuxième année de médecine à environ 8 500. En 1993, c’était 3 500, toutes spécialités confondues.

Il y avait une certaine logique à ce numerus clausus à l’époque : beaucoup de médecins formés, génération des babyboomers dans la fleur de l’âge, avec un besoin moins important de rendez-vous de santé. Cette disposition permettait donc d’éviter le surnombre de médecins.

Jean-Jacques Videlo, maire du Sourn (Morbihan) et pionnier dans l’installation de médecins salariés, pointe le fait que ce sont les médecins libéraux qui ont poussé pour le numerus clausus, afin « d’éviter la concurrence ». Sauf que « le numerus clausus a été trop sévère et trop long », juge Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Car si ce dispositif a été enlevé en 2019, il aura quand même survécu près de cinquante ans. Sauf qu’entre-temps, la démographie a continué d’augmenter, et les babyboomers ont vieilli, nécessitant de plus en plus de soins.

Quant aux effets de la fin du numerus clausus décidée en 2019, ils ne se feront sentir qu’en… 2030.

Changement dans la manière de faire de la médecine

Mais taper uniquement sur le retard pris par le gouvernement ces dernières décennies serait un peu simpliste, voire démagogique. Le problème vient aussi quelque part du vieillissement de la population, et d’une volonté, pour les nouveaux médecins, d’entrer dans « une normalisation de leur temps de travail », précise Jean-Marcel Mourgues.

Xavier Nicolas, membre de l’Association des petites villes de France, rappelle qu’avant, « le médecin avait la vocation, une sorte de sacerdoce ». On peut l’illustrer par le cliché du médecin de campagne, joignable à n’importe quelle heure, n’importe quel jour de la semaine.

On est passé d’un temps de travail délirant, à quelque chose de plus normal.

Xavier Nicolas
Maire de Senonches (Eure-et-Loir), et membre de l’Association des petites villes de France

Toujours sur les généralistes, le Dr Jean-Christophe Nogrette, du syndicat MG France, estime auprès d’actu.fr qu’il n’y en pas assez, « parce que c’est beaucoup d’heures pour peu de rentabilité ».

Autour de 98 000 euros de chiffre d’affaires par an, selon une étude de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees), parue en 2021. Une valeur à relativiser en fonction des charges du médecin.  Là encore, il y a aussi des différences en fonction des secteurs géographiques et des conditions d’exercice.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins, par l’intermédiaire du Dr Mourgues, insiste aussi sur une volonté pour les médecins d’aujourd’hui de faire équipe, de ne plus travailler seul. « Il faut une secrétaire médicale », appuie Jean-Christophe Nogrette.

Depuis des années, les médecins se plaignent de la lourdeur administrative sur leurs épaules, synonyme de temps perdu pour la patientèle. Autant d’arguments pour expliquer la raréfaction des médecins.

Les maires pansent

Face à ce problème, « pas de solution miracle », reconnaît Jean-Marcel Mourgues. Jusqu’en 2030, cela pourrait être compliqué. Après ça devrait aller en s’améliorant avec l’arrivée de médecins formés en 2019.

En attendant, « comme l’État ne fait rien, les habitants se tournent vers le maire », assure Xavier Nicolas. Et si ce n’est pas une compétence propre aux municipalités, les mairies disposent d’une clause de compétence générale.

Centres de santé pluridisciplinaire, salariat, bagarres avec l’Ordre des médecins pour faire venir des médecins étrangers, financement des études de médecine… Les maires pansent les carences de l’État. « Les édiles s’agitent parce que les habitants n’ont pas de médecins traitants », analyse le Dr Jean-Christophe Nogrette, chargée de la communication pour le syndicat MG France.

Parfois, ils construisent des murs sans médecin, parfois, ils salarient des médecins, mais cela ne tient qu’avec des subventions.

Dr Jean-Christophe Nogrette
Chargé de la communication pour le syndicat MG France

Critique, le syndicat estime qu’il faut mettre les moyens « pour espérer que les jeunes vont aller travailler en tant que médecins généralistes ».

Quelles solutions ?

Alors en attendant les effets du numerus clausus, dans cinq ans minimum, que faire ?

Une meilleure répartition des médecins est préconisée. Aujourd’hui, ils peuvent s’installer où ils l’entendent, alors que les zones rurales sont souvent délaissées au profit des villes, ou du littoral.

Selon l’étude de la Drees (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) parue en 2021, il y aurait une manière d’orienter les médecins vers des zones sous-dotées.

De nombreuses études ont été menées pour comprendre si les modalités de la formation médicale – telles qu’une université localisée en zone rurale, une orientation des programmes vers l’exercice en milieu rural, des stages pendant les premières années de médecine ou une immersion en milieu rural pendant l’internat – peuvent influer sur le choix d’exercer en zone
rurale.

Drees

Jean-Marcel Mourgues pointe notamment le lieu des stages prévus dans les études de médecine pour pallier le problème de répartition des médecins. Les étudiants qui font leur stage dans des zones rurales, auront davantage envie d’y rester.

D’autres veulent une répartition coercitive des médecins sur le territoire. C’est le cas du député MoDem de la Sarthe, Éric Martineau, qui a déposé (avec d’autres parlementaires) une proposition de loi en ce sens.

Mais, après une réunion avec les syndicats, le centriste dénonce à actu.fr  « les syndicats, qui ne veulent surtout pas que ça bouge ». Cette proposition de loi doit être discutée en séance publique le mardi 1ᵉʳ avril.

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