En novembre 2020, une étrange maladie de la peau frappe des centaines de pêcheurs sénégalais. Ils développent alors des symptômes inhabituels : boutons, démangeaisons, fièvre, infections cutanées. Un an plus tard, la maladie maladie refait surface, laissant les scientifiques perplexes et suscitant inquiétudes et interrogations.
Après quatre années de recherche, le mystère est enfin percé.
Patrice Brehmer, écologiste des pêches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui a dirigé et participé à de nombreuses campagnes de recherche océanographiques au Sénégal, et un consortium de scientifiques ont identifié le coupable : la Patromine A, une toxine produite par une microalgue. Dans cet entretien avec The Conversation Africa, il revient sur les étapes de cette recherche et les stratégies adaptées pour protéger les pêcheurs.
Il y a cinq ans, plus de 1000 pêcheurs ont été touchés par une mystérieuse maladie au Sénégal. Quelles sont les conclusions de vos recherches sur la cause de cette maladie ?
Face à des problèmes nouveaux et complexes, nous avons eu besoin d’unir nos compétences. A l’issue de quatre années d’investigation, un consortium scientifique international et interdisciplinaire a pu parvenir à une conclusion. La cause de cette maladie mystérieuse est une toxine appelée Portimine A, produite par une microalgue marine, Vulcanodinium rugosum, identifiée par les collègues de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) emmenés par Philipp Hess. Cette toxine perturbe les cellules de la peau humaine, déclenchant une inflammation sévère et provoquant une dermatite aiguë. Notre étude, publiée dans EMBO Molecular Medicine, décrit ce phénomène. Nous sommes plus de trente chercheur issus d’une vingtaine de laboratoires à cosigner cet article.
Quels symptômes les pêcheurs affectés ont-ils présentés ?
Les pêcheurs touchés ont développé des lésions cutanées étendues, principalement concentrées sur le visage, les membres et les parties intimes. Dans certains cas, des inflammations oculaires ont également été observées. Ces manifestations, caractéristiques d’une dermatite aiguë, ont suscité une vive inquiétude et l’attention internationale. L’intensité des symptômes variait considérablement d’un individu à l’autre, en fonction du niveau d’exposition à la toxine.
De plus, mes collègues du Centre national de recherche scientifique (CNRS), autour d’Étienne Meunier, ont aussi mis en évidence un facteur de prédisposition génétique. Ce travail permettrait d’expliquer pourquoi, au sein d’une même pirogue, certaines personnes étaient plus sévèrement atteintes que d’autres. Les symptômes rapportés allaient des réactions cutanées légères, évoquant l’acné ou la varicelle, à des lésions plus sérieuses et invalidantes.
IRD/ Patrice Brehmer, Fourni par l’auteur
Au-delà de l’impact physique, il est important de souligner la dimension psychologique de cette maladie. L’apparition soudaine de symptômes spectaculaires et inexpliqués, dans un milieu où les croyances magico-religieuses sont prégnantes, a engendré un profond sentiment d’angoisse chez les pêcheurs. J’ai pu le constater lors de mes interviews en 2020. En 2021, cette fois aux côtés d’Adama Mbaye, socio-anthropologue au Centre de recherches océanographiques de Dakar Thiaroye de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), j’ai de nouveau perçu cette angoisse.
L’inconnu et l’absence d’explication rationnelle ont pu alimenter des peurs et des interprétations mystiques. Cela a aggravé le fardeau incapacitant de la maladie chez les pêcheurs touchés, contraints de rester chez eux.
Comment les scientifiques sont-ils parvenus à établir un lien entre cette maladie et l’algue marine Vulcanodinium rugosum ?
Ce lien a été établi grâce à une approche interdisciplinaire, collaborative et multi-institutionnelle. Cela a débuté en novembre 2020, à la demande de la brigade environnementale de la gendarmerie nationale sénégalaise, qui a mis en place un groupe d’experts scientifique pour intervenir en mer.
Ce groupe, coordonné par le Pr Mamadou Fall, directeur du Centre antipoison de Dakar, étaient notamment composé de collègues de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et de l’IRD, afin de mener des opérations de collecte d’échantillons en mer.

IRD/ Patrice Brehmer, Fourni par l’auteur
Parallèlement j’ai conduit des enquêtes auprès des pêcheurs au Sénégal. Cela nous permis d’exclure rapidement d’autres causes possibles, telles que des infections virales ou bactériennes. Les pollutions d’ordre chimique d’origine anthropique – liées à l’action humaine – paraissaient peu probables, mais une combinaison de facteurs restait un candidat potentiel en 2020.
