Comment la France se prépare-t-elle aux futures épidémies ?

Le consortium EMERGEN est une plateforme de surveillance et de recherche en génomique des pathogènes émergents, créée début 2021 par Santé publique France et l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) pour détecter et caractériser rapidement les variants du SARS-CoV-2 qui ont émergé pendant la pandémie de COVID-19. 

Il a impliqué de nombreux partenaires dont le Centre national de référence Virus des infections respiratoires (CNR VIR) et des laboratoires de biologie médicale, publics et privés, disposant de capacités de séquençage. Son infrastructure repose sur une base de données nationale (EMERGEN-DB), des outils bio-informatiques, un réseau de laboratoires et des équipes de recherche. Le consortium a favorisé la collaboration entre épidémiologistes, microbiologistes et bio-informaticiens, permettant une meilleure intégration des données épidémiologiques et génomiques.  

Après une première phase (2021-2023), le séquençage du SARS-CoV-2 a été recentré sur le CNR VIR, et l’extension d’EMERGEN à d’autres pathogènes prioritaires a été engagée, notamment pour Mpox (suite à l’urgence de santé publique décrétée par l’OMS en 2024) et l’Influenza zoonotique (compte tenu de la menace croissante qu’il constitue). Dans une approche d’anticipation, ces travaux se renforcent et visent à mieux préparer la France aux futures émergences sanitaires.

Depuis 2021, Emergen a été soutenu par des financements européens (projets HERA et SEQ4EPI). Son évolution, Emergen 2.0, lancée le 19 mars 2025, bénéficie du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre de la stratégie d’accélération maladies infectieuses émergentes et menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique et du plan France 2030. Désormais coordonnée par l’ANRS-MIE, Santé publique France et l’Anses, la plateforme intègre une approche « Une seule santé » pour une surveillance élargie des maladies infectieuses.

Trois questions au Dr Bruno Coignard, directeur des maladies infectieuses à Santé publique France

Pourquoi les travaux conduits pendant la pandémie de COVID-19 sont-ils importants à poursuivre et à renforcer ?

Le développement du séquençage pour la surveillance des variants du SARS-CoV-2 a été initié en 2021, en réponse à l’émergence du variant Alpha. Il s’agit aujourd’hui de mieux anticiper et de se préparer en amont des prochaines crises, en s’appuyant sur des procédures et capacités bien identifiées, capables de monter en charge rapidement en cas d’émergence d’un nouvel agent infectieux.

L’expérience accumulée lors de la première phase du projet EMERGEN est essentielle et doit être préservée. Elle a permis :

  • d’identifier les équipes et compétences mobilisables en France sur cette thématique (CNR, laboratoires hospitaliers du réseau de virologie de l’ANRS-MIE, laboratoires de biologie médicale privés, plateformes de séquençage présentes dans certains CHU ou instituts de recherches, équipes de bio-informatique et de recherche) et facilitant ainsi leur collaboration avec Santé publique France et renforçant l’interface entre surveillance et recherche ;
  • de créer des outils de référence, notamment la base de données EMERGEN-DB, hébergée par l’Inserm à Marseille, servant de modèle pour d’autres pathogènes (Mpox, Influenza). Egalement des outils et procédures de dépôt par les laboratoires, d’analyses bio-informatiques, ou encore de partage dans des bases de données internationales (GISAID par exemple) ;
  • de renforcer les capacités d’analyses et d’interprétation des données de séquençage de Santé publique France en formant nos épidémiologistes à leur utilisation et en développant des procédures et algorithmes prêts à l’emploi.

Elle doit aujourd’hui se renforcer pour mieux intégrer l’approche « Une seule santé », compte tenu du caractère très fréquemment zoonotique des maladies infectieuses émergentes. C’est dans ce cadre que l’Anses rejoint Santé publique France et l’ANRS-MIE, afin de faciliter l’échange et l’analyse conjointe des données humaines et animales.

Quelle est la contribution de Santé publique France au sein d’EMERGEN ? 

