Comment le Sénégal s’engage dans une révolution fiscale

« Cette procédure de contrôle des comptes de l’Etat a cherché à retracer des milliards qui n’ont pas été déclarés au Trésor public, en demandant aux banques de signaler tous les mouvements réalisés avec des organes de l’Etat », vulgarise Meïssa Babou, chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Plusieurs collaborateurs du régime de Macky Sall sont dès lors poursuivis pour « blanchiment » ou encore « escroquerie portant sur les deniers publics ».

Note souveraine dégradée

Mais surtout, le rapport de la Cour des comptes revoit à la baisse tous les indicateurs économiques du pays publiés sous la présidence de Macky Sall, dont la dette et le déficit budgétaire. Aujourd’hui, l’encours de la dette publique est ainsi estimé à 99,67 % du PIB sur la période 2019-2024. Et le déficit budgétaire a été recalculé, passant de 4,9 % à 12,3 % du PIB. Conséquence, la note souveraine du Sénégal chute. Après l’avoir déjà abaissée en octobre, l’agence Moody’s l’a fait reculer de deux crans en février, de B1 à B3, avec un risque « hautement spéculatif ».

« Pour la première fois de l’histoire du pays, les nouvelles autorités élues n’ont qu’une très faible marge d’endettement », observe Meïssa Babou, qui rappelle qu’en 2000, le président Abdoulaye Wade avait trouvé une dette à un peu plus de 10 % du PIB, et Macky Sall, à 30 % en 2012.

Sacrée embûche pour le pouvoir, qui veut concrétiser le plan « Vision Sénégal 2050 ». L’objectif principal est de tripler le revenu annuel par habitant (de 1 560 euros à 4 148 euros) à travers des investissements massifs dans des domaines clés, dont l’agriculture et l’éducation. Rien que pour le premier quinquennat du projet (2025-2029), le coût est estimé à 18 500 milliards de francs CFA (28 milliards d’euros).

Le FMI, qui a suspendu son programme de décaissement supplémentaire dans l’attente de l’examen de la Cour des comptes, a confirmé l’existence de « déclarations erronées significatives des déficits budgétaires et de la dette publique sur la période 2019 – 2023 » après avoir effectué une mission au Sénégal du 18 au 26 mars dernier. « Des réformes audacieuses et crédibles seront essentielles afin de permettre un retour rapide à l’objectif de déficit budgétaire fixé par l’UEMOA et de placer la dette publique sur une trajectoire durablement décroissante », a déclaré Edward Gemayel, le chef de la délégation de l’institution internationale. Et d’ajouter que : « les discussions sur un éventuel nouveau programme [avec le FMI] débuteront dès que des mesures correctrices auront été engagées pour remédier aux déclarations erronées ».

Un mode de financement novateur

« Nous sommes en difficulté, mais ce n’est pas insurmontable, veut croire Mamadou Lamine Ba, économiste spécialiste de l’investissement. Nous ne sommes pas encore en crise. » Dès lors, quelles sont les solutions qui s’offrent à Dakar pour sortir de l’ornière sans recourir à une cure d’austérité ?

Sans intention de renégocier ou de restructurer sa dette, selon un communiqué du ministère des Finances fin décembre, le Sénégal compte sur une réforme de la fiscalité, « ambitieuse et structurelle ». « Il est question de supprimer bon nombre de subventions et d’exonérations décrétées par l’ancien régime, mais aussi d’élargir l’assiette fiscale », explique Meïssa Babou.

Une réforme chère au Premier ministre, Ousmane Sonko, qui, lors de la déclaration de politique générale fin 2024, a martelé vouloir « faire payer moins les Sénégalais, mais faire payer tous les Sénégalais ». Cette politique ne peut qu’être applaudie par le FMI : depuis deux décennies, il recommande d’élargir la base taxable en Afrique.

En outre, le projet de loi de Finances 2025 propose un mode de financement novateur à travers les diaspora bonds. Le gouvernement souhaite recourir à un emprunt obligataire dont les ressortissants installés à l’étranger seraient les créanciers. Dakar, qui souhaite donc mieux flécher les 1 600 milliards de francs CFA (2,4 milliards d’euros) envoyés par la diaspora chaque année, soit environ 10,5 % du PIB, compte aussi jeter son dévolu sur les partenariats public-privé (PPP), récemment très prisés des Etats africains qui veulent dépasser les contraintes budgétaires. Alors que nombre d’entre eux sont accablés par une dette publique qui ponctionne leurs ressources, les solutions explorées par le Sénégal seront suivies de près.

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