Les témoignages des pêcheurs, en 2020 et 2021, se sont révélés décisifs, ce qui démontre l’importance des approches collaboratives et inclusives. C’est ce qui m’a conduit a suggérer d’arraisonner une pirogue qui concordait avec les témoignages (lieux de pêche et type d’engin étaient identiques), où nous avons pu collecter un échantillon d’eau contaminée. Son analyse, par l’Ifremer, a révélé la présence de niveaux élevés de toxines caractéristiques des microlagues toxiques, notamment de Portimine A.
Pour Phillip Hess de l’Ifremer, la similitude des symptômes avec un incident survenu à Cuba en 2015, impliquant une microalgue toxique, Vulcanodinium rugosum, a renforcé l’hypothèse de l’implication de ce type toxine pour le cas du Sénégal.
Comment êtes-vous passés de l’hypothèse à la confirmation ?
En 2021, nous étions mieux préparés, soutenus par l’initiative « Art Sunu Gueej » (protéger notre mer, en langue wolof) de l’Isra et de l’IRD. Nous sommes intervenus immédiatement pour prélever des échantillons d’eau, de sédiments et de matériel de pêche dans les zones touchées, j’ai d’ailleurs été modérément touché lors de mes propres plongées.

IRD/ Patrice Brehmer, Fourni par l’auteur
Kenneth Mertens de l’Ifremer a alors confirmé la présence de Vulcanodinium rugosum, la microalgue émettrice de la toxine incriminée dans une cinquantaine d’échantillons envoyés en France. Par la suite, des tests en laboratoire, de haute technicité et assez onéreux, ont été effectués, en France, en Espagne et à Singapour pour étudier les effets de cette toxine sur des cellules de peau humaine. Ces tests ont démontré que la Portimine A bloque la production de protéines qui active un récepteur immunitaire, le NLRP1, provoquant une inflammation intense, explicative des symptômes que nous avions observés.
Comment expliquez-vous l’irruption de cette pathologie dans ce lieu précis ? Est-ce dû à la prolifération de ce type de microalgues et comment l’expliquer ?
Il est assez probable que cette microalgue ait été introduite par un navire, via des eaux ballast (réservoir sur un navire contenant de l’air ou de l’eau pour régler son immersion). On ne peut qu’encourager les pays à ratifier et mettre en application la Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et des sédiments des navires, dite BWN, qui demande à ce que tous les navires, en date du 8 septembre 2024, disposent de systèmes de traitements de eaux de ballast.
Il faut également mettre en place un système de suivi environnemental national et sous-régional pour surveiller les proliférations d’algues toxiques, autant que faire se peut, de coupler les suivis des microalgues toxiques avec un suivi de la qualité des eaux et de la pollution marine. Plus largement, on doit renforcer la recherche sur les mécanismes d’action des toxines marines et leurs effets sur la santé humaine.
Leurs aires de répartition restent mal connues ainsi que le déterminisme de leur apparition. Il apparaît d’autant plus nécessaire de déterminer les facteurs clés de la croissance et de la production de la toxine par cette microalgue. L’idéal serait de mettre en œuvre un programme type “One-Health” de recherche marine, basé sur une collaboration intersectorielle pour faciliter la coordination des actions scientifiques.
Ce type de projet permettrait aussi d’accompagner le développement de l’économie bleue dans les pays de la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), de la Mauritanie au Sierra Léone, tout en protégeant la santé humaine comme les écosystèmes marins face aux risques croissants liés aux bouleversements environnementaux.
Quels traitements sont disponibles et comment peut-on se protéger des toxines marines ?
Il n’est pas possible d’éradiquer du milieu cette microalgue toxique, comme n’importe quelle autres d’ailleurs. Il n’y pas de remède thérapeutique, le traitement est principalement symptomatique, visant à soulager les manifestations de la dermatite, c’est à dire de nettoyer et de désinfecter les lésions, puis de sécher soigneusement les zones touchées. Bien entendu, en cas de symptômes, il est essentiel de consulter un médecin ou un centre antipoison.
Pour ce qui est des mesures de protection, elles sont simples : éviter les zones où des contaminations ont été signalées, en cas de contact se rincer immédiatement et abondamment à l’eau douce, et se protéger des contacts avec l’eau de mer (port de gant et de bottes, etc.), si on doit absolument partir en mer au moment d’une crise.
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