Santé publique France joue un rôle central au sein du Consortium EMERGEN en assurant trois missions principales :

  • la surveillance : suivi et restitution des indicateurs sur la circulation d’un agent pathogène et son impact ; pour le SARS-CoV-2, les activités au sein d’EMERGEN contribuent ainsi à la surveillance multi-sources des infections respiratoires aiguës, et ses résultats sont restitués dans les bulletins hebdomadaires de l’agence ;
  • l’alerte : détection d’une émergence ou épidémie, analyse de risque ; 
  • l’investigation : caractérisation d’un nouvel agent pathogène (transmissibilité, sévérité, échappement éventuel aux mesures préventives ou thérapeutiques existantes).

L’agence finance les Centres nationaux de référence (28 M€ sur 5 ans) et en particulier leurs activités de séquençage, y compris le séquençage du SARS-CoV-2 depuis la fin de sa prise en charge par l’Assurance Maladie au 1er mars 2025. Par ailleurs, les budgets européens dont Santé publique France a bénéficié ont permis de soutenir les activités de surveillance du consortium jusqu’à la transition vers un financement de l’ANR.

En 2024, l’inventaire des capacités de séquençage réalisé par Santé publique France a estimé une capacité cumulée au niveau national d’environ 15 000 séquences par mois, pouvant atteindre 40 000 séquences par mois en cas de crise, sous réserve de financements complémentaires. Ces capacités varient beaucoup d’un CNR à l’autre (tous n’ont pas les mêmes besoins) et n’incluent pas celles d’autres laboratoires ou plateformes (hors réseau des CNR).

Enfin, les données épidémiologiques et microbiologiques issues des activités d’EMERGEN sont publiées sur le site de Santé publique France, partagées avec l’ECDC, et sur d’autres bases internationales (GISAID par exemple). Certaines sont accessibles en open data et ont aussi vocation à être partagées avec la recherche, via l’ANRS-MIE dans le cadre de la gouvernance d’EMERGEN.

Quels sont les enjeux et apports de la génomique pour la santé publique de façon plus générale ? 

L’apport de la génomique pour la surveillance des maladies infectieuses est aujourd’hui majeur et les données de séquençage des CNR sont utilisées quotidiennement par les épidémiologistes de Santé publique France, souvent dans une approche « Une seule santé » en lien avec l’Anses et ses laboratoires nationaux de référence (LNR).

Cette pratique n’est pas nouvelle mais s’est accélérée avec la crise COVID-19. Par exemple, les équipes des CNR Listeria ou du CNR Escherichia coli, Salmonelles, Shigelles à l’Institut Pasteur utilisent depuis plus de 10 ans le séquençage pour détecter précocement des clusters permettant à Santé publique France d’investiguer les cas et d’identifier les sources de contamination. Ces données de séquençage sont par ailleurs partagées avec les LNR de l’Anses afin de comparer les souches d’origine humaine aux souches alimentaires. Cette utilisation accrue du séquençage a largement contribué à renforcer la sécurité alimentaire en France. De même, le CNR Virus des infections respiratoires séquence les virus Influenza et partage ces données avec l’OMS pour la composition des vaccins, tandis que le CNR VIH l’utilise pour caractériser les virus responsables de primo-infections. 

Tous les CNR utilisent aujourd’hui le séquençage car il permet une caractérisation très fine, à l’échelle du génome, des agents pathogènes (identification de gènes de virulence, de gènes de résistance aux anti-infectieux, suivi de leur évolution, etc.). Le tout contribue au renforcement de leurs missions d’expertise, de surveillance et d’alerte. 

L’un des objectifs d’EMERGEN 2.0, avec l’intégration de l’Anses, est de renforcer encore la collaboration entre CNR et LNR. Une priorité actuelle est la mise en place d’une base de données commune pour le séquençage des virus Influenza, afin d’améliorer la compréhension et mieux anticiper l’émergence de virus d’origine zoonotique.

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.