Comment la Guinée a réussi à éliminer la maladie du sommeil

[CONAKRY] La trypanosomiase humaine africaine (THA) ou maladie du sommeil ne constitue plus un problème de santé publique en Guinée. Le pays a réussi à réduire les cas de transmission de la maladie en dessous du seuil fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les zones endémiques, atteignant ainsi l’objectif d’élimination de la THA.

Selon la norme de l’OMS, pour éliminer cette maladie, il faut enregistrer moins d’un cas pour 10 000 personnes sur cinq ans, explique Abdoulaye Diaby, responsable de la lutte contre la THA au Programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN) en Guinée.

« De 2019 à 2024, la Guinée a répondu à cette norme. Nous avons soumis le dossier d’élimination au niveau de l’OMS. Ce dossier a été examiné par des experts qui ont mené leurs enquêtes sur le terrain. Ils ont conclu que la Guinée a effectivement atteint le seuil. C’est ainsi que nous avons obtenu le dossier de validation de la THA », précise-t-il.

“Il y a eu beaucoup de travaux qui ont permis d’améliorer ces outils de diagnostic. Et la grosse nouveauté du programme, c’est surtout la mise en place de la lutte antivectorielle pour réduire l’exposition homme-mouche tsé-tsé dans la mangrove”

Jean-Mathieu Bart, IRD

L’élimination de la maladie du sommeil est le résultat d’un ensemble de stratégies mises en place par les autorités guinéennes et leurs partenaires. « On a dû dépister le maximum de cas, traiter également le maximum de cas et s’intéresser à la lutte antivectorielle pour diminuer la transmission », déclare Abdoulaye Diaby.

« Nous avons identifié des stratégies adéquates pour nous permettre d’éliminer et de valider nos acquis. La Guinée fait partie des pays qui ont développé un arsenal pour lutter contre cette maladie. Nous avons été le seul programme à développer des activités de lutte, c’est-à-dire aller chercher les malades, les dépister, les traiter », renchérit Mamadou Camara, coordinateur national du Programme de lutte contre les MTN.

Des activités de recherche pour mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie ont également été développées, poursuit-il. « Nous avons aussi mis en place la formation des agents, et adapté les stratégies de lutte », confie ce dernier.

Réémergence

À en croire le coordinateur du programme national de lutte contre les MTN, la maladie parasitaire à transmission vectorielle causée par des mouches tsé-tsé infectées a « fait beaucoup de mal au sein de la population guinéenne » …

« De plus de 3 000 cas enregistrés vers les années 30 jusqu’aux années 60, on est passé à quelques rares cas vers les années 70-80. La communauté internationale a pensé que la maladie était vaincue, mais c’était mal comprendre l’épidémiologie de cette maladie qui a continué à se propager », affirme-t-il.

Il ajoute que les années 80-90 ont été marquées par une réémergence de la maladie dans beaucoup de foyers en Afrique. En Guinée, la réémergence a été constatée dans de nouveaux biotopes, notamment dans les zones de mangrove…

« Pour comprendre l’épidémiologie de cette maladie, nous avons mené des activités de recherche dans ces nouveaux biotopes. Ces activités nous ont permis de comprendre la résurgence de cette maladie dans ces zones de mangrove situées dans le littoral guinéen, précisément dans les villages de Boffa, Dubreka… », renseigne-t-il.

La recherche a été essentielle dans la lutte contre la THA, souligne Jean-Mathieu Bart, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). L’expert indique que depuis les premières missions de l’IRD en 2017, des chercheurs de l’institut se sont rendus en Guinée « pour aider le programme à prouver qu’il y a une réémergence des cas ».

« Les thématiques de recherche se sont multipliées, en particulier sur l’amélioration des outils de diagnostic. Il y a eu beaucoup de travaux qui ont permis d’améliorer ces outils de diagnostic. Et la grosse nouveauté du programme, c’est surtout la mise en place de la lutte antivectorielle pour réduire l’exposition homme-mouche tsé-tsé dans la mangrove », relève-t-il.

Il ajoute que « tout ce travail a été rendu possible avec les chercheurs de l’IRD et maintenant l’outil de lutte antivectorielle est préconisé non seulement en Guinée, mais aussi dans les pays endémiques pour la maladie du sommeil. C’est l’un des gros résultats de la recherche », dit-il.

Zéro trypanosomiase

Pour Jean-Mathieu Bart, c’est, certes, un sentiment de joie et de fierté d’avoir pu accompagner la Guinée dans ce processus d’élimination. Toutefois, « le travail n’est pas fini…, prévient-il. On a passé un jalon, on a moins de 1 cas pour 10 000 habitants, mais l’objectif est d’aller à 0 transmission, c’est-à-dire plus de cas humains en Guinée de maladie du sommeil d’ici 2030 », fait savoir le chercheur.

Mamadou Camara insiste aussi sur la nécessité de ne pas « tomber dans l’euphorie », car, soutient-il, « le vecteur de la maladie circule encore. Il y a des réservoirs qui nous échappent. C’est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour aller vers l’arrêt de la transmission, c’est-à-dire zéro cas de trypanosomiase pendant 5 ans », martèle-t-il.

L’organisation de la société civile « Jeunesse secours en Guinée » abonde dans le même sens. D’après son directeur exécutif, Salomon Dopavogui, qui est aussi président de la coalition « Non aux MTN pour l’Afrique », l’organisation a joué un rôle dans la sensibilisation, la mobilisation des ressources et mené un plaidoyer pour pousser les politiques à prendre de bonnes décisions.

« Durant ces dernières années, nous avons accompagné ce programme [programme de lutte contre les MTN, NDLR] et c’est ce qui fait que nous avons obtenu ce résultat aujourd’hui. Il y a d’autres résultats plus probants que nous espérons avoir en 2025 ou plus tard en 2026.  Parce que nous ne voulons pas seulement nous limiter à l’élimination de la maladie, nous voulons son éradication », insiste-t-il.

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